« Thierry Ardisson a ­toujours voulu confronter la pute et l’archevêque »

Pendant tout le long de l’émission, Nicolas Torjman communique à distance avec le présentateur. Photo : Clotilde Costil/EPJT

Nicolas Torjman est le bras droit de Thierry Ardisson dans l’émission « Salut les Terriens ». L’infotainment est pour lui une manière d’appréhender la politique autrement.

Par Clotilde Costil

Comment sélectionnez-vous les ­invités politiques dans votre émission ?

Nicolas Torjman. Notre émission a un ton bien particulier qui s’identifie clairement au couple Ardisson-Baffie. Il peut donc y avoir une réticence de la part de certains politiques qui pensent qu’ils ne doivent apparaître que dans des émissions sérieuses. Par ailleurs, pour ceux qui veulent venir, on essaie ­toujours d’équilibrer, d’avoir des ­personnalités de gauche, comme de droite, un peu ­d’extrêmes aussi. Aujourd’hui, le contexte des présidentielles peut aussi influencer des gens qui venaient avant et qui n’ont plus envie de venir en cette période de campagne. Marine Le Pen est déjà venue dans notre émission mais pas cette année par exemple. Les ­politiques savent que quand ils font des ­émissions d’infotainment, ils vont glisser une ou deux idées politiques mais ce qui compte avant tout c’est purement l’image. Ils ­travaillent leur cote de sympathie, leur accessibilité, leur compréhension du quotidien. Ils ne sont pas là pour faire de la politique pure et simple. Benoit Hamon est venu chez nous en janvier 2017, à une époque où il était en déficit de notoriété dans la primaire. Par ­rapport à Valls ou Montebourg, il était un peu en retrait. Son passage chez nous lui a fait le plus grand bien car il a été redécouvert par des millions de personnes, par des jeunes ­essentiellement.

Qu’est-ce qui a changé dans le traitement des questions politiques de votre émission depuis les dernières élections ?

N. T. On va peut-être davantage se focaliser sur la « mousse médiatique » comme on dit. C’est sûr que lorsque l’on reçoit un soutien de Fillon comme Virginie Calmels en février 2017, on passe le plus clair de l’interview à lui parler de l’affaire Pénélope, si tenté qu’on ait eu envie d’évoquer son programme. Mais ce n’est pas notre objectif premier. On ne va pas aller parler des réformes que propose ­François Fillon et ennuyer le public alors qu’on a juste envie de parler du « Penelope Gate ». Après, les sujets de fond ne sont pas totalement ­évincés non plus. On cherche les quelques idées directrices : le revenu universel, la ­légalisation du cannabis pour Benoit Hamon, la suppression de fonctionnaires par exemple pour François Fillon.

Clotilde Costil/EPJT

Quelles sont vos stratégies pour intéresser un public assez large et jeune aux ­questions de politique 

N. T. C’est vrai que le transfert sur C8, une chaîne fortement marquée par la personnalité de Cyril Hanouna, a rajeuni notre public. On va donc soumettre l’invité à des questions qu’on ne va pas lui poser ailleurs. Les thèmes ­pourront aller de sa personnalité, à des ­questions sur son passé, sa vie privée parfois. La ­différence réside aussi dans la forme car nous ­faisons des interviews formatées, des petits quiz ; c’est encore un moyen ludique d’intéresser le public, qu’on ne trouve pas ailleurs. Parmi les différentes façons de ­questionner les hommes politiques, nous avons par exemple une interview intitulée « Vous ­président ». C’est une manière de faire de la ­politique en étant dynamique, drôle et en donnant des idées de politique.

Vous êtes complémentaires d’autres ­émissions d’information classiques. Peut-on dire que vous apportez une ­plus-value informative ?

N. T. Je ne dirais pas qu’on a une plus-value ­informative. Ce serait nous donner trop ­d’importance. Je pense qu’on a une plus-value en terme de compréhension de la personnalité des politiques. On cernera mieux un ­personnage politique après l’avoir vu dans une émission d’infotainment comme la nôtre plutôt que dans une émission purement ­politique où on en sait systématiquement beaucoup plus sur le projet d’un candidat que sur sa personnalité. C’est d’autant plus ­essentiel que la présidentielle est l’une des élections les plus importantes en France, qui se base sur la personne.

« Les politiques n’ont pas besoin de l’humour pour se déprécier tout seuls »

Qu’est-ce que la confrontation d’invités aux profils différents (politiques, comédiens, musiciens…) offre au débat ?

N. T. Lorsqu’ils sont face aux politiques, les acteurs et chanteurs se retrouvent un peu comme des « monsieur ou madame tout le monde ». ­Finalement, ils tiennent le rôle du public. Ils apparaissent dans une position quasi naïve où ils posent des questions de citoyens ­lambda. C’est en fait une marque de fabrique de l’émission, héritée de Thierry Ardisson ­depuis trente ans. Il a toujours prêché pour le mélange dans ses plateaux. Au début de sa carrière, il disait souvent vouloir confronter le temps d’une émission « une pute et un ­archevêque ». Nos plateaux sont toujours très variés, on essaie d’avoir des profils différents. Mettre un politique seul face à Thierry ­n’aurait pas grand intérêt.

D’après vous, l’humour permet-il de ­s’approprier davantage les politiques ou à l’inverse de les ridiculiser et de les ­déprécier encore plus ?

N. T. Je pense que les politiques n’ont pas besoin de l’humour pour se déprécier tout seuls, avec les affaires, les mensonges, les promesses qu’ils ne respectent pas. Ce que l’actualité ­politique va nous servir sur un plateau nous permet de ne pas traiter les invités politiques comme dans les émissions classiques. Et cet humour peut parfois, contrairement à ce que l’on dit, leur être très bénéfique. Lorsqu’ils ­rigolent à une blague qu’on leur fait, ça les rend ­extrêmement sympathiques. Ça montre qu’ils ont de l’humour sur eux-mêmes, qu’ils savent encaisser les critiques.