Cultiver la liberté
Quand j’étais en détention, j’avais peur de sortir. J’aurais mal tourné sans la ferme, c’était mon seul espoir. Aujourd’hui, j’ai hâte d’être libéré, je me sens prêt. » Loin de la prison, Mourad, 40 ans, est épanoui. Il s’occupe des 36 chèvres de la ferme de Moyembrie. Condamné en 2013 à cinq ans de prison, il a troqué sa cellule de Liancourt (Oise) pour les 24 hectares du domaine de Moyembrie, situé à Coucy-le-Château-Auffrique, un petit village de Picardie. Comme une vingtaine de détenus – la ferme préfère les appeler « résidents » – il est accueilli dans cette structure unique en France.
Depuis son arrivée, le 18 octobre*, Mourad nourrit et trait les chèvres chaque jour, week-end compris. « Je leur parle, je me sens bien avec elles. Elles me remontent le moral », témoigne-t-il en caressant ses « biquettes ». Son travail sur l’exploitation, il le voit comme une chance, pas comme une contrainte. « Mon passage ici me permet d’avoir davantage de crédibilité pour obtenir un futur emploi. Je suis fier de cette expérience. Je ne remercierai jamais assez la ferme. Les encadrants ont un cœur énorme. »
Quand il ne s’occupe pas de ses chèvres, Mourad se balade dans le domaine ou reste dans sa chambre. Comme tous les résidents encore sous écrou, il vit dans une petite pièce individuelle dont il a la clé. Son logement, impeccablement rangé, est vide et impersonnel. La plupart des résidents décorent leur chambre de photos, de souvenirs et d’autres effets personnels. Mais Mourad n’est là que pour trois mois – à cause de retards dans la procédure – et préfère penser à l’avenir. Seul deux petits dessins faits par ses soins sont accrochés au mur. Ils représentent la ferme et la maison qu’il s’est imaginé pour sa vie après ce qu’il appelle « le placard ». « Depuis que je suis petit, je veux créer ma ferme en Algérie. Le passage à Moyembrie est un tremplin. J’ai appris à m’occuper des chèvres et maintenant j’en veux aussi dans ma future exploitation. » Ces plans-là, cette ambition, Mourad ne les auraient jamais eus sans le soutien de la ferme picarde. « Au placard, j’avais un désir de vengeance, j’avais la haine. Et je savais que quand j’allais sortir, je n’allais rien avoir. »
Comme Mourad, tous les résidents, qu’ils soient sous écrou ou libres, ont l’obligation de travailler. A la ferme, ils sont répartis en quatre équipes : bâtiments, maraîchage, élevage et cuisine. « Ils ont besoin d’un travail qui ait du sens, qui ne soit pas uniquement occupationnel », explique Simon, un des encadrants au maraîchage. Les résidents font vivre la ferme grâce au fruit de leur travail, vendu via des Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap). Certifiés agriculture biologique, 150 paniers sont livrés chaque semaine.