L’infotainment tire son épingle du jeu politique

Clotilde Costil

L’infotainment tire son épingle du jeu politique

L’infotainment tire son épingle du jeu politique

Clotilde Costil
25 août 2017

Un ancien candidat de téléréalité devenu chef d’Etat ; aux Etats-Unis plus rien ne surprend. Comme leurs voisins américains, de nombreux Français ont choisi leur nouveau président, télécommande en main, entre deux programmes télévisés.

Téléspectateurs et citoyens sont désormais indissociables. En quelques mois, la campagne présidentielle est apparue comme un véritable show exalté par la multiplication des affaires et des scandales. Dans le fond comme dans la forme, la politique est devenue un jeu dans lequel le journaliste n’est plus le seul acteur. Au cœur de cette bataille des chaînes, l’infotainment s’est imposé progressivement comme un format d’émission complémentaire, intégré à la culture télévisuelle française.

« Quotidien », « C à Vous » et « Salut les Terriens ». Trois émissions aux formats et contenus différents mais qui ont un point commun : l’infotainment (terme américain qui désigne les émissions mélangeant information et amusement). A l’approche de l’élection présidentielle, le traitement de l’information politique par le rire et le jeu a séduit de nombreux téléspectateurs. Aujourd’hui, ces émissions ont trouvé une place dans la sphère médiatique par leur capacité à questionner les pratiques journalistiques et à offrir un éclairage original, souvent absent des médias traditionnels. Comment l’infotainment a-t-il réinventé le débat présidentiel ?

La politique joue le jeu de l’infotainment

Les onze candidats à l'élection présidentielle se prêtent au jeu des questions-réponses devant leur pupitre comme dans un jeu télévisé, lors de l'émission « 15 minutes pour convaincre », France 2, le 20 avril 2017. Photo : Martin BUREAU/AFP

Paris, un dimanche de mai 2027. La finale de l‘élection présidentielle se joue non pas dans les bureaux de vote mais devant la ­télévision. Car oui, on parle bien d’une finale, un peu à la « The Voice ». Devant leurs écrans, les téléspectateurs-citoyens ­doivent choisir leur candidat favori.

« Battle », « joutes des programmes », les finalistes politiques se sont prêtés au jeu de l’arène médiatique. Le ­décor, les lumières, les pupitres et le langage du jeu télévisé, tout y est. Même le présentateur, l’ancien journaliste Christophe Barbier, s’est reconverti en animateur pour l’occasion.

Dans ce documentaire du 9 avril 2017, présenté par Laurent Delahousse dans « 13h15 Le Dimanche », l’équipe de journalistes a imaginé à quoi pourrait ressembler le second tour de la présidentielle dans dix ans. Une projection dans le temps qui pourraient surprendre par ce côté « jeu du cirque télévisuel » si le traitement médiatique de la campagne présidentielle n’avait pas déjà franchi un cap cette année.

LEXIQUE
Infotainment : littéralement en anglais, un mélange d’information (info) et de divertissement (-tainment pour entertainment).
Talk-show : émission télévisée où les personnes invitées discutent avec des chroniqueurs et un animateur.
Sitcom : série télévisée humoristique.
Access prime time : plage horaire de diffusion d’une émission, en première partie de soirée (entre 18 heures et 21 heures).
Storytelling : c’est le fait de raconter une histoire à des fins de communication.

En effet, les politiques n’ont eu que l’embarras du choix pour mener leur campagne médiatique : sur un divan face à Karine Lemarchand, sur un plateau télévisé face à Yann Barthès et son équipe, lors d’un dîner présidé par Anne-Sophie Lapix… Les candidats ont ainsi multiplié les apparitions dans des cadres moins solennels que sur le plateau du « 20-heures ». Du coup, les téléspectateurs-électeurs ont repris goût à la politique. La preuve, ces émissions d’infotainment ont majoritairement fait des records d’audience durant la campagne.

La télé encore plébiscitée

Les téléspectateurs ont trouvé dans ces formats hybrides un nouveau mode d’information ­combinant anciens et récents supports médiatiques. La télévision reste en effet, si on en croit un ­rapport de ­Médiamétrie datant de mars 2016, la première source d’information de 50 % des Français, devant les sites web (20 %).

