Ancien quartier d’immigrés et d’ouvriers qui attire à présent les plus grands artistes de New York, Williamsburg, un des Neighbourhood de Brooklyn, fourmille de vétustes vélos que ses habitants aiment à entretenir et bichonner. Un phénomène de mode à la gloire des années soixante-dix, mais pas seulement.

Par Jonas CUENIN, depuis New York

Un dernier coup de tournevis et de clé à molette. Puis un essai, celui du répit et du devoir accompli. Cette fois-ci, c’est réglé : Emilio Cortes vient de réparer ce fichu dérailleur qui lui cherche des crosses depuis le début de la matinée. « Quelle galère ça a été, lâche-t-il en soupirant. J’en avais plus que ras le bol de ce vieux biclou. » En bon samaritain, cet immigré mexicain, pour lequel ces cycles fatigués n’ont plus de secret, propose souvent ses services de mécanicien à ceux du quartier qui professent à la petite reine un amour sans faille.

Car ces Superstar, Schwinn, Huffy ou Ross – que les « hipsters » (bobos) américains enfourchent pour sillonner à toute allure les rues ensoleillées de Williamsburg ou de Greenpoint, un quartier adjacent aux sonorités polonaises – appartiennent, de toute évidence, à la panoplie de l’artiste bohème du coin.

 

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Véhicule plus tendance que la mobylette ou le scooter, le vélo de course d’époque a leur faveur et il est limite un objet de culte avoué. « Je préfère venir au boulot avec ma vieille bécane rouge, un peu rude à manœuvrer, parfois un peu capricieuse mais stylée, que m’acheter un de ses vélos tous terrains, modernes mais sans âme, que l’on peut trouver dans tous les magasins. Et puis, je suis sûr qu’il coute moins cher », confesse Jake, vendeur de vêtements chez 10ft Single, une friperie de la North 6th street. Pour ceux qui n’ont pas les mains assez délicates pour réparer ces deux-roues qui leur donnent l’allure des beatniks américains des seventies, il y a toujours B’s Bikes, une petite boutique au 262 Driggs Ave. Le gérant saura en quelques minutes redonner un coup de jeune à leur monture et lui garantir la classe voulue en posant une belle sonnette brillante, un guidon ondulé, une selle ou des poignées de couleur.

Un moyen de locomotion rentable

Arpenter les longues avenues new-yorkaises à vélo peut paraître comme un caprice de jeunes branchés. Pourtant, il n’en est rien. Dans cette âpre période de récession, il est à coup sûr un moyen d’économiser ses sous. Depuis que le prix du ticket de métro a augmenté de 50 cents pour passer à 2,50 dollars l’unité en juin dernier, de plus en plus de New-Yorkais préfèrent activer leurs petites gambettes plutôt que de payer les 89 dollars d’abonnement mensuel au médiocre subway.

Et pas question d’utiliser les fameux taxis jaunes qui circulent en abondance. Même si les prix des courses restent peu onéreux, en comparaison avec leurs homologues français, ils sont réservés aux riches des quartiers huppés de Manhattan. Stefany et Ethan, deux restaurateurs qui doivent tous les jours traverser le Williamsburg Bridge pour se rendre à East Village témoignent : « Au moment où l’on s’est rendu compte que l’on dépensait vraiment trop d’argent dans les transports en commun, on a décidé de s’acheter ces deux beaux petits vélos pour 60 dollars chacun. Résultat : de sacrées économies. Et puis, en été, quoi de plus agréable que de commencer sa journée de travail par une petite balade sur le pont reliant Brooklyn à Manhattan. La vue est magnifique ! »

 

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Et pour minimiser les risques dans l’abondant trafic de la « Grosse Pomme », beaucoup choisissent le port du casque. Se rendre sur son lieu de travail à vélo est aussi un moyen d’affirmer son rejet de la société de consommation. Il prend toute son ampleur dans un pays où, avec une carte de crédit, tout est possible.

Le vélo : l’écolo attitude

Les habitants de Williamsburg jubilent : Obama vient de remporter, en ce début de mois de juillet, sa bataille pour emmener l’Amérique vers une plus grande sobriété énergétique. Une aubaine pour tous ces amoureux du vélo. « Cela va sûrement inciter les gens à adopter un mode de transport plus vert », s’extasie Mark, un fervent supporter de la cause. Comme beaucoup de New-Yorkais, dans une ville dont l’appartenance au camp démocrate est historique, il suit passionnément la politique de son président. Et de son maire, Michael Bloomberg. Depuis le début de l’année, ce dernier a lancé un plan à caractère écologique qui a permis d’élaborer 645 kilomètres de pistes cyclables supplémentaires.

Et non loin de Bedford Avenue, au cœur de Williamsburg, il n’est pas rare de croiser des vélos qui arborent fièrement des autocollants sur lesquels on peut lire : « Bicycles can save the planet » (Les vélos peuvent sauver la planète). Il n’y a que la foi qui sauve, et le mollet.