En pleine crise migratoire internationale, le projet « Comme à la maison » (CALM), a été lancé par Singa Québec en mars 2016 à Montréal. La plateforme met en relation les réfugiés et les particuliers. L’association a pour objectif de créer un lien entre les migrants et les sociétés d’accueils.
Par Camille Sellier
« Je me sens comme chez moi », affirme Adel Sakkal, sourire aux lèvres et bière à la main. A Montréal, un mercredi de mai, le réfugié syrien de 28 ans et l’équipe de Singa Québec sont réunis dans le jardin de Philippe Angers et Caroline Therriault pour faire le bilan de ce premier mois de cohabitation. Ce couple de Québécois d’une trentaine d’années héberge depuis le mois d’avril Adel grâce au projet Comme à la maison (Calm), lancé par l’association. L’idée ? Une plateforme d’hébergement pour les particuliers et les réfugiés afin de favoriser leur inclusion socio-professionnelle.
Singa est née en France. La plateforme que les médias ont surnommé le « Airbnb des réfugiés », a été lancée en juin 2015. En septembre dernier alors que la crise migratoire était au cœur de l’actualité, le projet a suscité l’engouement. Quelque 210 réfugiés auraient été accueillis par des familles affirmait l’association en février 2016.
A Montréal, Singa Québec a été créé en novembre 2015. Le projet Calm a été mis en place en mars dernier. Adel fait partie des premiers réfugiés à avoir rejoint le programme. « Avec Philippe et Caroline c’est un match total, ils postent des photos sur Facebook, ils sortent ensemble. C’est typiquement ce qu’on recherchait en créant la plateforme. Qu’ils deviennent potes », explique Yann Berhault, co-directeur de l’association québécoise.
En quelques semaines, le trio a rapidement tissé des liens. « Ça s’est fait très simplement, souligne Philippe. Les premiers jours, c’était important pour nous qu’il se sente à l’aise dans les espaces de vie commune. Adel a repris des études, moi aussi, donc on passe des soirées à étudier ensemble. On va boire des bières, on cuisine ensemble… » Adel lui coupe la parole. « On cuisine de la poutine syrienne (plat typique québécois, NDLR) », ironise le réfugié. Eclats de rire. Et regards complices entre les deux hommes.
Une adaptation difficile
Originaire d’Alep, Adel a rejoint le Canada en décembre 2015 pour fuir la guerre. La promesse électorale faite en octobre dernier par Justin Trudeau, Premier ministre canadien, d’accueillir 25 000 réfugiés syriens d’ici la fin de l’année 2016 a accéléré son arrivée. Au Canada, les réfugiés syriens sont soit pris en charge par le parrainage public, c’est-à-dire l’Etat, soit par du parrainage privé : un organisme – ou un individu – assume les coûts et les obligations de l’installation de réfugiés. Adel, lui, a été accueilli par Joseph Ayuses, son « sponsor » comme il l’appelle. « Au début c’était vraiment un choc. J’avais l’impression d’être sur une autre planète. Mais Joseph m’a aidé pour faire les démarches administratives et j’ai habité chez lui pendant cinq mois. »
Début janvier, le réfugié a trouvé du travail dans une usine de fromage. Un travail qu’il espère provisoire car avec son master d’ingénieur en agro-alimentaire, il souhaite trouver un meilleur emploi. « Je veux absolument changer de travail car c’est vraiment dur. Mais je n’ai pas le choix, il me faut de l’expérience canadienne. Pour mon CV c’est important, explique Adel. Je fais beaucoup de sacrifices pour obtenir cette expérience. Je veux reprendre des études à l’université à Montréal pour pouvoir trouver par la suite un travail dans mon domaine. »
Après la barrière de la langue, trouver un travail qui correspond à leur niveau d’étude est un des principaux obstacles rencontrés par les réfugiés. « La plupart des jeunes Syriens sont prêts à faire n’importe quel travail ici pour survivre. La plupart ont des masters mais deviennent vendeurs de pizza ou barman. Le gouvernement fait beaucoup de choses pour nous mais après notre arrivée, on se demande “qu’est-ce que je peux faire maintenant ?” Nous ne savons pas comment nous y prendre, reconnaît le jeune homme. Beaucoup d’organismes disent qu’ils vont nous aider mais ce qui est important pour moi, ce n’est pas qu’on me donne un bout de pain mais qu’on me donne des idées. »
L’attente de la rencontre