« Quotidien », ­présentée par Yann Barthès sur TMC, est l’émission leader de la TNT. La chaîne ­nationale est d’ailleurq la quatrième dans le classement des CSP+ (source TF1 Pro). Le 6 avril dernier, l’ancienne présentatrice de « C à vous » (elle remplacera David Pujadas sur France 2 dès la rentrée), Anne-Sophie Lapix, tweetait : « ­Nouveau record historique de “C à Vous” avec 7,5 % de part d’audience ». Quant à « Salut les Terriens », ­l’émission de Thierry Ardisson, elle s’impose en format hebdomadaire avec plus d’un million de part de marché tous les samedis.

Complémentaires des émissions purement ­informatives, d’après Aurélien Le Foulgoc, maître de conférences à l’université de Cergy-Pontoise et spécialiste de la sociologie des médias, ces ­programmes ont investi des créneaux qui étaient laissés à l’abandon par les médias traditionnels. Des politiciens dormant à ­l’Assemblée nationale au conflit contre Daech en passant par la Fashion Week, le mélange, souvent absurde, de sujets hétérogènes est une des marques de ­fabrique de l’infotainment. Dans les trois cas, la politique est un sujet largement présent comme dans « Quotidien » où 34,9 % des personnes ­évoquées ou invitées sont des politiques. Ce qui pourrait d’ailleurs expliquer d’ailleurs que celle-ci s’attribue, plus que d’autres, l’identité de « journal » multipliant les interviews, les revues de presse et les reportages à l’échelle nationale et ­internationale.

Il y a quelques années encore, les politiques devaient être en promotion pour être invités dans les talk-shows. Aujourd’hui, ils peuvent l’être en tant qu’experts, simplement pour commenter des débats qui ont agité l’espace public. Pour Roselyne Bachelot, ancienne ­ministre et aujourd’hui chroniqueuse à la ­télévision, les hommes et les femmes politiques sont « obligés de s’adapter aux moyens de ­communication et aux formats qu’on leur donne. Si cette irruption du divertissement leur permet de parler à un public plus large en abordant des sujets sérieux, eh bien tant mieux. »

Florian Silnicki, conseiller en ­communication politique, partage cet avis. Lui qui a opéré auprès d’élus de la droite française et du centre ­estime que ces programmes sont pour les ­politiques une opportunité à saisir. « C’est ­extrêmement positif pour notre démocratie et pour ces hommes et les femmes ­politiques qui n’ont jamais eu autant de ­supports et d’occasion de s’exprimer. Mais dans le même temps, ils n’ont jamais eu autant de mal à convaincre les Français », constate-t-il.

Ces formats inédits ­répondent à de nouveaux ­besoins des téléspectateurs. Besoins qui sont nés d’une certaine incompréhension entre les hommes politiques et les Français. Face à cette demande du public, ces « accros aux médias » que sont les politiques, ­apparaissent désormais rodés à de nouvelles formes de discours : travail du langage, des postures, préparation à des questions ­décalées, à une parole « cash ». C’est que les conseillers en communication politique ont multiplié ­aujourd’hui les entraînements lorsqu’il s’agit d’infotainment. « La stratégie n’est pas la même si c’est de l’infotainment, décrypte Florian Silnicki. Mais au fond, ça permet de renouveler le genre de l’intervention politique. »

L'infotainment n'exclut pas l'affrontement comme ici à « C'est à vous », entre Anne-Sophie Lapix et Florian Filippot. Capture d'écran

La reconnaissance de l’infotainment

Les journalistes ne recueillent plus la parole politique religieusement comme lors des toutes premières apparitions télévisées. ­Aujourd’hui, dans ce type d’émissions conversationnelles, les politiques peuvent se faire couper la parole, interpeller par le public ou par des humoristes. « On a du divertissement à gogo. Aujourd’hui, c’est devenu la norme », ­accuse Lucas Gallais, animateur de ­l’association de téléspectateurs, Les Pieds dans le paf. A tel point que désormais, « dans l’émission politique de France 2, un rendez-vous “sérieux’’ du service public, une humoriste intervient à la fin de l’émission pour dresser un portrait de la personnalité politique. Il y a certaines barrières qui tombent », analyse Nicolas Torjman, ­rédacteur en chef de « Salut les Terriens ».

