Co-fondatrice de la Coalition des familles LGBT, Mona Greenbaum en a fait, en l’espace de quelques années, l’association la plus importante pour les familles homoparentales au Québec. A l’origine de son engagement, son propre combat pour avoir des enfants avec sa compagne. Depuis dix-huit ans, la mère de famille n’a jamais cessé de militer pour la reconnaissance légale et sociale des familles LGBT dans la province canadienne.
Par Camille Sellier
« C’était une bataille pour nos familles », répète Mona Greenbaum avec son accent anglophone. Assise derrière une table dans son bureau de Montréal, la présidente de la Coalition des familles LGBT raconte la bataille juridique qu’elle a menée pour la reconnaissance des droits des familles homoparentales au Québec. « Il y a certains détails de ma vie familiale que je ne préfère pas évoquer », annonce-t-elle. Dès les premières minutes, le ton est donné. Derrière une apparence calme et posée, Mona Greenbaum laisse transparaître une certaine autorité. Mais surtout une grande détermination. Cette ténacité, elle l’a mis au service de la cause LGBT depuis dix-huit ans.
Et pourtant, cet engagement associatif est venu sur le tard. Le déclic ? Les difficultés rencontrées lorsqu’elle a eu le désir de fonder une famille avec sa compagne Nicole, à l’âge de trente-cinq ans. « On présumait que c’était très facile de fonder une famille car en tant que québécoise, on avait jamais connu la discrimination. J’ai toujours été chanceuse », souligne-t-elle. A dix-huit ans, elle fait son coming out. Sa famille, ses amis, tous acceptent la nouvelle facilement. Mais lors de leur premier rendez-vous dans une clinique de fertilité [clinique qui offre des services pour aider les parents à concevoir des enfants], les deux femmes déchantent vite. Seules les personnes mariées sont acceptées. Nous sommes au milieu des années 1990 et au Québec, le mariage est encore réservé aux couples de sexe opposé. « La deuxième mauvaise surprise a été d’apprendre que Nicole ne serait pas reconnue comme deuxième parent ».
Dans un premier temps, Mona et Nicole décident de prendre des renseignements aux Etats-Unis. « J’ai trouvé une clinique de fertilité ouverte aux lesbiennes depuis les années 1970. Dans certains Etats comme en Californie ou dans le Massachussetts, j’ai pu récolter de nombreuses informations et j’ai commencé à avoir une expertise sur le sujet. » L’idée germe alors de créer un groupe afin de pouvoir aider les autres couples lesbiens qui souhaitent fonder une famille. « Mais je ne pensais absolument pas créer un organisme communautaire qui deviendrait par la suite mon travail à temps plein. J’en avais déjà un et je gagnais très bien ma vie. » Biochimiste de formation, Mona Greenbaum est à l’époque directrice d’un laboratoire de recherche scientifique à l’hôpital de Montréal. En 1998, elle reçoit un don de sperme d’une clinique de fertilité de San Francisco. L’insémination artificielle réussie, elle tombe enceinte.
« Notre cas a poussé le gouvernement dans la bonne direction »
Pendant sa grossesse, elle fait la rencontre d’une avocate afin d’entamer des procédures pour que Nicole puisse acquérir des droits parentaux. « Elle nous a annoncé que ça n’avait jamais été fait au Québec et que les démarches allaient être très compliquées. En termes de parentalité, pour les couples homosexuels, il n’y avait absolument rien de mis en place ». Il n’en faut pas plus pour que les deux femmes décident de travailler pour changer les lois et de s’investir à temps plein pour faire bouger les choses. Six semaines après la naissance de Léo, leur premier enfant, elles créent l’Association des mères lesbiennes (AML). « Notre cas a poussé le gouvernement dans la bonne direction, affirme Mona Greenbaum. Mais nous n’étions pas seules, nous étions en contact avec plusieurs organismes. On avait un certain côté politique, on multipliait les entrevues avec les médias. » Le gouvernement suggère alors de travailler sur la reconnaissance des couples homosexuels. Pour les associations, ce n’est pas suffisant. « Nous voulions que nos enfants aient leur deux parents légalement reconnus et surtout qu’ils bénéficient des mêmes protections que les autres enfants », explique-t-elle. Soutenue par des syndicats et des organismes de la société civile, la mère de famille participe aux commissions parlementaires. La bataille juridique va durer cinq ans.
Un moment clé
Une période charnière pour Mona Greenbaum qui tombe enceinte, suite à une nouvelle insémination artificielle, de son deuxième enfant, en 2000. Six mois seulement après la naissance de Léo. La jeune maman mène de front sa nouvelle vie familiale et son engagement. Elle profite de son congé maternité pour se consacrer à temps plein à son combat législatif. « C’était une période très stressante avec un énorme travail. C’était éprouvant. On se battait pour nos familles donc notre vie personnelle était engagée », se souvient-elle. En 2001, elle quitte définitivement son poste à l’hôpital de Montréal. En 2002, la loi est adoptée à l’unanimité. Les couples homosexuels obtiennent une égalité juridique et un accès à différentes façons de fonder une famille. « C’était une grande victoire. On était le seul endroit au monde où tous les partis conservateurs ont aussi adopté cette loi », ajoute-elle fièrement.
Au fil des années, l’Association des mères lesbiennes gagne en visibilité et devient un groupe de défense des droits. En 2005, l’association devient la Coalition des Familles Homoparentales puis en 2014 la Coalition des familles LGBT. Un changement de nom s’imposait afin de ne pas exclure les parents transgenres. Une évolution au sein de l’association expliquée en partie par l’impact de la modification de la loi selon Mona Greenbaum. « Ça nous a permis de faire changer les mentalités. Ce n’est pas le cas partout au Canada. Pendant des années, j’étais impliquée au niveau fédéral et j’ai rencontré beaucoup plus d’opposition », affirme-t-elle.
Le regard des autres
« Infatigable », « une force tranquille », « courageuse » dans la communauté LGBT, le travail qu’accomplit Mona Greenbaum est salué. L’association qui compte aujourd’hui 2400 membres, est considérée comme la plus grosse association des familles LGBT au Québec. « Avant que je tombe enceinte, on s’interrogeait beaucoup sur la vie future de nos enfants dans une société où certains préjugés persistent. C’était notre seule réticence. Quelle sera la vie d’un enfant qui doit dire « j’ai deux mamans »? »,explique-t-elle. Une inquiétude qui l’a conduite vers un nouvel objectif, celui d’éradiquer l’homophobie dans les écoles. « Nos enfants n’ont jamais été des cibles dans le milieu scolaire mais ils sont plus sensibles aux propos homophobes, ça les touche. Eux n’ont jamais subi de harcèlement, ce n’est pas le cas de tous les enfants. C’est donc nécessaire que les professeurs soient outillés pour répondre à des gestes ou à des propos homophobes. » Pour Mona Greenbaum, vie familiale et vie professionnelle sont étroitement liées. Organisation de groupe de discussion, de conférence, de formation pour la sensibilisation… la militante multiplie les activités. Et son combat pour la reconnaissance légale et sociale des parents LGBT n’est pas prêt de s’arrêter.