A l’école Katrinebjergskolen d’Aarhus, au Danemark, une classe accueille des enfants autistes avec un objectif simple : faire de l’inclusion scolaire une réalité.
Par Anne-Laure de Chalup
« Si les enfants n’apprennent pas de la façon dont on leur enseigne, eh bien nous devons enseigner de façon à ce qu’ils apprennent », martèle Brita Jensen, responsable de la première classe « nest » (nid) d’Europe. Au milieu de la cour, les balançoires en bois sont battues par le vent. Les enfants s’apprêtent à entrer en classe. Dans l’enceinte des petits bâtiments aux allures de chalets, c’est l’effervescence : certains profitent des derniers instants de liberté pour jouer à cache-cache entre les voitures du parking, d’autres se lavent les mains. Pas d’adulte pour faire la police.
C’est ainsi que les Danois conçoivent l’éducation : apprendre à faire confiance et à responsabiliser les enfants. Dans ce contexte, « c’était sûrement plus facile pour nous d’accueillir une classe ouverte aux enfants dits “normaux” aussi bien qu’aux enfants autistes », concède Karina Poulsen, éducatrice à la Katrinebjergskolen. Pourtant, le concept n’est pas né en Scandinavie mais à New York, en 2001. C’est la municipalité d’Aarhus qui a souhaité que ce modèle soit étudié. En effet, les mairies sont responsables de la prise en charge des autistes depuis le plan national autisme de 2006.
De New York à Aarhus
De ses deux voyages outre-Atlantique, l’équipe danoise a ramené une pédagogie basée sur l’adaptation aux besoins de chacun. Elle aime à rappeler que chaque élève est semblable à un iceberg dont seule une infime partie est visible. Pour les autistes, elle peut être très bruyante, difficile à gérer, mais il y a toujours une explication qu’il faut chercher à comprendre : la partie cachée de l’iceberg.
Presque cinq mois après la première rentrée, le personnel éducatif semble avoir saisi comment faire de la classe Nest un espace d’apprentissage apaisé. Dans cette classe à effectif réduit, cohabitent seize enfants dont quatre enfants autistes.
Au mur, des autocollants détaillent le programme de la journée. Ce jour-là, lecture d’un conte, danois et mathématiques, mais aussi gym et expression corporelle, « un moyen de prendre conscience de son corps, ce qui est important pour les autistes », précise Karina Poulsen. Outre le programme du jour, chaque activité est détaillée. L’inconnu est une source d’angoisse pour les autistes. L’éducatrice se souvient qu’au début, elle s’était contentée de simplement coller l’autocollant « dessin ». Mais cela ne suffisait pas à les rassurer. Il lui a fallu préciser toutes les étapes depuis la disposition des feuilles jusqu’au lavage des mains final.
Au fond de la classe, trône un fauteuil aux bords très hauts. Un plaid posé dessus lui donne des allures de cabane. « C’est le coin de pause. Ceux qui en ressentent le besoin peuvent s’y isoler à tout moment de la journée », explique Karina Poulsen.
Autre élément emprunté à leurs collègues américains, le recours à des boîtes individuelles pour les autistes. Véritables coffres à trésor, ils y rangent objets, photos ou toute autre chose susceptible de les apaiser. Pour Emma, c’est un petit chat…
Cette méthode pédagogique semble avoir fait ses preuves. Pour mieux le prouver, Brita Jensen, responsable du programme, lit une lettre de parents d’élèves. Ceux-ci y font part de leur gratitude et livrent une anecdote : « Notre fils est un jour rentré de l’école en disant que, ici, les maîtresses n’avaient pas crié mais, au contraire, souri avec leurs dents toutes blanches. »
Et il est vrai que dans les couloirs de cette école, personne n’élève la voix. Enfants et adultes sont au même régime. Plus que pour n’importe quels élèves, le corps enseignant se doit de montrer l’exemple aux enfants autistes. Un système de couleurs précise le niveau sonore à ne pas dépasser. Il varie selon les activités. Amenant ses mains à ses oreilles, Karina Poulsen montre l’attitude qu’elle adopte en cas d’entorse à la règle. « Je ne donne jamais d’ordre direct, j’essaie d’amener les enfants à comprendre quand adapter leur comportement », explique-t-elle.