Il y a quelques années encore, inviter un candidat extrême tel que Jean-Marie Le Pen, comme n’importe quel autre politique, apparaissait discutable. La télévision a conduit à un ­élargissement des publics de la politique ; elle s’est adaptée à l’évolution de l’échiquier ­politique français. La ­réception des responsables du FN dans ces émissions traduit une reconnaissance du statut de l’infotainment, une crédibilisation ­supplémentaire de celui-ci explique Aurélien Le Foulgoc. L’arrivée de Marine Le Pen au FN a favorisé ce mouvement.

88 % des Français qui s’informent sur les réseaux sociaux citaient, comme première source d’information, les contenus partagés par leurs proches

Médiamétrie en mars 2016

Dans le même temps, l’actualité politique américaine a également pu influencer le traitement de la campagne électorale française dans les médias, notamment à la télévision. « Je crois qu’en France, il y a une espèce de fascination par rapport à ce qui s’est passé aux Etats-Unis », explique Aurélien Le Foulgoc.

La question des fake news, des réseaux sociaux, de la sécurité, par exemple, ont émaillé la campagne ­américaine comme celle de l’Hexagone. Dans les deux cas, il s’agissait des premières élections à avoir suscité autant de réactions sur le Net. La nouveauté, c’est l’accélération, l’injonction du « top tweet ». Selon une étude réalisée par ­Médiamétrie en mars 2016, 88 % des Français qui s’informent sur les réseaux sociaux citaient, comme première source d’information, les contenus partagés par leurs proches. La ­télévision n’a pas toujours su composer avec ce ­nouvel outil de communication numérique. Pourtant, les programmes d’infotainment ­restent friands des séquences polémiques qui enflamment la Toile.

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Matthieu Noël dans « C à Vous » ­réalise des ­montages, diffuse les hors-champs pour analyser, par le biais de l’humour, le travail de journaliste.

Capture d’écran

 

Les Français seraient-ils lassés de la politique ? C’est aller un peu vite en besogne. « Vous n’avez qu’à vous rendre dans n’importe quel café ou tout simplement sur Internet pour constater que l’intérêt pour la chose publique en France est intact », fait remarquer Florian Silnicki. Il n’y a qu’à voir le nombre de mini éditos publiés sur Facebook dès ­l’annonce des résultats du premier tour de la ­présidentielle.

Plus de 30 millions de tweets ont été publiés entre le 20 mars 2017 et la mi-mai, selon la ­plateforme de veille Visibrain ; une première pour une présidentielle en France. Difficile de s’y ­retrouver dans ce débat public décuplé où ­chacun y va de sa petite analyse personnelle.

Ce rythme politique, qui s’accélère, a imposé aux journalistes et aux ­communicants un nouveau défi : rendre cette campagne la plus intelligible possible. Dans cette perspective, le rôle des émissions d’infotainment s’est avéré utile pour la compréhension de certains enjeux électoraux. « Force est de constater qu’elles vulgarisent ce côté politique qui peut toucher un public plus jeune », assure Lucas Gallais. Et cela, les hommes politiques l’ont bien compris. Ils ­peuvent ainsi bénéficier d’une nouvelle source de notoriété et de visibilité incroyable dans ces nouveaux programmes.

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L’équipe de « Quotidien » affiche une ­camaraderie ­générationnelle. Tous les chroniqueurs échangent comme une bande d’amis.

Instagram Quotidien

 

Téléspectateurs-citoyens

Dans « Quotidien » par exemple, les séquences humoristiques sont toujours contrebalancées d’un versant informatif, pédagogique. Le programme ­mobilise des références culturelles universelles pour tisser des liens entre l’univers politique et celui de la vie de tous les jours.

