La maison du souvenir est un lieu destiné à la mémoire des victimes du massacre de Maillé. Toute l’année, de nombreux scolaires viennent visiter ce village reconstitué. Jeanne Laudren/EPJT

Le 25 août 1944, ce petit village d’Indre-et-Loire a subi le plus important massacre de civils en France après celui d’Oradour-sur-Glane. Soixante-dix ans plus tard, Maillé porte encore le souvenir de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants assassinés. Des lycéens se sont rendus sur place afin de prendre conscience de l’horreur de la guerre.

Par Antoine BODDAERT et Jeanne LAUDREN

 

Les élèves de première du lycée professionnel d’Arsonval de Joué-lès-Tours traversent Maillé. Impossible pour eux de prendre conscience des exactions commises dans le village pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils sont pourtant venus pour ça. Au sein de la Maison du souvenir, ils passent d’une salle à l’autre et regardent les nombreuses photographies des disparus, parfois des familles entières. Elles laissent les élèves sans voix. « On sait que ce qui s’est passé est terrible mais, en visitant le village, on n’en a vu aucune trace. C’est irréel », explique Paul.

Un village reconstruit à l’identique

Le 25 aout 1944, Paris est libéré. Un groupe de soldats allemands envahit le village. Les soldats de la Wehrmacht servent de sentinelles. Les autres pénètrent dans le village et tuent tout ce qu’ils rencontrent, humains et animaux. Ils tirent sur les poulent à la mitrailleuse, s’installent dans les maisons pour les manger, mettent le feu avant de partir. Puis ils pilonnent le village avec un canon. Cinquante deux maisons, sur les 60 que comptent le village sont détruites. Ceux qui n’ont pas été directement tués par les soldats périssent dans les flammes. Des habitants ont cependant la vie sauve grâce à l’intervention de l’abbé André Payon auprès des soldats allemands. Ces derniers leur accordent trente minutes pour quitter Maillé.

Très vite, dès la fin des hostilités, le village de Maillé est reconstruit à l’identique. Comme l’explique Romain Taillefait, responsable de la Maison du Souvenir, « reconstruire le village et continuer à vivre, c’était une façon de rendre hommage aux victimes. Un village en ruine ne sert à rien. » Mais l’historien Sébastien Chevereau*, ancien directeur de la Maison du Souvenir, tempère : « Les gens viennent ici pour voir un lieu de massacre. Or, il n’y a plus rien à voir. »

Les auteurs du massacre en partie identifiés

Les commanditaires sont identifiés grâce à des documents authentiques, deux membres de la Wehrmacht : le sous-lieutenant Schlüter et le lieutenant-commandant Stenger. En 1952, à Bordeaux, Gustav Schlüter a été condamné à mort par contumace pour complicité de crime de guerre. Après avoir été auditionné par les policiers, il s’est enfui, n’a ­jamais été retrouvé. Il est mort chez lui en 1965. Stenger, lui, est décédé en 1977, sans jamais avoir été inquiété.

En France, le délai de prescriptions de trente ans est passé. Mais en Allemagne, les crimes de guerre sont imprescriptibles. En 2004, une enquête judiciaire est ouverte. En l’absence de preuves écrites, il a fallu écouter les témoignages des survivants.

Ce n’est que soixante ans après les faits que les auteurs du massacre de Maillé, ceux qui ont tué sans distinction hommes, femmes et enfants, sont en partie, identifiés. Il s’agit de la 17e Panzer division SS, composée d’une soixantaine de très jeunes hommes. Sébastien Chevereau est persuadé que «  la police allemande possède les noms de ces soldats qui ont commis ce crime de guerre. Mais faute de preuves écrites, ceux encore vivants resteront impunis et ne seront jamais jugés ».

