Des militants chrétiens et LGBT se font face pendant la gay pride de Séoul en 2015 (photo : Simon Williams-Im).

Alors que les droits des personnes LGBT (lesbiennes, gays, bis, trans) progressent dans le monde, les États ultra modernisés d’Asie de l’est semblent prendre du retard. Dans l’opinion publique sud-coréenne, le fossé générationnel se fait de plus en plus grand. Si les génération les plus âgées refusent massivement d’accepter l’homosexualité,  considérant qu’il s’agit d’un mal venu de l’Occident, les plus jeunes militent pour plus de tolérance.

Par Nicolas BARANOWSKI

Interdire d’épouser une personne du même sexe est une violation « de la liberté des individus à se marier ». C’est la conclusion à laquelle est arrivée le 24 mai 2017 la Cour constitutionnelle de Taïwan. Une décision qui ouvre la voie à une légalisation du mariage entre personne du même sexe par le petit État. Il deviendrait alors le premier d’Asie à l’autoriser. Le même jour, en Corée du Sud, une cour militaire condamnait un capitaine à six mois de prison pour avoir eu des relations sexuelles avec certains de ses collègues masculins.

Le service militaire est encore obligatoire pour tous les citoyens coréens de sexe masculin. Un passage obligé,au milieu de la vingtaine et d’une durée de deux ans environ. Unepériode déjà compliquée à vivre pour la plupart des conscrits, mais qui devient un véritable cauchemar pour les homosexuels. Le Military Criminal Act prohibe toute relation entre hommes. Cette loi liberticide est pointée du doigt par de nombreuses ONG. La Cour constitutionnelle coréenne a été saisie à plusieurs reprises lors des vingt dernières années pour l’abolir (2002, 2011 et 2016), en vain. Dans la vie civile, l’homosexualité est tolérée, le pays n’en reste pas moins très homophobe.

Une pancarte contre le mariage gay dans une contre-manifestation lors de la gay pride de séoul en 2015 (photo Simon Williams-Im)

Lorsque l’on pense à la Corée en Europe, les premières images qui viennent à l’esprit sont sans doute les nombreux groupes dont les membres sont sexualisés à outrance. Pourtant, le pays reste très conservateur, en particulier sur les droits de personnes LGBT . Encore aujourd’hui, les personnes âgées voient l’homosexualité comme un problème venu d’Occident. Beaucoup de mots utilisés pour désigner les personnes LGBT en coréens sont de simples transcriptions de l’anglais. Les quelques clubs gays et lesbiens de la capitale sont regroupés dans Itaewon, le quartier étranger, sur une colline surnommée « Homo Hill » par les habitants. En 2013, selon le Pew Research Center, seulement 39 % des Coréens pensaient que l’homosexualité devrait être acceptée par la société.

Les jeunes plus tolérants

Mais les mentalités commencent à bouger au pays du Matin calme. En effet, ces même statistiques alarmantes font apparaître aussi un fossé générationnel conséquent. Si seulement 16 % des plus de 50 ans approuvent l’homosexualité, ce même chiffre grimpe à 71 % pour les 18-29 ans. Les jeunes semble de plus en plus s’émanciper du poids de la tradition.

Un des derniers exemples de taille a lieu en novembre 2015, à l’université nationale de Séoul, établissement le plus prestigieux du pays. A l’élection du représentant des étudiants, Kim Bo-mi est l’unique candidate. Vice-présidente dans l’équipe sortante, elle choisit comme slogan de campagne « Avançons unis vers la diversité ». Lors de son discours, elle dit vouloir faire de l’université nationale de Séoul un espace où « personne ne sera discriminé pour son style de vie ». Et, rapporte le Korea Herald, elle précise : « Je veux que les étudiants s’aiment pour ce qu’ils sont et vivent dans ce monde en ayant confiance en eux. C’est pourquoi je vous le dis aujourd’hui : je suis lesbienne. »

Affiche de campagne de Kim Bo-mi lors de l’élection étudiante de 2015

Un coming-out retentissant suivi d’un intérêt sans précédent pour le scrutin. Après la diffusion de cette allocution, le site internet du journal de l’établissement finit par s’écrouler sous le nombre de visites. L’élection qui s’étale sur quatre jours dépasse les 50 % de participation pour la première fois depuis dix-huit ans. Kim Bo-mi, étudiante en « child development and family studies » devient la première personnalité ouvertement LGBT à prendre un poste à responsabilité dans une université coréenne.