De même dans « C à Vous », tout ce qui touche à la présidentielle est souvent abordée de manière informelle mais toujours didactique. Chaque soir, le journaliste Maxime Switek décrypte dans le ­­« Multiplex de la présidentielle », toutes les phrases des candidats qui ont marqué la rédaction.

Si les producteurs télé  gardent un œil avisé sur les réactions post-diffusion des ­internautes, ils n’ont toutefois aucun regard sur la ­potentielle influence que leur émission peut avoir sur l’opinion publique. « Personne n’a été ­capable d’apporter une réponse, pas même les ­spécialistes », précise Aurélien Le Foulgoc. Peut-être le saura-t-on un jour puisque ­désormais, le téléspectateur est de plus en plus amené à donner son opinion. Plusieurs applications dans lesquelles le ­téléspectateur peut interagir, ont ainsi vu le jour lors de cette campagne. L’une d’entre elles a été lancée cette année par France TV : ­Présidentielle 2017 VR. Rien n’est trop beau pour fidéliser l’audience.

Yann Barthès anime « Quotidien » en toute décontraction. Une des caractéristiques des émissions d'infotainment. Capture d'écran.

Dans ces ­émissions, les présentateurs et ­chroniqueurs ont fait le choix de la ­décontraction et de la proximité avec leur ­public. « Sans son public, l’animateur n’est rien. Fort de son ­public, il est tout », écrivait Sabine Chalvron-Demersay, sociologue des médias.

De l’animation au journalisme ­politique, il n’y aurait donc qu’un pas. Parce que les frontières du genre sont brouillées, les téléspectateurs ne font pas toujours la ­distinction entre ce qui relève du travail, à ­proprement parler, de journalistes et ce qui ­relève des animateurs. Aurélien Le Foulgoc fait remarquer que les journalistes politiques sont victimes d’une mise en ­minorité de leur statut. Et de dénoncer « une forme ­d’incompréhension de ce qu’est une campagne électorale par Michel Field (directeur de ­l’information de France ­Télévisions, NDLR) quand il propose un débat une semaine avant le premier tour des élections. »

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Pour expliquer à un public souvent jeune certaines informations chiffrées, Yann Barthès use de ­procédés pédagogiques : ­illustrations, tableaux et ­schémas. 

Capture d’écran.

 

Des animateurs et producteurs qui courent après l’audience, des politiques qui se prêtent au spectacle télévisuel et des téléspectateurs qui joueraient presque aux arbitres. Et le journalisme dans tout ça ? Dans le fond comme dans la forme, la médiatisation de cette campagne a souvent été synonyme de second degré. Pour certains, elle a même frisé la ­téléréalité

Avec les affaires ­politico-judiciaires des candidats, les chroniqueurs s’en sont ­donné à cœur joie. La sérialisation comme mode de narration, ­notamment dans l’émission de TMC, est devenue un fil conducteur. Les sujets ont été découpés en ­plusieurs épisodes et les identités visuelles et ­sonores sont ­prégnantes comme dans une sitcom. Le conflit intrafamilial des Le Pen par exemple, a été traité sur fond de ­générique de ­série (Notre belle ­famille). Un traitement qui contribue à normaliser la politique en y introduisant des références familières et ­stéréotypées.

L’humour à tout prix

La promotion d’un homme ou d’une femme politique par le biais du storytelling contribue également à présenter l’homme ou la femme d’Etat comme un personnage de série télévisée. Toute la ­limite du jeu et de l’humour dans ces ­émissions, réside dans le fait qu’elles parviennent à rendre tout le monde sympathique, à ­commencer par les politiques les plus extrêmes.