Un sentiment d’isolement ressenti par la plupart des réfugiés à leur arrivée, comme l’explique Jasmine Van Deventer, co-directrice de Singa Québec. Susciter les interactions, des échange entre les réfugiés et la société canadienne, c’est la philosophie même de l’association. Pour cela, Singa propose plusieurs activités au-delà de son programme d’hébergement : l’inclusion socio-professionnelle, les projets artistiques, culturels et sportifs, les cours de français, de théâtre et de yoga (voir encadré ci-dessous). Une démarche qui se veut complémentaire des organismes d’accueils traditionnels administratifs ou juridiques. « Pour l’apprentissage de la langue par exemple, c’est nécessaire. Apprendre la grammaire c’est bien, mais il faut aussi un cadre ludique où les gens puissent rigoler et échanger. Il faut cette dimension ajoutée, explique la directrice. Rencontrer des gens, des Québécois, c’est l’attente la plus importante dans le discours des réfugiés. »
Le sentiment de solidarité
Une rencontre et une cohabitation réussie pour Adel et ses hôtes montréalais. Le jeune homme attend désormais que sa mère et sa sœur, restées à Alep, puisse venir le rejoindre. « J’espère que je vais construire ma vie avant qu’elles arrivent et en même temps j’espère qu’elles vont pouvoir quitter la Syrie rapidement car la situation est vraiment difficile. Il n’y a plus d’universités, plus de médicaments, les prix des produits ont été multiplié par douze », regrette Adel. Lorsqu’il évoque son pays, le Syrien perd son sourire. Et son visage se ferme. « Se réveiller chaque jour en remerciant le seigneur car on est encore en vie, ce n’est pas une vie normale, ajoute-t-il. Mais je suis vraiment content de l’accueil que j’ai reçu au Canada et je veux faire quelque chose pour aider les autres en retour. » En mars 2016, le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, a reconnu que l’implication des citoyens eux-mêmes contribuerait à accroître le sentiment de solidarité au sein même de la terre d’accueil. Il a salué le modèle canadien, qui allie le parrainage privé à la prise en charge par l’État et souhaite qu’il soit imité ailleurs dans le monde.
Singa : l’initiative citoyenne française exportée au Québec
Singa, « prêter » en bambara, la langue nationale du Mali, est un mouvement citoyen dont le but est de créer un lien entre les réfugiés et les sociétés d’accueils. A l’origine du projet, Guillaume Capelle et Nathanaël Moll, deux Français diplômés en relation internationale qui souhaitaient monter une structure pour changer l’image des réfugiés et faciliter leur intégration.
L’association française, qui ne cesse de se développer depuis sa création en 2012, s’est exportée à l’étranger. Elle s’est implantée en Allemagne, au Maroc, en Australie et, en novembre dernier, au Canada. « Le Québec est la terre d’immigration par excellence, explique Yann Berhault, un Français co-directeur de l’antenne québécoise. Le milieu social est très développé ici, il y a de multiples collaborations possibles. »
Le jeune entrepreneur a rejoint, avec Nabil El Qamçaoui, le projet porté par Jasmine Van Deventer au Québec. Les deux hommes sont issus de la même formation que les fondateurs français. Mais les trois co-directeurs l’affirment, les deux associations travaillent indépendamment. « Financièrement comme dans la gouvernance, affirme Jasmine Van Deventer. Mais bien sûr, nous collaborons avec Singa France. Nous avons des liens très resserrés avec eux car ils ont quatre ans d’expérience. Ils ont mis en place beaucoup de choses en France. Nous échangeons des idées. »
Afin que les réfugiés puissent tisser des liens, Singa Québec a déjà lancé quatre programmes : les échanges linguistiques et culturels, CALM et Singa Famille qui consiste à jumeler des familles de réfugiés avec des familles québécoises. Dans la même démarche d’intégration socio-professionnelle, l’association travaille sur un nouveau projet : Singa 360. L’objectif ? Une porte d’entrée dans l’entreprenariat pour les réfugiés avec des ateliers accompagnés de professionnels, du mentorat et de l’entraide.
« L’entreprenariat est une bonne idée car les réfugiés arrivent dans une société nouvelle. Ils remarquent des manquements, des dysfonctionnements que la société québécoise ne peut pas voir. Ils peuvent y apporter quelque chose », souligne Yann Berhault. L’association se lance progressivement. Elle compte une trentaine de bénévoles et une quinzaine de réfugiés ont participé aux différents programmes. L’organisme à but non lucratif (OBNL), qui fonctionne pour le moment avec des dons privés, est à la recherche de plus de visibilité afin de créer encore plus de solidarité au sein de la communauté. C. S.