Les raisons de ce massacre restent floues. Sébastien Chevereau explique : « Vraisemblablement, cette attaque a eu lieu en représailles d’un événement du 24 août 1944 durant lequel des résistants ont tiré sur des soldats allemands, des SS qui venaient de Châtellerault. » Grâce à la mise en commun des souvenirs des rescapés, les zones d’ombres s’éclaircissent. « Ce massacre a été préparé à l’avance. Cela va bien ­au-delà d’un coup de folie », ajoute l’historien. La majorité des SS impliqués dans la tuerie ont ­combattu sur le front de l’Est, là où la barbarie était courante et où la notion de bien et de mal était inexistante. Maillé n’était probablement pas leur premier massacre. Sébastien Chevereau en est persuadé : « Ils savaient qu’ils commettaient un crime de guerre ».

Une unique source documentaire restante

Lorsque Romain Taillefait évoque les SS, il n’oublie pas de souligner leur jeunesse. Face à lui, les élèves de première ont entre 16 et 20 ans, le même âge que ces soldats. Une information qui provoque un moment de flottement au sein de l’assistance. Les ­enseignants prennent le relais des élèves qui ne posent plus de questions. « D’habitude, ils sont plus ­loquaces. » L’ambiance bruyante et joyeuse de l’arrivée contraste avec le silence qui s’est installé au cours de la visite.

Aujourd’hui, toutes les sources documentaires disponibles ont été vérifiées. Une seule source demeure, la Stasi, l’ancienne police d’Allemagne de l’Est, dont les dossiers ont été partiellement détruits après la chute du régime. Mais la création d’un nouveau scanner va changer la donne. En numérisant toutes les parties des dossiers passés à la broyeuse, il va permettre de les reconstituer et donc d’avoir accès à de nouvelles informations.

Stèle de granit construite en 1984, regroupant les noms des 124 victimes. Photo : Jeanne Laudren/EPJT

Les élèves marchent en silence dans le petit village, attentifs à chaque explication. Dans le cimetière de Maillé, au-dessus de la fosse commune où sont enterrés les 124 morts, se trouve, depuis 1984, une stèle toute simple en granit. Elle remplace celle en bois installée juste après le massacre. Y est inscrit : « à la mémoire des 124 victimes du massacre du 24 août 1944. » Elle est l’un des seuls symboles du massacre. Anaïs, une des lycéennes, résume : « Maillé est un village martyr, presque inconnu, et dont les assassins courent toujours. »

(*) Auteur de 25 août 1944, Maillé… Du crime à la mémoire. Mens Sana Editions.

Pour aller plus loin

Le documentaire Maillé : un crime sans assassins de Christophe Weber

La parole d’un survivant

Soixante-dix ans après le massacre du village de Maillé, Serge Martin témoigne quasiment quotidiennement devant des groupes scolaires. Il ne désespère pas, un jour, de savoir pourquoi un tel acte a été possible et qui en sont les responsables.

Serge Martin pose à côté d’une photo qui se trouve dans la Maison du souvenir. On l’y voit, à gauche, avec l’une de ses petites sœurs et son petit frère, disparus pendant le massacre. Photo : Jeanne Laudren/EPJT

Le 25 août 1944, un petit garçon de 10 ans voit passer un canon allemand sur la route, à quelques mètres de lui. Il est en ­vacances chez ses grands-parents, à Draché, à 2 kilomètres de Maillé. Il ne sait pas ce qui vient de se passer. Il ne se doute absolument pas que ce ­canon s’apprête à pilonner le bourg de 80 obus. « J’ai entendu des tirs, mais on croyait que c’était la Résistance ou les alliés qui n’étaient plus très loin », confie Serge Martin, 81 ans aujourd’hui.