Dans son livre brûlot publié en 2013, Ollivier Pourriol, ancien chroniqueur du « Grand ­Journal » et philosophe, ne mâche pas ses mots pour condamner le ­caractère parfois vicieux du ­divertissement : « Plutôt que d’être très intéressants pour très peu de monde, ils (les producteurs, NDLR) savent qu’il vaut mieux intéresser très peu tout le monde. Sinon ça prend du temps et ça prend la tête. Alors que le vide… Le vide n’est jamais ­décevant. (…) Le vide détend. Le vide te vide. »

Tout le monde n’est pas de cet avis. C’est le cas d’Aurélien Le ­Foulgoc : « Moi je ­considère que ça informe un public complémentaire qui va s’intéresser aux questions politiques. On y trouve des éclairages que l’on n’a pas dans les grands médias. » ­L’infotainment, par le biais de ­l’humour, est aussi une façon pour les journalistes, ­animateurs, ­chroniqueurs de questionner leur métier. Dans ses debriefs, Matthieu Noël moque toute l’équipe de « C à Vous » à partir de ­montages vidéos, de scènes volées. Il ­analyse les offs, les faux pas de ses coéquipiers lors du tournage. Idem pour Yann Barthès lorsqu’il ­propose un visionnage des matinales sur le ton de l’autodérision, un moyen pour la profession de réfléchir sur son rôle. Car ces émissions dans la mouvance de l’infotainment favorisent l’humour sans jamais perdre de vue l’importance de ­l’analyse ­politique.

TPMP, Tout pour le show

« TPMP » s’est démarqué en renouant avec le style d’émissions des années quatre-vingt-dix (« Ciel mon mardi » par exemple), où tout pouvait arriver au vu et au su des téléspectateurs. Photo Camille Bouiller/Flickr

Avec plus d’un million et demi de ­téléspectateurs chaque soir, Touche Pas à Mon Poste est l’une des émissions de divertissement les plus regardées en France. Alors, comment explique-t-on le succès d’une émission où la politique l’a ­quasiment désertée ?

Comment voulez-vous que les Français votent correctement alors qu’ils regardent Cyril Hanouna à la télé. » A l’occasion de la millième de « Touche Pas à Mon Poste », Frédéric, détracteur de l’émission s’adresse aux chroniqueurs en ces termes. « Vous avez une responsabilité énorme, vous faites partie de la mémoire collective et c’est compliqué d’imaginer ce que vous êtes », renchérit-il.

Diffusée sur C8 depuis 2012, l’émission interroge de par son statut, à la lisière de l’infotainment et du simple divertissement. Cyril Hanouna, ­présentateur phare de l’émission est pourtant clair : « Si TPMP (Touche pas à Mon Poste, NDLR) est numéro 1, c’est parce que les ­Français ont besoin de se vider la tête. » A en croire sa communauté de fans, l’émission ­procure une « bouffée d’oxygène », elle serait un « antidépresseur télévisuel ».

Les codes de la téléréalité

A ses débuts, le programme diffusé en access prime time avait pour mission la critique des médias. Mais aujourd’hui, c’est le jeu, et ­surtout le jeu du direct, qui a pris le pas sur le reste. Nombreuses sont pourtant les personnalités politiques à avoir déjà foulé le plateau de « TPMP ». Mais c’est souvent pour un tout autre dessein que la présentation de leur programme.

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La communauté de fans de « TPMP » est particulièrement active sur les réseaux sociaux, à tel point que l’émission se poursuit sur Internet après la diffusion de celle-ci.

Capture d’écran

 

Ce fut le cas de Nicolas Dupont-Aignan. En mars 2017, il s’est retrouvé face à la bande de « Baba ». Cette invitation n’avait en réalité qu’un seul objectif : commenter le buzz de son départ du journal de TF1. Le buzz, c’est toute la démarche de « Touche Pas à Mon Poste » qui souhaite fidéliser les plus jeunes, ­davantage familiers des réseaux sociaux que de la télévision.

Bizutages, défis trash, paillettes et perruques… La forme de l’émission a totalement pris le pas sur le fond. Tout est fait pour donner aux « fanzouzes » (nom donné aux fans de l’émission), un sentiment d’entre-soi qui rassure.­ Scénarisée un peu comme une sitcom, l’émission prend tout son sens grâce aux personnages incarnés par les ­chroniqueurs et auxquels le public peut ­s’identifier.