Penser l’apprentissage autrement
Le secret de la méthode Nest tient dans cette façon de tourner le négatif en positif. Ainsi, si un enfant autiste ne veut pas s’asseoir, les enseignants ne vont pas le lui demander. Ils vont plutôt en féliciter un autre qui, lui, sera assis. « L’idée est de ne pas attirer l’attention sur les autistes, mais d’attirer leur attention sur les comportements à imiter ; les amener à se demander si, en fin de compte, ce n’est pas là la bonne façon de faire », résume Brita Jensen.
Si l’équipe est convaincue du bien-fondé de sa méthode, elle doit faire ses preuves. En effet, pour financer les enseignants et l’équipement supplémentaires, la Katrinebjergskolen a fait appel à des financement privés. La fondation Egmont leur a accordé leur confiance pour trois ans, à condition d’accepter un suivi scientifique des résultats. L’université d’Aarhus a été missionnée pour évaluer les acquis scolaires des enfants tandis que l’université d’Aalborg juge des progrès sociaux des jeunes autistes.
En attendant, Brita Jensen et son équipe entendent bien médiatiser ce modèle et l’exporter. « Cette semaine, un reporter est venu tout droit du Groenland pour parler de notre classe », annonce-t-elle fièrement. Un tel modèle paraît aujourd’hui difficilement envisageable dans une école publique française. Il y a seulement douze ans la France avait été condamnée par le Conseil de l’Europe pour non-respect de ses obligations en matière d’accès à l’éducation des personnes autistes.
« Ma plus grande peur était que Gustav finisse par ne plus vouloir aller à l’école »
Gustav a 7 ans. Il a été diagnostiqué autiste à l’âge de 4 ans. À la rentrée 2016, il a été un des enfants choisis pour intégrer la classe Nest de Katrinebjergskolen. Sa mère, Mette Lienhøft, confie ce que représente cette classe pour sa famille.
Gustav a d’abord été scolarisé en école maternelle classique. Pourquoi n’avez-vous pas poursuivie sa scolarité dans une école primaire classique ?
Mette Lienhøft. Déjà en maternelle, Gustav avait du mal à gérer certaines situations. En particulier les changements inattendus d’activités. J’ai eu peur que cela s’accentue en primaire. Quand Gustav doit faire un exercice, il panique, même s’il connaît la solution. Mais contrairement à l’image que l’on peut se faire des autistes, il n’exprime pas sa panique en criant ou en devenant violent. Il se replie sur lui-même, devient triste et résigné. Sans adulte formé à ce genre de situation, Gustav perdrait toute confiance en lui et désespérerait d’apprendre, ce serait dramatique. Ma plus grande peur était que Gustav finisse par ne plus vouloir aller à l’école.
Mais vous ne souhaitiez pas non plus que Gustav intègre un établissement spécialisé.
M. L. Non, il était important qu’il soit dans une classe avec des enfants dits « normaux » parce qu’il copie leur comportement et, sans s’en rendre compte, il s’ouvre à de nouvelles choses et progresse. J’ai constaté que depuis la rentrée, Gustav est beaucoup moins strict dans sa façon de penser. Côtoyer ces enfants lui ouvre l’esprit. Je craignais qu’un établissement spécialisé avec des enfants atteints de différents troubles et donc avec des besoins différents, ne le fasse stagner et qu’il n’apprenne pas assez.
En quoi la classe Nest est particulièrement adaptée aux besoins spécifiques des enfants autistes ?
M. L. Le fait d’être en petit effectif est un réel plus. Vous savez, au Danemark, les enfants sont souvent 30 par classe. Je pense aussi qu’avoir une routine quotidienne est parfait pour ces enfants. Ils connaissent le programme de la journée et savent ainsi à quoi s’attendre. Je sais que, pour Gustav, les changements imprévus sont une grande source d’angoisse. De plus, les petits autistes suivent aussi un programme hebdomadaire axé sur les compétences sociales.
Pensez-vous qu’elle soit adaptée à tous les enfants autistes ?
M. L. Je ne pense pas, non. Les enfants doivent être quand même autonomes et capables de contenir d’éventuels accès de colère. Gustav est atteint d’un trouble léger du spectre autistique. Il est capable d’interactions sociales à peu près normales bien qu’il ait parfois du mal à décrypter les intentions des autres. Il ne faut pas oublier aussi que l’objectif est de suivre le même programme scolaire que les autres classes traditionnelles. Je suis consciente que cela n’est pas possible pour tous les enfants autistes. Recueilli par A.-L. de C.