Chaque samedi les Coréens se déplacent en masse pour demander la démission de la présidente. (Photo Yu Jenny)

Depuis octobre 2016, les manifestations massives contre la présidente coréenne Park Geun-Hye ont révélé,  aux yeux du reste du monde, les problèmes du pays. Et les dernières péripéties – arrestation de l’héritier de l’empire Samsung, démission de la ministre de la Culture – ne font que mettre en relief les affaires de corruption que n’acceptent plus les Coréens. Les jeunes sont les plus en colère. Ils sont nombreux à se déplacer chaque week-end. Grands oubliés des politiques publiques, pour eux, le casse tête des fins de mois difficiles se transforme vite en enfer.

Par Nicolas Baranowski

La foule s’amasse à deux pas du palais présidentiel, sur la gigantesque place Gwangwhamun en plein centre de Séoul. La police aide les piétons à circuler hors des stations de métros d’où sort un flot incessant de manifestants. Suite aux révélations du Choi Gate (du nom de la confidente controversée de la présidente, Choi Soon-sil), les Sud-Coréens descendent en masse dans la rue. Et le 29 octobre, ce qui était prévu comme une simple manifestation syndicale, s’est transformé en petite révolution.

Depuis, tous les samedis soirs, les citoyens réclament la démission de la présidente empêtrée dans une série de scandales de corruption tentaculaire. Le nombre de participants n’a cessé de croître pour dépasser, dès le 12 novembre, le million. Ce 3 décembre 2016, ce sont environ 1,9 millions de personne qui se sont déplacé. Un nouveau record qui détrône les manifestation de 1987 qui ont fait sortir le pays de la dictature.

Drôle de coïncidence pour une présidente au lourd héritage. Park Geun-hye est la fille de l’ancien dictateur, Park Chung-hee. C’est autour de ce lien de parenté qu’avait tourné sa campagne. Park Chung-hee reste une figure controversée, tantôt vu comme un sombre autocrate, tantôt comme l’artisan de la réussite économique coréenne. Les débats avaient alors mis en évidence la fracture générationnelle dans le pays. Les tranches les plus âgées de la population plébiscitaient la candidature de Park. Les moins de 40 ans, quant à eux, étaient près de 70 % à voter pour son concurrent de centre gauche.

Dans la foule de manifestants, tous les âges sont représentés. Mais force est de constater que ce sont encore les jeunes les plus présents. Et pour cause, Park Geun-hye cristallise à présent les éléments du « Hell Chosun » (mélange de coréen et d’anglais pour « enfer coréen ») à leurs yeux. Corruption, conflits d’intérêt, inégalité des chances, chômage de masse… Plus que pour la destitution de la présidente (votée par le parlement coréen en décembre et toujours en cours d’instruction par la cour constitutionnelle), c’est pour crier leur colère que les jeunes sont venus.


Dans une rue adjacente à la place, les étudiants de la Korea University se sont donné rendez-vous. Les syndicalistes brandissent des étendards aux couleurs de l’université pour que les retardataires localisent rapidement leurs collègues dans la foule.

Park Ye-ji arrive sous les drapeaux. Elle s’apprête à terminer sa deuxième année d’économie. C’est la première fois qu’elle prend part à une manifestation. « Je n’ai pas l’habitude de ce genre d’évènements. Pour moi, les manifestations c’est synonyme de canons à eau qui tirent à la télé. » Quand ses amis lui demandent de ses nouvelles, sa réponse résume sa colère : « Ce semestre touche à sa fin et je me demande encore ce que je vais pouvoir faire l’année prochaine, ou même pendant les vacances. J’ai de grosses difficultés financières en ce moment. Donc non, ça ne va pas très bien. »