Aujourd’hui, l’émission est ­inscrite dans la vie des téléspectateurs qui partagent un certain nombre de rites ­communs, notamment sur le Net. L’équipe d’Hanouna donne le ­sentiment au ­public de participer à la construction du ­programme, notamment dans sa partie ­digitale. C’est en cela que réside le succès. « Une émission non ­politique mais qui fait la vraie politique en ce qu’elle reflète un certain état de la société », ­estime François Jost, spécialiste des médias.

« Touche Pas à Mon Poste » pourrait être, le ­symbole d’un mouvement ­important en France qui prend de la distance avec les politiques et les médias classiques, cette partie de la société qui a ­adhéré au PRAF (Plus rien à faire, Plus rien à foutre) lors de la dernière ­élection ­présidentielle.

« Thierry Ardisson a ­toujours voulu confronter la pute et l’archevêque »

Pendant tout le long de l’émission, Nicolas Torjman communique à distance avec le présentateur. Photo : Clotilde Costil

Nicolas Torjman est le bras droit de Thierry Ardisson dans l’émission « Salut les Terriens ». L’infotainment est pour lui une manière d’appréhender la politique autrement.

Comment sélectionnez-vous les ­invités politiques dans votre émission ?

Nicolas Torjman. Notre émission a un ton bien particulier qui s’identifie clairement au couple Ardisson-Baffie. Il peut donc y avoir une réticence de la part de certains politiques qui pensent qu’ils ne doivent apparaître que dans des émissions sérieuses. Par ailleurs, pour ceux qui veulent venir, on essaie ­toujours d’équilibrer, d’avoir des ­personnalités de gauche, comme de droite, un peu ­d’extrêmes aussi. Aujourd’hui, le contexte des présidentielles peut aussi influencer des gens qui venaient avant et qui n’ont plus envie de venir en cette période de campagne. Marine Le Pen est déjà venue dans notre émission mais pas cette année par exemple. Les ­politiques savent que quand ils font des ­émissions d’infotainment, ils vont glisser une ou deux idées politiques mais ce qui compte avant tout c’est purement l’image. Ils ­travaillent leur cote de sympathie, leur accessibilité, leur compréhension du quotidien. Ils ne sont pas là pour faire de la politique pure et simple. Benoit Hamon est venu chez nous en janvier 2017, à une époque où il était en déficit de notoriété dans la primaire. Par ­rapport à Valls ou Montebourg, il était un peu en retrait. Son passage chez nous lui a fait le plus grand bien car il a été redécouvert par des millions de personnes, par des jeunes ­essentiellement.

Qu’est-ce qui a changé dans le traitement des questions politiques de votre émission depuis les dernières élections ?

N. T. On va peut-être davantage se focaliser sur la « mousse médiatique » comme on dit. C’est sûr que lorsque l’on reçoit un soutien de Fillon comme Virginie Calmels en février 2017, on passe le plus clair de l’interview à lui parler de l’affaire Pénélope, si tenté qu’on ait eu envie d’évoquer son programme. Mais ce n’est pas notre objectif premier. On ne va pas aller parler des réformes que propose ­François Fillon et ennuyer le public alors qu’on a juste envie de parler du « Penelope Gate ». Après, les sujets de fond ne sont pas totalement ­évincés non plus. On cherche les quelques idées directrices : le revenu universel, la ­légalisation du cannabis pour Benoit Hamon, la suppression de fonctionnaires par exemple pour François Fillon.

Quelles sont vos stratégies pour intéresser un public assez large et jeune aux ­questions de politique 

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Clotilde Costil/EPJT

N. T. C’est vrai que le transfert sur C8, une chaîne fortement marquée par la personnalité de Cyril Hanouna, a rajeuni notre public. On va donc soumettre l’invité à des questions qu’on ne va pas lui poser ailleurs. Les thèmes ­pourront aller de sa personnalité, à des ­questions sur son passé, sa vie privée parfois. La ­différence réside aussi dans la forme car nous ­faisons des interviews formatées, des petits quiz ; c’est encore un moyen ludique d’intéresser le public, qu’on ne trouve pas ailleurs. Parmi les différentes façons de ­questionner les hommes politiques, nous avons par exemple une interview intitulée « Vous ­président ». C’est une manière de faire de la ­politique en étant dynamique, drôle et en donnant des idées de politique.

