Si l’on en croit l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, 23 % des lycéens fument chaque jour. On pourrait donc penser qu’ils seraient une cible privilégiée du Moi(s) sans tabac. Or, il n’en est rien. Pas d’écoute, pas de moyen et pas de temps, tel est le constat d’une infirmière scolaire.

Recueilli par Mahé CAYUELA

En novembre, le ministère de la Santé a relancé l’opération Moi(s) sans tabac. Ce défi national propose à tous les fumeurs et les fumeuses d’arrêter ensemble, pendant un mois. À Tours des intervenants se sont déplacés dans les universités pour sensibiliser les étudiants. Mais, dans les lycées, les infirmières scolaires, ont fait l’impasse. Le témoignage de l’une d’elle qui ne croit pas à l’utilité de ce type d’action auprès des adolescents.

Avez-vous reçu des directives du ministère de la Santé ?

L’État nous donne seulement les grandes lignes sur les thèmes à aborder : les substances addictives, l’éducation sexuelle et la formation à la sécurité. Il faut prévenir et sensibiliser mais on ne nous dit pas comment. Rien n’est obligatoire. C’est à nous d’évoquer ces sujets à notre façon.

« Il faudrait que tous les lycéens aient des heures consacrées à l’éducation à la santé et la citoyenneté »

Lors des temps forts, le ministère ne sollicite donc pas votre intervention ?

Dans le cas d’opération unique dans l’année, comme le Moi(s) sans tabac ou la Journée de lutte contre le sida, c’est une infirmière du Comité éducatif de santé et citoyenneté qui coordonne les actions au niveau départemental. Elle nous suggère des supports. Mais je le répète rien n’est obligatoire.

Avez-vous volontairement choisi de ne pas organiser d’action autour du Moi(s) sans tabac ?

Le Moi(s) sans tabac ne s’adresse pas aux adolescents. Nous favorisons les projets de longue durée en lien avec le programme scolaire. A cet âge, les campagnes choc ne sont pas efficaces. Les ados ne sont pas réceptifs. Il est déjà écrit sur les paquets de cigarettes que fumer tue. Ils sont inondés de pancartes et de prospectus pour les inciter à arrêter. Nous préférons mettre en place des ateliers et des groupes de parole pour ne pas les braquer.

En quoi consistent ces ateliers ?

En nous appuyant sur un jeu pédagogique proposé par le Cesc, nous favorisons la prise de parole des jeunes sur leur rapport aux substances addictives. Par groupe de dix, ils parlent, ils débattent et c’est à mon avis bien plus efficace que de les assommer de discours moralisateurs. Le discours de bonne sœur ne fonctionne pas, on le sait. Pendant qu’ils s’expriment, nous leur présentons des schémas et des chiffres pour déconstruire des idées reçues. Par exemple beaucoup pensent que la cigarette est moins addictive que d’autres drogues. C’est faux ! le tabac est la substance la plus addictive.

Faire dialoguer les jeunes à partir d’AddiAdo, un jeu de plateau. Photo : Mahé Cayuela/EPJT

Ces ateliers sont-ils organisés pour toutes les classes du lycée ?

Non, cela concerne uniquement les classes de secondes. Par manque de temps nous ne pouvons pas proposer ces ateliers à toutes les classes. Les élèves de terminale sont bien trop occupés par le bac et ceux de première participent déjà au programme d’éducation sexuelle. De plus, dans leur emploi du temps, nous n’avons aucun créneau pour organiser nos projets. Nous devons prendre du temps aux professeurs qui estiment souvent que leur matière est plus importante que nos ateliers.

Souhaiteriez-vous avoir des créneaux dédiés à l’éducation à la santé ?

Il faudrait que tous les lycéens aient des heures consacrées à l’éducation à la santé et la citoyenneté. Cela devrait même être une matière à part entière. Nous ne disposons pas d’assez de moyens. Ce n’est pas avec deux jeux sur les drogues et quelques prospectus que nous allons pouvoir ouvrir les yeux des adolescents. Nous sommes deux infirmières pour une quarantaine de classes. Nous sommes obligées d’avoir une approche générale de nos sujets. Nous ne pouvons pas consacrer une séance uniquement à la lutte contre le tabagisme.

Envisageriez-vous le Moi(s) sans tabac au lycée l’année prochaine ?

Si nous devons juste poser un stand dans le hall et accueillir deux intervenants, il n’y a aucune raison que nous refusions. Cependant il serait plus judicieux que le Moi(s) sans tabac s’adapte à son public : les ados n’entendent pas, il faut que la réflexion vienne d’eux même. Les intervenants devraient proposer des débats et des discussions. Mais là encore, on se heurte au même obstacle : le temps. Tant que les résultats scolaires primeront sur la santé de nos élèves, il sera impossible d’agir comme nous le souhaitons.