Le SUMPPS recensait près de 5 000 consultations en 2014 pour 24 000 étudiants inscrits à l’université de Tours. Les patients y sont accueillis du lundi au vendredi. Photo : Aimie Faconnier/EPJT.
Par manque d’argent, les étudiants sont de plus en plus nombreux à faire l’impasse sur les consultations médicales et les soins. Des aides sont pourtant mises en place par l’État et les universités. Mais sans atteindre leur but.
Par Aimie FACONNIER et Sara GUILLAUME
Dans la salle d’attente, deux patients seulement : l’un vient voir le dermatologue, l’autre le dentiste. Mais le Dr Émilie Arnault, la directrice du SUMPPS, affirme que la pièce ne devrait pas tarder à se remplir. « Nos pôles majeurs, gynécologie et psychologie, sont à l’étage » ajoute-t-elle en désignant le plafond de la main. Pour Katia Dubois, gynécologue, cette affluence est liée aux « préoccupations des jeunes » : « J’en vois qui souhaitent s’informer sur la contraception, le dépistage, l’interruption volontaire de grossesse… » Avant d’enchaîner sur le travail de ses confrères psychologues : « La crise touche tout le monde, surtout les étudiants qui ont du mal à boucler leurs fins de mois. Alors, les cas de déprime ne sont pas rares. »
A Tours, de la prévention, pas de prescription
Les SUMPPS sont financés par leur université et par des subventions extérieures : agence régionale de santé, conseil général… L’État leur a attribué différentes missions, obligatoires, comme les consultations gratuites et la prévention, ou facultatives, comme la création d’un centre de santé.
Celui de l’université François-Rabelais ne comporte pas de centre de santé qui permettrait aux étudiants d’obtenir une prescription. Mais le service, souligne le Dr Arnault, a passé une convention avec une soixantaine de médecins de l’agglomération : « Ces généralistes reçoivent les étudiants qui en ont fait la demande au SUMPPS. Ils leur appliquent le tarif conventionné de 23 euros, ainsi que le tiers payant et une dispense d’avance de frais. Au total, les patients n’ont que 6,90 euros à payer. » « Cette liste, regrette le médecin, ne comporte aucun spécialiste. Si les étudiants veulent consulter un ophtalmologue, par exemple, ils doivent se présenter au centre de soins Porte ouverte, situé dans le quartier du Sanitas. » Celui-ci accueille les personnes précaires.
Derrière son bureau, le Dr Dubois renchérit : « Tours est très bien doté en services de santé étudiante avec, entre autres, le Centre de planification ou d’éducation familiale, dont je m’occupe. » Ces CPEF ont un rôle préventif : ils conseillent et informent les patients sur la grossesse, la contraception mais ils ne délivrent, là encore, aucune prescription. Pourtant, le SUMPPS de Tours abrite un centre d’orthogénie et pratique l’interruption volontaire de grossesse et le dépistage.
Pas de médecins spécialistes à portée de main, un CPEF efficace mais sans lien réel avec les problèmes de santé basiques… Si le SUMPPS se veut un haut lieu de la santé étudiante avec ses nombreux dispositifs d’aide, les démarches restent complexes, surtout lorsqu’on cherche à se soigner vite.
Autre limite, ces centres de médecins préventives n’admettent que les étudiants de l’université, excluant ainsi ceux en BTS, en apprentissage, en école de commerce, de gestion, de vente… Et pourtant la fréquentation de ces filières augmente d’année en année : 9 % d’élèves supplémentaires entre 1990 et 2012, d’après l’Insee.