Vous êtes complémentaires d’autres ­émissions d’information classiques. Peut-on dire que vous apportez une ­plus-value informative ?

N. T. Je ne dirais pas qu’on a une plus-value ­informative. Ce serait nous donner trop ­d’importance. Je pense qu’on a une plus-value en terme de compréhension de la personnalité des politiques. On cernera mieux un ­personnage politique après l’avoir vu dans une émission d’infotainment comme la nôtre plutôt que dans une émission purement ­politique où on en sait systématiquement beaucoup plus sur le projet d’un candidat que sur sa personnalité. C’est d’autant plus ­essentiel que la présidentielle est l’une des élections les plus importantes en France, qui se base sur la personne.

« Les politiques n’ont pas besoin de l’humour pour se déprécier tout seuls »

Qu’est-ce que la confrontation d’invités aux profils différents (politiques, comédiens, musiciens…) offre au débat ?

N. T. Lorsqu’ils sont face aux politiques, les acteurs et chanteurs se retrouvent un peu comme des « monsieur ou madame tout le monde ». ­Finalement, ils tiennent le rôle du public. Ils apparaissent dans une position quasi naïve où ils posent des questions de citoyens ­lambda. C’est en fait une marque de fabrique de l’émission, héritée de Thierry Ardisson ­depuis trente ans. Il a toujours prêché pour le mélange dans ses plateaux. Au début de sa carrière, il disait souvent vouloir confronter le temps d’une émission « une pute et un ­archevêque ». Nos plateaux sont toujours très variés, on essaie d’avoir des profils différents. Mettre un politique seul face à Thierry ­n’aurait pas grand intérêt.

D’après vous, l’humour permet-il de ­s’approprier davantage les politiques ou à l’inverse de les ridiculiser et de les ­déprécier encore plus ?

N. T. Je pense que les politiques n’ont pas besoin de l’humour pour se déprécier tout seuls, avec les affaires, les mensonges, les promesses qu’ils ne respectent pas. Ce que l’actualité ­politique va nous servir sur un plateau nous permet de ne pas traiter les invités politiques comme dans les émissions classiques. Et cet humour peut parfois, contrairement à ce que l’on dit, leur être très bénéfique. Lorsqu’ils ­rigolent à une blague qu’on leur fait, ça les rend ­extrêmement sympathiques. Ça montre qu’ils ont de l’humour sur eux-mêmes, qu’ils savent encaisser les critiques.

Salut les Terriens, l’envers du décor

Le décor baroque-chic de l'émission, vide quelques heures avant le lancement. Instagram Salut les terriens.

Chaque jeudi, toute l’équipe de « Salut les Terriens » réalise le tournage de l’émission diffusée le samedi soir. Jeudi 4 mai, à quelques jours du second tour de la présidentielle, Thierry Ardisson habitué des interviews politiques a dû s’en passer, en raison des règles imposées durant la campagne par le Conseil supérieur de l’audiovisuel.

Arrêt Front Populaire. Les rames de métro freinent au terminus de la ligne 12. Il est 13 h 30 et la foule de travailleurs se presse sur les quais. Dans le couloir souterrain direction les Magasins Généraux, les courants d’air ­poussent les âmes pressées vers la sortie. Quelques marches plus loin, le jour, et ­l’impression d’être perdu au beau milieu d’une grande zone d’activités industrielles. Bienvenue à la Plaine Saint-Denis.

De grands bâtiments gris ou de brique se dressent à perte de vue, dans un univers d’usines ­désaffectées. A l’intérieur pourtant, ­plusieurs studios accueillent des sociétés de production télévisée. Dans les allées de cette mini ville dans la ville, on sent encore ­l’effervescence de la veille, mercredi 3 mai, soir de débat présidentiel.

