Photo : Gianluca Carmicella (Creative Commons)

En France, ils sont de plus en plus nombreux ces retraités, issus de minorités fragilisées, qui cherchent refuge auprès des leurs pour passer le reste de leur vie. Ils souhaitent assumer ouvertement leur sexualité, partager une philosophie ou encore être aidé dans la pratique de leur religion. C’est ainsi que se multiplient les maisons de retraite communautaires.

Par Toinon Debenne et Lucie Martinez

« Je rigole souvent avec mes amis quand on délire sur ce que serait une maison de retraite LGBT. Trois pédés, deux lesbiennes, une folle transgenre, il y a tout pour faire l’ébauche d’un blockbuster au cinéma. » Dans un éditorial datant de 2009 pour Minorités, le webzine qu’il a fondé, Didier Lestrade (également fondateur de la fameuse revue gay Têtu) se fait des films. Nous sourions car son scénario a finalement quitté le domaine de la fiction.

Les seniors représentent près d’un tiers de la population française, soit près de 20 millions. Photo : Horia Varlan (Creative Commons)

Des maisons de retraite pour gays sont aujourd’hui sérieusement envisagées par les associations AIDES, SOS Homophobie et LGBT. Les détails sont donnés dans le rapport sur le vieillissement des personnes âgées lesbiennes, gays, bisexuelles et transexuelles, remis en novembre dernier à la ministre chargée des Personnes âgées et de l’autonomie de l’époque, Michèle Delaunay. « Il existe une demande réelle et récurrente », peut-on y lire. Michael Bouvard, membre de SOS Homophobie, nous explique : « Les homosexuels ont un vécu de clandestinité. En fin de vie, ils cherchent un endroit où ils pourraient être eux-mêmes. » Un endroit « plus que gay friendly », précise-t-il. Entendez que les hétéros y sont les bienvenus mais qu’ils n’y mettront probablement pas les pieds. Michael Bouvard est conscient des risques. Mais « il s’agit en quelque sorte d’une ghettoïsation en réponse aux discriminations ». Ces maisons sont une réponse particulière à une situation particulière. Car il est vrai qu’avec l’âge, les LGBT en ont marre de se cacher.

La protection des personnes âgées LGBT était déjà évoquée en 2012 dans le plan d’action contre l’homophobie de Najat Vallaud Belkacem, ministre des Droits des femmes. Une conférence LGBT-Île-de-France avait lieu la même année. En janvier 2013, le rapport sur l’adaptation de la société au vieillissement de sa population, était publié par le gérontologue Luc Broussy. Mais ce n’est que récemment que les premiers projets ont vue le jour. Très timidement : les pouvoirs publics restent frileuses devant les demandes de subventions. Le plus abouti est privé : le village-retraite basé à Sallèles dans l’Aude, présenté en juillet 2013 au maire comme un lieu ouvert à tous les retraités, et qui a finalement orienté son offre vers les personnes homosexuelles.

Chibanis, les délaissés des trente glorieuses

Mais celles-ci ne sont pas les seules à appeler de leur vœux une vieillesse communautaire. Et à avoir du mal à faire valoir leur besoin de maisons de retraite communautaires. Ainsi, les « chibanis » (« vieux » en arabe algérien) en ont vu passer des rapports les concernant. Celui sur les immigrés vieillissants, en 2002, celui sur la condition sociale des travailleurs immigrés âgés, le rapport Jacquat-Bachelay, en 2013… Sans qu’aucune solution ne soit trouvée pour ces hommes, accueillis en masse dans les années cinquante à soixante-dix en France et maintenant devenus vieux. Et seuls. Par exemple, le projet d’Hanifa Chérifi, membre du Haut Conseil à l’intégration, est au point mort.

Les anciens travailleurs maghrébins se retrouvent seuls. Photo : Neil Moralee (Creative Commons)

Autant dire que lorsqu’il s’agit en plus de retraités musulmans, les chances de créer un établissement communautaire sont encore plus minces. Nous rendons visite à l’avocat parisien Me Chems-Eddine Hafiz. « L’islam suscite des réticences », lance-t-il. C’est en partie ainsi qu’il explique les refus et silences des mairies d’Île-de-France qu’il a sollicitées pour son projet. Depuis 2009, il tente de donner naissance à une maison de retraite médicalisée pour musulmans. « Les contraintes de la religion sont nombreuses : cinq prières quotidiennes vers la Mecque, les ablutions, le ramadan… Un tel établissement aurait un intérêt pratique. Il permettrait aussi que ces personnes vivent leurs dernières années dans un bain culturel qui est le leur. Je pense que c’est nécessaire pour des gens aussi vulnérables. » Me Hafiz est allé faire part de ses envies au président de la République de l’époque, au ministre de l’Intérieur, aux conseillers du Premier ministre. « On m’a dit, vas-y, va-y. On m’a encouragé. » Mais à ce jour, aucune maison de retraite musulmane n’est encore sortie de terre.

Les Babayagas, elles, sont parvenues à leurs fins. Elles ont ouvert leur foyer, rue de la convention à Montreuil, le temps et la médiatisation aidant. Mais si l’association fondée en 1999 a abouti à un bâtiment de quatre étages en dur, en 2012, pour 21 vieilles femmes féministes, c’est avant tout parce que Thérèse Clerc, la première d’entre elles, s’est fait violence pour adoucir son discours. Les panneaux affichent un positif « vieillir joyeuse ». Pas grand chose à voir avec le fond de la pensée de Thérèse Clerc : « Je ne vois pas pourquoi on nous obligerait à accueillir des mecs. Ils n’ont qu’à se construire eux aussi des immeubles. » Sans précaution, les 4 millions d’aides publiques à la construction n’auraient pas été versés. « Michèle Delaunay me l’avait dit, “ tu comprends, il faudra mettre de l’eau dans ton vin ”. Nous avons aussi ici, quatre studios réservés à des étudiants, ce qui nous permet de bénéficier du régime des logements sociaux. »

Respecter la mixité même en trichant, ça aide. Mais si le repli  sur sa communauté est un désir chez  les personnes âgées, le  chemin vers les nouvelles formes de communautarisme est tortueux.