Hausse de la précarité
Cette tendance n’est bien sûr pas le propre de ces filières. Le nombre d’étudiants, toutes formations confondues, a progressé de 1,5 % depuis 2011. Et cela s’accompagne d’une hausse de la précarité : l’Union nationale des étudiants de France (Unef), un syndicat étudiant, a estimé qu’à la rentrée 2014, le coût de la vie étudiante avait augmenté de 2 %. Conséquence ? Des difficultés financières qui s’accentuent et qui, du même coup, peuvent bloquer l’accès à l’enseignement supérieur. « C’est un cercle vicieux, relève le Dr Dubois. Parfois, des jeunes attendent le dernier moment pour consulter. » Et de raconter : « Une fois, le Crous (centre régional des œuvres universitaires et scolaires, NDLR) nous a alerté des absences répétées d’un étudiant. Malade, il n’avait pas de quoi se soigner et ne savait rien de l’existence du SUMPPS. »
Pour la gynécologue, là est le cœur du problème : le manque de communication autour du SUMPPS à la faculté empêche les étudiants de connaître la structure, ce qui amène au renoncement aux soins. Pour Katia Dubois, la raison en est simple : « Le discours actuel n’incite pas les jeunes à s’intéresser à la santé. Certes, le SUMPPS mène des actions collectives sur Internet, notamment des campagnes de prévention et de vaccination. Mais tant qu’il ne sera pas plus connu, cela ne fonctionnera pas. »
Emmanuelle Audoux, directrice de la communication de l’université, renvoie la balle : « Le SUMPPS peut faire appel à nous. Mais on doit constater que les partenariats entre nos deux services de communication restent rares. » Il y aurait donc un réel manque de volonté de coopérer de la part du SUMPPS, que l’université ne pourrait combler : « Ils ont leur propre stratégie de communication. »
Le manque d’informations et de communication sur les SUMPPS est confirmé par Alice Brouillon, étudiante en master de psychologie de la santé et future professionnelle.
Pour aller plus loin
Baromètre Santé & Société – Europ Assistance / CSA 2013
3e Enquête nationale sur la santé des étudiants
Mutuelles étudiantes : remboursez
Très chère santé
Victime d’un accident de moto, Brigitte Vaamei, étudiante en BTS tourisme, ne s’est rendue aux urgences que deux ans plus tard. Quand la douleur a été insoutenable. En cause, le manque de moyens récurrent des étudiants.
« Je ne vais pas payer 23 euros pour des douleurs passagères », explique Brigitte Vaamei, 23 ans, étudiante en BTS tourisme à Saint-Junien, dans le Limousin. Lorsqu’elle est malade, elle se débrouille seule. Ses parents, qui vivent à Wallis et Futuna, n’ont pas les moyens de lui payer les soins. « Nous sommes trois à faire des études en même temps en Métropole. Cela représente une charge très importante pour eux. Ils payent déjà mon loyer. »
L’étudiante ne connaissait pas le système de santé français et regrette celui de sa terre natale. Là-bas, pas de complémentaire santé ni de mutuelle, les soins sont pris en charge par l’État. Brigitte Vaamei ne perçoit aucune bourse. Les fins de mois sont tendues « Je paye d’abord mon loyer, de quoi manger et ensuite je vois ce qu’il me reste. Et parfois, c’est clair, je n’ai pas assez d’argent pour me soigner. » Comme un peu plus de 7 étudiants sur 10, elle est obligée de travailler pour s’en sortir.
Un système mal organisé
C’est quand elle a eu 20 ans que la situation s’est tendue. A cet âge, l’étudiant n’est plus couvert par la Sécurité sociale de ses parents et doit souscrire obligatoirement à la Sécu étudiante. La jeune femme n’a pas les moyens de payer la cotisation et décide alors de s’en priver durant un an. Son frère Adam l’a aidée : « Au lieu de m’acheter des vêtements, je lui donnais de quoi aller chez le médecin si ça n’allait vraiment pas. Et cela nous évitait d’inquiéter nos parents à l’autre bout du monde. » Après une année de véritable galère, la jeune Wallisienne s’installe chez son compagnon. C’est lui qui prend en charge ses frais d’affiliation à la Sécurité sociale étudiante, lui permettant d’être en règle.
Victime d’un accident de moto il y a deux ans, Brigitte Vaamei souffre aujourd’hui de douleurs aux cervicales. « Je ne pouvais pas me permettre d’aller voir un spécialiste ni d’avancer les frais. » La faute, selon elle, aux délais de remboursement de sa mutuelle. Ceux-ci s’allongent de plus en plus, d’après un rapport de la Cour des comptes qui date de 2013.Pas d’argent, pas de lunettes
Et ce n’est que récemment qu’elle s’est rendue aux urgences, car les douleurs étaient trop fortes. « J’ai attendu que cela s’aggrave pour y aller. Mais je me suis mise à pleurer quand j’ai vu toute la batterie d’examens que je devais passer », raconte-t-elle. Après le remboursement de la Sécu, il lui serait resté à charge pas moins de 70 euros. Beaucoup trop cher. « Je ne les passerai pas, conclut-elle. Je n’en ai tout simplement pas les moyens. »
Et ce n’est pas la première fois que la jeune Wallisienne joue les prolongations. Ses lunettes à monture noire, épaisse et carrée, qu’elle porte depuis un an, elle a peiné à se les payer. Astigmate, elle doit consulter un ophtalmologue au moins une fois par an. Mais en 2012, elle cesse ses visites durant deux ans, faute d’argent là encore. L’état de sa vue se dégrade progressivement, entraînant de forts maux de tête. « La situation devenait trop critique. Je n’arrivais pas à suivre les cours correctement. Je n’y voyais rien. Alors j’ai fini par me rendre chez l’ophtalmologue et chez l’opticien. » Elle a dû débourser 60 euros, une somme considérable pour elle.