Ye-ji ne sait pas encore si elle pourra continuer sa licence. Chaque semestre, elle doit payer des frais de scolarité de 3 600 000 won (2 880 euros). Une somme qu’elle a de plus en plus de mal à avancer. « La période d’inscription à la bourse d’État a commencé et nous sommes tous inquiets de savoir si l’on va rentrer dans les critères ou non. Je devrai peut-être travailler au semestre prochain. Beaucoup de mes amis ont du mal à gérer seuls leurs dépenses. Et cette précarité se traduit souvent par de mauvais résultats à la fin du semestre. »

Des frais de scolarité écrasants

Les frais universitaires coréens s’élèvent en moyenne à 6 675 000 won (5 300 euros) pour une année de licence. Les coûts de scolarité dépassent les 10 millions de won (8 000 euros) pour une année de master selon la Korean Higher Education Research Institution. Des sommes déjà impressionnantes auxquelles viennent s’ajouter les frais d’inscription. « Pour ceux qui n’ont pas accès aux bourses, l’État a mis en place un système de prêts. Mais cela ne fait que repousser le problème », poursuit Ye-ji.

Les étudiants peuvent demander au gouvernement de payer leurs frais de scolarité, en s’engageant à les rembourser à l’obtention de leur diplôme. Mais ce système ne fait qu’augmenter les dettes de la jeunesse coréenne. Une pression supplémentaire qui vient s’ajouter à un système éducatif exigeant.

Le stress des examens n’est pas le même pour tout le monde. Chung Yoo-ra, la fille de Choi Soon-sil, semble en tout cas y échapper. Ce lien de parenté avec la confidente de la présidente lui aurait permis d’esquiver l’examen d’entrée de la prestigieuse université Ewha. Un traitement de faveur qui ne passe pas auprès des jeunes Coréens.

« Quand on a vu que le gouvernement se vantait de cette mesure, on s’est vraiment dit qu’il se moquait de nous. »

Une des promesses de campagne de Park Geun-hye était de diminuer de moitié ces frais de scolarité. Pari tenu si l’on en croit les vastes campagnes publicitaires menées par l’Etat en 2015. Les étudiants, de leur côté, parlent de propagande. Lee Su-cheon vient d’obtenir une licence en sciences politiques. Il économise pour effectuer un master en travaillant comme assistant dans son université. Il a déjà pu bénéficier du système de bourses pendant deux ans. Il reconnaît avoir été chanceux : « Les critères sont extrêmement stricts. Ils se basent uniquement sur le revenu. Les étudiants des familles nombreuses sont souvent directement disqualifiés, puisque les revenus du foyer sont un peu plus élevés, et donc juste au dessus de la limite du barème. Mais en réalité ces étudiants font souvent face à une situation bien plus difficile que la mienne. »

Lee Su-cheon

Malgré son acceptation en master, Su-cheon hésite à poursuivre ses études. (Photo Yu Jenny)

Su-cheon avoue avoir été attiré par la promesse de Park Geun-hye, tout en sachant qu’elle serait sans doute irréalisable. Mais plus que de la déception, c’est de la colère qu’il a ressenti en voyant les campagnes du gouvernement : « Plutôt que de réduire les frais, ils ont simplement créé une nouvelle catégorie de prêts s’élevant à la moitié de ceux-ci. Quand on a vu que le gouvernement se vantait de cette mesure, on s’est vraiment dit qu’il se moquait de nous. » Même s’il fait parti des rares étudiants à avoir un emploi stable, Su-cheon reste incertain quant à son avenir : « L’université m’a engagé pour deux ans. Entre temps mon inscription en master a été acceptée. Mais je ne peux pas me lancer dans deux années de plus sur un coup de tête. J’ai encore une dette de 7 000 000 won (5 600 euros) à rembourser. »

Su-cheon restera toute la nuit chanter pour demander la démission de la présidente. Et il n’est pas le seul étudiant désespéré. Selon le site internet de recherche de job Incruit, mis à part les frais étudiants, ses camarades ont en moyenne 2 580 000 won (2 000 euros) de dettes par année d’étude, dans le pays d’Asie de l’Est où le chômage des jeunes est le plus élevé.

