Face aux nouvelles technologies, Temanuata Girard n’a pas peur de ramer à contre-courant. Car pour elle, l’avenir de l’agriculture ne réside pas dans la modernisation à tout crin, mais bien dans une pratique traditionnelle.

Par Naïla DERROISNE & Medhi CASAURANG-VERGEZ

Après avoir vécu quelques années en Polynésie, Temanuata est revenue en France pour reprendre la ferme de ses arrières grands-parents. Photo : EPJT

« Je n’accepterais pas que mon associée installe un robot de traite. » Temanuata Girard est une passionnée. Cette quadragénaire, de mère polynésienne et de père tourangeaux, travaille sept jours sur sept à la ferme d’Ave, sur la commune de Luynes (Indre-et-Loire). Elle produit du fromage de chèvre qu’elle vend dans le département.

Il y a quinze ans, elle a racheté avec son père la ferme de ses arrières-grands-parents. Temanuata s’est associée à Marion et à son père pour développer l’activité. « J’ai passé mes vacances avec mes grands-parents à la ferme. Et déjà à l’époque je regrettais de voir qu’il y avait 50 hectares disponibles et que l’on n’arrivait pas à en faire quelque chose. »

Temanuata Girard porte des bottes couvertes de boue qui contrastent avec ses yeux maquillés. Ses mains sont abîmées par le travail de la terre. Elle n’est pourtant pas une fille des champs. Elle a surtout vécu en ville. Mais la nature et les

animaux l’ont toujours attirée. D’ailleurs, au sein de son troupeau, chaque chèvre porte un prénom.

Une question d’organisation

Temanuata s’occupe de 50 chèvres et de 12 vaches. Un effectif volontairement restreint. « Je ne veux pas avoir plus de 70 bêtes », affirme-t-elle. Dépasser ce nombre reviendrait pour elle à entrer dans une logique d’élevage intensif. Ce qui ne correspond guère à sa vision de l’agriculture traditionnelle. Ainsi, pas plus de deux traitements antibiotiques sont pratiqués par an, en vertu de la législation sur l’agriculture biologique.

Tous les matins, pendant une heure l’agricultrice trait ses chèvres. Elle vent ses fromages à des particuliers, via une Amap ou bien lors d’événements locaux comme le festival Terres du Son. Ce commerce direct permet selon elle « une véritable transparence » auprès des clients. Cependant, il n’y a pas de ventes possibles de Noël à mars car c’est une période durant laquelle les chèvres ne produisent pas de lait. « Je respecte ce cycle de la nature. Je pourrais travailler par insémination artificielle pour avoir du lait toute l’année. Mais mon but est de produire suivant les lois de la nature. »

« Ma volonté n’est pas d’amasser de l’argent, mais de bien vivre », ajoute-t-elle. Et de fait, si elle travaille d’arrache-pied, pour assurer la stabilité financière de son exploitation, elle est obligée de compter sur le salaire de son mari, employé à la mairie de Luynes.

Temanuata considère qu’il est important de distinguer la vie professionnelle et la vie privée. « Dans ce métier il vaut mieux ne pas travailler avec son conjoint. C’est une question d’organisation. » Dans le cas contraire, si le couple souhaite partir en vacances, cela fait deux personnes en moins pour s’occuper des animaux. Dans une petite ferme comme la sienne, c’est inenvisageable.

Une femme engagée

Temanuata doit composer avec un emploi du temps très chargé : travail à la ferme, quatre enfants et engagement syndical. Elle est en effet porte-parole de la confédération paysanne de l’Indre-et-Loire et siège au comité national à Paris. Elle y défend les valeurs d’une agriculture respectueuse de l’environnement, qui privilégie la qualité à la quantité de la production. L’agricultrice se bat aussi pour le maintien des aides allouées aux petites exploitations.

Temanuata est bien consciente du contexte difficile : « Aujourd’hui, nous sommes en pleine crise de l’élevage. Le litre de lait est acheté aux paysans à moins de 30 centimes. Ce prix n’équivaut même pas à son coût de production. Il faut donc arrêter d’inciter les jeunes agriculteurs à faire des emprunts, qu’ils ne sont pas en mesure de rembourser. » Elle souhaiterait que soient développées des petites exploitations, où le lait serait produit sainement et en respectant la nature. Cela ne nécessiterait pas d’investissements trop importants.

Temanuata s’est aussi essayée à la vie politique en 2014. Elle s’est présenté aux municipales de Luynes à la tête d’une liste sans étiquette. Elle n’a pas été élue mais a obtenu un siège de conseillère municipale qu’elle a quitté l’année suivante. Elle ne souhaitait pas cumuler cette fonction avec son engagement syndical. « Siéger au comité national de la confédération, c’est autre chose que de choisir la couleur du portail de la mairie », plaisante-t-elle.