L’alternative : l’automédication
Quand budget est restreint, la santé passe le plus souvent après tout le reste. « Je ne vais pas chez le médecin lorsque la fin de mois est dure et que je n’ai qu’une angine ou mal au ventre. »
Se soigner devient une question de débrouille. Brigitte Waamei recourt à l’automédication, comme de plus en plus d’étudiants aujourd’hui. « Généralement, j’achète des médicaments homéopathiques à base de plantes, ils sont moins chers. »
« Une fois, Brigitte est venue me demander des médicaments contre les brûlures d’estomac. Apparemment, les fins de mois étaient difficiles mais je lui ai expliqué que, hélas, il m’était interdit de lui fournir des médicaments de ce type », se rappelle Erika Castaing, l’infirmière scolaire de l’établissement. Sa camarade de classe, Kaupe, affirme : « Je comprends les difficultés de Brigitte. J’ai les mêmes problèmes. Elle m’a permis d’en parler. Donc on s’entraide. »
Venant d’un territoire d’outre-mer, où l’organisation est différente, il lui a fallu longtemps pour découvrir les structures de santé universitaires, sauf celle du planning familial. Malgré ses difficultés financières, Brigitte Vaamei rappelle sans rougir que son « train de vie n’est pas une honte. »
« Ces CPEF ont un rôle préventif : ils conseillent et informent les patients sur la grossesse, la contraception mais ils ne délivrent, là encore, aucune prescription. Pourtant, le SUMPPS de Tours abrite un centre d’orthogénie et pratique l’interruption volontaire de grossesse et le dépistage. »
Le CPEF a un rôle préventif et curatif, bien sûr que nous délivrons dans ce cadre des prescriptions. Le SUMPPS n’abrite pas de centre d’orthogénie et ne pratique pas l’IVG: il s’agit du CHU !
« Pas de médecins spécialistes à portée de main, un CPEF efficace mais sans lien réel avec les problèmes de santé basiques… Si le SUMPPS se veut un haut lieu de la santé étudiante avec ses nombreux dispositifs d’aide, les démarches restent complexes, surtout lorsqu’on cherche à se soigner vite. »
Le SUMPPS propose des consultations de spécialistes, s’il y a urgence les étudiants sont adressés rapidement soit en interne soit vers des partenaires extérieurs. [En quoi ces démarches seraient-elles] « complexes »?
« Autre limite, ces centres de médecines préventives n’admettent que les étudiants de l’université, excluant ainsi ceux en BTS, en apprentissage, en école de commerce, de gestion, de vente… Et pourtant la fréquentation de ces filières augmente d’année en année : 9 % d’élèves supplémentaires entre 1990 et 2012, d’après l’Insee. »
En effet, mais pour la simple raison que l’université paye pour les étudiants de l’université. Nous pouvons, moyennant une convention, donc un financement, recevoir les étudiants d’écoles privées, c’était le cas avec l’ESCEM, qui [a] fait le choix de stopper ce partenariat. Quant aux BTS, […] ils dépendent de l’éducation nationale donc de la santé scolaire et ont donc accès aux infirmiers et médecins scolaires du département.
« Emmanuelle Audoux, directrice de la communication de l’université, renvoie la balle : « Le SUMPPS peut faire appel à nous. Mais on doit constater que les partenariats entre nos deux services de communication restent rares. » Il y aurait donc un réel manque de volonté de coopérer de la part du SUMPPS, que l’université ne pourrait combler : « Ils ont leur propre stratégie de communication. » »
[…] Nous sommes bien au courant du problème de communication et on s’emploie depuis 2 ans à améliorer cela, il n’ y a aucun manque de volonté de coopérer de la part du SUMPPS, nous sollicitons au contraire très souvent le service de communication, qui ne peut répondre à l’ensemble des demandes de l’université, tant ils en reçoivent.[/su_note]