« Ce qui unit les manifestants, c’est la volonté de faire partir la présidente »

Derrière son look discret de bon élève, Yu Jeong-heon passe inaperçu dans les couloirs de la Korea University de Séoul. Pourtant, à 20 ans, il porte les revendications de 19 000 étudiants de licence. En deuxième année de médias et communication dans l’une des plus exigeantes et plus renommées universités de Séoul, il doit concilier ses révisions avec le poste de dirigeant du comité exécutif syndical.

Yu Jeong-heon a dirigé en mai 2015 les actions pour la réductions des frais de scolarité. (Photo Anam Student Union)

Avec les examens qui approchent à la fin du mois de décembre et les manifestations qui gagnent en ampleur, comment fait-on pour gérer ses responsabilités ?

Yu Jeong-heon. Sans oublier que je suis aussi journaliste pour l’hebdomadaire de l’université. C’est vrai que c’est compliqué à gérer. Personne n’avait prévu l’ampleur de ces manifestations. Le 3 décembre dernier, près de deux millions de Coréens se sont déplacés. Je suis obligé de rater des cours pour les réunions syndicales et de rattraper en révisant ensuite. Je dois avouer que je ne dors pas beaucoup en ce moment.

Le syndicat ne s’occupe que de ce campus. Est-ce que vous avez quand même des contacts avec les autres universités ?

Y. J. Bien sur. L’organisation ressemble aux bureaux locaux de vos syndicats étudiants en France. Sauf qu’ici, chaque bureau a son propre nom et manifeste sous le drapeau de son université. Mais on s’entend bien.

Vous effectuez donc des actions ensemble.

Y. J. On essaye de s’organiser quand on agit à une plus grande envergure. Comme par exemple, en février 2016, pour le prix des dortoirs. Les dortoirs universitaires sont en moyenne plus chers de 15 % que les autres logements du quartier. Le 11 février 2016, avec les universités Konkuk et Yonsei, nous avons ensemble annoncé notre volonté d’attaquer nos établissements en justice. Ils refusaient de révéler leurs informations quant à la gestion de leurs logements.

N’avez-vous pas peur que ces actions puissent avoir des répercussions sur votre cursus ?

Y. J. La seule crainte qu’on peut avoir, c’est au niveau des examens, des travaux à rendre, et des absences. Heureusement, la plupart du temps, pour tous ces soucis, les professeurs sont assez compréhensifs. Encore plus ce semestre, puisque nos revendications ne concernent pas que les étudiants, mais les Coréens en général. Même si nous n’avons pas tous les mêmes raisons, tout le monde veut que Park Geun-hye soit destituée.

Les images de manifestations coréennes sont parfois impressionnantes, avec les nombreux cars de forces anti-émeutes, les canons à eau… Un agriculteur de 68 ans en est mort l’an dernier. Pourtant, en ce moment, les gens viennent protester en famille.

Y. J. Le contexte était différent. En ce moment, la priorité, ce ne sont pas les revendications sociales. Ce qui unit les manifestants, c’est la volonté de faire partir la présidente. Elle a trahi le pays, elle a abusé de son pouvoir. Peu de personne croient encore en elle, seuls 5 % des Coréens l’apprécient encore. On a même pu voir dans les médias et sur les réseaux sociaux des photos de policiers chargés de la sécurité de la manifestation prendre des photos souvenirs avec des participants. Même s’il y a eu quelques incidents, on a clairement affaire à quelque chose de plus festif qu’une manifestation classique. C’est vrai que comparé aux autres actions auxquelles j’ai pu participé, c’est étonnant. Mais c’est aussi encourageant. Le scandale a aussi permis de réveiller la conscience politique de certains, surtout des jeunes. Maintenant, on espère que cette conscience se transformera en engagement. N. B.