« Queer I am »

Depuis le début des années deux mille, l’activisme LGBT progresse. C’est d’ailleurs en 2000 qu’est organisée, pour la première fois, une marche des fiertés dans la capitale, à Séoul. Nommée Queer Culture Festival, elle réunit pour sa première édition tout au plus une cinquantaine de personne. En 2016, ce sont pas moins de 5 000 personnes LGBT ou « alliées » qui se sont retrouvée dans la rue. Une succès qui appelle forcément son lot de réactions.

Des associations, pour la plupart chrétiennes évangélistes, viennent, en costume traditionnel, contre-manifester chaque année. Ils rivalisent de percussions et de poses théâtrales. Leurs pancartes en anglais assènent : « L’homosexualité est un péché, revenez vers Jésus ! » Elles ne découragent guère les manifestants. Lors de la dernière édition, le mot d’ordre était : « Queer I am. » Un jeu de mot où queer (« bizarre » en anglais, à l’origine une insulte que se sont réapproprié les personnes LGBT) remplace le « here » de « Here I am », « Je suis là ». Histoire de rappeler, dans une société où ils sont souvent invisibilisés, qu’ils sont bien présents et comptent bien se battre pour leurs droits.

Même dans les productions culturelles, les homosexuels ne sont que très peu représentés. Et quand ils le sont, le portrait qui en est fait est le plus souvent discutable. On peut prendre l’exemple de la série télévisé The 1st Shop of Coffee Prince en 2007. Le personnage principal, un homme, tombe amoureux d’un serveur, en fait une femme travestie pour pouvoir travailler dans ce café où les employés sont majoritairement des hommes. Le héros questionne sa sexualité et va jusqu’à voir un médecin qui lui conseille un remède contre son homosexualité supposée. Tout rentre dans l’ordre quand il découvre qu’il aime en fait une femme.

« J’ai ajouté le code homosexuel comme outil dramatique »

Hong Won-ki, le réalisateur

En novembre 2016, le clip de One More Day, du groupe de K-pop Sistar accompagné de Giorgio Moroder, présente une relation lesbienne. Mais quand le journal progressiste Kyunghyang Shinmun interroge Hong Won-ki, le réalisateur du clip, sur ses raisons, on est bien loin de revendications militantes. « J’ai ajouté le code homosexuel comme outil dramatique pour faire passer le message que les femmes peuvent être plus fortes ensemble. »

L’homosexualité dans l’industrie culturelle n’est vue que comme un outil scénaristique, d’où cette appellation étrange de « code ». L’invisibilisation des LGBT s’immisce jusque dans les emojis. Comme le rapporte Korea Exposé, le 2 mars 2017, alors que Samsung intégrait sur ses nouveaux téléphones 14 nouveaux emojis représentant des couples homosexuels. Une action qui lui a valu une attaque de la part du quotidien Kookmin Ilbo, possédé par une fondation contrôlée par des églises protestantes du pays. Le constructeur a alors modifié les nouveaux émoticônes. Selon un représentant de la marque cité par Korea Exposé : « Nous avons fait de notre mieux pour réduire le code homosexuel. »

Et malgré l’alternance libérale en mai dernier les choses ne sont pas près de changer. Le nouveau président Moon Jae-in, pourtant acclamé par les jeunes votants l’a d’ailleurs rappelé lors d’un débat télévisé le 25 avril : « Personnellement, je suis contre les homosexuels. » Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant que la Corée du Sud puisse elle aussi ouvrir la voie à la légalisation du mariage entre personnes du même sexe.