Alzheimer, l’ennemi du Coran

C’est en 2009 que l’avocat franco-algérien, Chems-Eddine Hafiz se lance son projet : fonder des maisons de retraite médicalisée réservée aux musulmans. Il crée le fond social des musulmans de France. Il espère recevoir des dons pour financer ce projet hors du commun. Le placement des anciens en institution est mal vu par la communauté, mais Me Hafiz rappelle que tout le monde n’a pas de famille. C’est notamment le cas des chibanis, « ces travailleurs, que la France a accueilli pour soutenir sa croissance dans les années cinquante à soixante-dix. » Beaucoup sont restés et vivent isolés dans les foyers de travailleurs migrants. Or, lorsque la maladie guette, que la dépendance s’installe, l’assistance est indispensable.

Les contraintes de la religion

Un des arguments principaux de Me Hafiz est la pratique de la religion. Comment, alors que la mémoire fait défaut, que le malade est désorienté, se rappeler des prières et des rites ? « Imaginez quelqu’un qui pratique sa religion depuis l’âge de 13 ou 14 ans, qui fait ses prières quotidiennes, observe le Ramadan et les rituels, du matin jusqu’à la tombée de la nuit. Avec la maladie, il ne sait plus s’il a fait ses ablutions ou si sa dernière prière était celle de l’après-midi ou du soir. C’est vraiment terrible. » Dans son projet, les soignants, eux-mêmes musulmans, pourraient aider les patients.

Quelque 3 millions d’euros seraient nécessaires pour l’équipement de base d’une structure de 120 places.

Pour aller plus loin

En Belgique aussi
Europe : Des maisons de retraite pour musulmans européens

 

« Les maisons communautaires sont discriminatoires, mais nécessaires »

Depuis le début des années deux mille, les populations vulnérables souhaitent vieillir avec leurs semblables. Leur intégration dans les établissements classiques est souvent difficile. Alors les structures communautaires se présentent comme une solution.

 

Photo FNAPEPA

Claudy Jarry a 49 ans. Il est ingénieur de formation et directeur régionale adjoint de la Croix-rouge du sud-est. L’entre soi chez les anciens,  est une question familière pour le président de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et de services pour les personnes âgées

Pourquoi les maisons de retraite communautaires se développent-t-elles ?

Tout simplement parce que des personnes en ont besoin. C’est pour cela que des professionnels travaillent autour de la thématique de la vieillesse communautaire. La question se pose par exemple pour les personnes âgées en milieu carcéral car la population de plus de 60 ans représente une part importante des prisonniers. C’est également le cas pour les immigrés, majoritairement maghrébins, arrivés en France dans les années soixante pour travailler, et qui sont maintenant à la retraite. Les séropositifs sont également concernés : avec l’évolution des thérapies, ils vivent plus longtemps et ont besoin de soins particuliers. Le vieillissement communautaire est un véritable enjeu. Ces gens veulent se retrouver entre eux car cela leur offre une forme de protection et d’aide pratique.

Pensez-vous que l’Etat doit prendre sa part dans la construction de tels lieux ?

Pour l’heure, la réponse des institutions n’est pas à une approche communautaire. Je ne suis d’ailleurs pas sûr que la loi autoriserait ces structures. En effet ce sont des maisons de retraite exclusives. Seul un certain type de population y est accepté. L’entrée est refusée aux autres. Elles sont donc clairement discriminatoires. De plus nous aspirons tous à l’intégration et ce genre d’endroit apparaît comme moralement peu souhaitable. Mais, le pragmatisme doit l’emporter. Ces maisons sont une réponse à certaines difficultés. Les politiques publiques doivent veiller au respect de la personne et par conséquent proposer des établissements adaptés à chacun.

Vous avez connaissance d’exemples où l’intégration n’a pas fonctionné dans une maison de retraite classique ?

A côté de Béziers, on a tenté d’insérer un détenu dans un de ces établissment. Ça a été un véritable échec. Cette personne n’était absolument pas intégrée. Les autres pensionnaires avait peur de lui. On peut constater ce genre de phénomène partout, mais c’est d’autant plus difficile lorsqu’il s’agit d’un groupe d’âge avancé. Chacun a ses habitudes, sa vision des choses… Peut-être que si deux ou trois autres personnes qui avaient vécu en prison comme lui, l’avait rejoint, il se serait senti moins isolé. Une autre expérience a été menée à Perpignan : une structure pour personnes âgées pauvres a été installée dans le parc d’une maison de retraite. Mais les autres résidents et leurs familles ont été difficiles à convaincre. Ces gens qui vivent des situations particulières ressentent avec violence l’exclusion et préfèrent donc cultiver l’entre soi. Le marché de la vieillesse devra s’adapter à l’émergence de ces populations.

Quelles alternatives peut-on trouver à ces lieux de vie communautaires ?

Imaginez un couple homosexuel vivant dans une maison de retraite classique. Le regard des autres peut-être très dur. Il faut donc inciter les directeurs de ces
structures à faire un travail de communication à l’égard des résidents et de leurs proches, pour permettre l’intégration de tous. Il faut aussi mieux former le personnel soignant : il est important de s’adapter aux besoins spécifiques. Enfin un champ d’intimité doit être respecté.