A côté du studio 107 qui a accueilli Emmanuel Macron et Marine Le Pen, le tournage de l’émission « Salut les Terriens », a lieu un bâtiment plus loin, au 102 précisément. D’ailleurs, « il est difficile de le rater », indique par téléphone, Charlotte Martin, chef d’édition de l’émission. En ­effet, le visage de Thierry Ardisson, animateur phare du talk-show, ­apparaît sur une affiche géante à ­l’entrée.

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Lors des répétitions, Thierry Ardisson n'est pas là. Il n'arrivera que quelques minutes avant le début de l'enregistrement.

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A l’intérieur, de la régie au lieu de tournage, l’agitation se fait sentir à seulement deux heures du lancement. Passé le hall, derrière de grands rideaux noirs, le plateau est investi de dizaines de techniciens et de l’équipe de journalistes. Nicolas Torjman, rédacteur en chef de ­l’émission est installé au fauteuil du grand maître, le temps de quelques ­réglages de son et de texte. Cinq ­caméras seront braquées sur l’animateur et ses invités, ainsi qu’une GoPro qui filmera des plans d’ensemble de la salle, avec son public. Le public, lui, attend à l’extérieur du bâtiment avant d’être accueilli dans une salle attenante au plateau de tournage

Une cinquantaine d’hommes et de femmes, jeunes pour la plupart, ont fait le déplacement. Tous vêtus de noir, le dresscode obligatoire pour ­assister à l’émission, ils devront ­patienter plus d’une heure avant de prendre place sur les gradins. En ­attendant, c’est Patrick Bastat, ­chauffeur de salle, qui se charge du briefing. Le rire, ici, doit être sur commande : « Si c’est pas drôle, et bien tant pis, on se marre quand même » insiste celui qui officie auprès d’Ardisson ­depuis la naissance de « Salut les ­Terriens ». Explosion de joie, pleurs, ­évanouissements, hystérie collective, les spectateurs doivent feindre toutes ces émotions dans la plus grande spontanéité et ce, durant les trois heures de tournage.

Une ambiance intimiste

Le public est prévenu : « Il vient ­participer à l’émission et non pas ­simplement regarder. Thierry tient ­absolument ce que le public soit actif  », indique Patrick Bastat.

A 16 heures, le chef d’orchestre ­Ardisson arrive. Toute son équipe fourmille autour de lui à quelques ­minutes de l’enregistrement. Les ­invités prennent également place dans le décor baroque-chic du plateau ultra lumineux. « Aujourd’hui les amis, on ne parlera pas de politique, veille de ­second tour oblige » prévient le ­présentateur en off, non sans une pointe de déception dans la voix. Les invités, Caroline Receveur, Luc Ferry, Hervé Mathoux et Bernard Montiel sont accueillis avec un verre de vin, comme une vraie bande de potes.

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Pas de politique dans cette émission à la veille de la présidentielle.

Clotilde Costil/EPJT

 

Les discussions fusent entre quelques réajustements « fond de teint ». Puis, à 16 h 15 précises, le silence. 5, 4, 3, 2, 1, lancement ! Sans prompteur, Ardisson enchaîne les phrases écrites et les ­blagues non improvisées sur ses fiches cartonnées. L’émission se déclinera en quatre parties : philosophie avec Luc Ferry, mode et beauté avec Caroline Receveur, foot avec Hervé Mathou mais pas une seule allusion à la ­politique.

La mort, le sexe, les jeux idiots sur le smartphone, la vie de couple (…), tous les sujets sont ­abordés sur le même ton et les invités semblent presque oublier qu’ils sont filmés. A part quelques bafouillages et reprises à la fin, l’ensemble des prises de vue s’est enchaîné sans encombre. Peu de coupes alors, si ce n’est « quand c’est too much » informe l’animateur.

A la fin tout de même, Ardisson ne s’est pas privé de faire un clin d’œil à la ­présidentielle avec l’interview « Moi ­président » de Laurent Baffie. C’est donc en rire mais le ton grave à ­l’horizon d’un nouveau quinquennat, que s’est refermé ce tournage. Et Luc Ferry, habitué de l’émission de souligner : « Là on rigole mais il y a aussi des vraies questions qui sont ­posées (dans cette émission, NDLR) et le mélange des deux est génial.