Une enfance difficile

Ce ne sont ni la Résistance ni les alliés, mais des troupes allemandes qui massacrent 124 civils à Maillé. Parmi les victimes : son père, 34 ans, sa mère, 30 ans, son frère, 9 ans et ses deux sœurs, 4 ans et 6 mois. « J’ai ­entendu le soir même que ma famille était morte. Je me suis renfermé sur moi-même et n’ai parlé à personne pendant une semaine. Puis, j’ai voulu revenir au village. » Un village dont il ne reste presque rien, anéanti par la folie meurtrière des Allemands. Même le bétail a été tué. « Je ne sais pas s’il existe un mot dans le dictionnaire capable de définir une chose pareille », s’interroge-t-il.

Après le massacre, Serge Martin ­retourne à l’école non loin de chez ses grands-parents, puis au lycée, à Tours, pendant quatre ans. Il y apprend le métier de maréchal-ferrant, celui qu’exerçait son père. « C’est une promesse que je lui avais faite une dizaine de jours avant le massacre », révèle-t-il. Reconverti ferronnier, serrurier, puis moniteur en machinerie agricole, il prend sa retraite en 1992.

Il vit dans la maison dans laquelle sa famille a été massacrée

Des années de travail qui ne semblent pas l’avoir marqué sur le plan physique. Le crâne un peu dégarni, quelques rides qui laissent paraître les marques du temps, on lui donnerait dix ans de moins. Il s’est marié et regrette de ne pas avoir eu d’enfant. En janvier 1957, il revient vivre dans son ancienne maison de Maillé, reconstruite à l’identique comme tout le village après la guerre.  Une décision très symbolique pour lui. Cependant, durant toutes ces années, pas un mot sur le 25 août 1944, un sujet tabou. « Personne ne l’évoquait. On parlait d’avant et d’après, mais jamais de cette journée. »

C’est en 1994, à l’occasion du cinquantenaire du massacre, que les langues se délient et que naît le projet d’une association, dont il devient président. Le « massacre oublié » se médiatise peu à peu. « Des copains du lycée que je n’avais pas revus depuis des ­années sont venus à ma rencontre après m’avoir vu dans les médias », raconte-t-il. « Il est un peu l’emblème du village. Il est de toutes les cérémonies et témoigne pour que cela ne se reproduise pas. C’est quelqu’un d’introverti mais c’est une personne adorable », commente ­Sébastien Chevereau, historien qui a dirigé la Maison du souvenir jusqu’en 2012. Romain Taillefait, l’actuel responsable, confirme l’importance de ce survivant  : « Il vous fait passer une émotion dans son témoignage. » « Pour moi, c’est un besoin de transmettre. J’ai l’impression que c’est utile, que c’est nécessaire, et cela permet de faire perdurer la mémoire des victimes. C’est un soulagement de pouvoir échanger sur ce sujet après tant de temps », ajoute Serge Martin.

Un pardon impossible

En 2004, il participe à un colloque sur la Seconde Guerre mondiale à Stuttgart et pose alors, pour la première fois, un pied sur le sol allemand. « Quand j’ai franchi la frontière, j’avais les poils qui se dressaient sur les bras, avoue-t-il. Et je n’avais plus entendu parler allemand depuis l’Occupation, un sentiment bizarre… » Depuis, il y retourne de temps en temps. La dernière fois, c’était en juillet 2014, pour un colloque. L’occasion aussi de constater les avancées de l’enquête allemande ouverte en 2004 « pour crimes de guerre ».

« Je ne peux et ne pourrai jamais pardonner à ceux qui ont fait cela. » Les commanditaires sont morts sans avoir été inquiétés. En revanche, les exécutants, âgés d’environ 17 ans à l’époque des faits, sont encore vivants pour une partie d’entre eux. « La seule chose que l’on puisse espérer, c’est que l’un d’eux veuille libérer sa conscience et parle. » Et si cela arrivait ? « Je souhaite savoir pourquoi et je voudrais qu’ils soient jugés et reconnus coupables pour les actes qu’ils ont commis. Après, la prison n’aurait aucun intérêt à leur âge [environ 90 ans, NDLR]. » Malgré tout, Serge Martin garde espoir.