La réinsertion en sursis

Photo : Anne-Christine Poujoulat/AFP.

Sous-payé, sans intérêt et non formateur : le travail en prison pose question. Le droit du travail ne s’applique pas pour les détenus, qu’ils travaillent pour une entreprise ou pour l’établissement pénitentiaire. L’exemple le plus flagrant est le travail à la pièce, interdit mais fréquent. Présentés comme un outil de réinsertion, les rares emplois sont surtout utilisés pour maintenir le calme.

Par Tim Buisson, Chloé Marriault, Apolline Merle et Wilfried Redonnet (texte et photos)

De nombreux détenus travaillent en détention. Leur motivation ? Faire passer le temps, gagner de l’argent pour améliorer leurs conditions de vie, avoir un petit pécule pour la sortie, rembourser les parties civiles et obtenir des remises de peine. Le travail est avant tout un choix. Si cela paraît évident aujourd’hui, cela n’a pas toujours été le cas : jusqu’en 1987, il était obligatoire pour tous les détenus.

Parmi ceux qui travaillent, certains sont embauchés par des entreprises privées, via un système de concessions. Ce fut le cas de Mourad. Payé à la pièce, une pratique pourtant interdite depuis la loi pénitentiaire de 2009, il gagnait un revenu proportionnel à son rythme de production. « Je touchais entre 275 et 300 euros par mois en travaillant de 7 heures du matin à 11 heures. Dans l’atelier, on se disait que c’était de l’exploitation », se souvient-il. Si le salaire en fin de mois était maigre, cette activité lui permettait au moins de s’occuper.

Mais le travail à la pièce incite les détenus à en faire toujours plus. Cadences élevées et temps de repos peu respectés : le système pose question. Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté, s’oppose au paiement à la pièce mais a conscience que cela bénéficie à certains prisonniers : « Ceux-là préfèrent ce type de rémunération car ils toucheraient moins s’ils étaient mensualisés. »

« Mon but, c’était de sortir de ma cellule, de voir du monde, que ça bouge, sinon je serais devenu fou »

Christian

Au début de son incarcération, Christian gagnait environ 600 euros par mois en faisant des petits travaux de manutention. Motivé et productif, il est rapidement monté en grade. Quand il est passé contremaître, il gagnait entre 800 et 850 euros. A la fin de sa peine, il a réussi à devenir cariste. Il s’occupait du chargement des camions. Ce nouveau poste lui a permis de gagner quasiment 1 000 euros par mois. Une activité peu épanouissante mais qui lui a permis de s’occuper.

« Mon but, c’était de sortir de ma cellule, de voir du monde, que ça bouge, sinon je serais devenu fou. Je faisais ça surtout pour moi plutôt que pour l’argent. » Malgré les sommes versées aux parties civiles, il a réussi à mettre un peu d’argent de côté, sans oublier de s’octroyer quelques plaisirs en détention. « Je vivais assez bien, je fumais des blondes plutôt que des roulées. » Après sept ans de travail, Christian est sorti de détention avec 4 000 euros d’économies.

Si on en croit un article d’Alternatives Economiques daté de 2010, de grands noms figurent parmi les entreprises qui font travailler des détenus et qui profitent de ce système : Renault, Yves Rocher, L’Oréal, Agnès B ou encore Post It. Elles préfèrent en général rester discrète car la plupart précisent dans leur charte qu’elles n’emploient pas de détenus. C’est qu’elles ont trouvé une astuce comme l’explique Marie Crétenot, juriste à l’Observatoire international des prisons (OIP) : elles font appel à des sous-traitants ou des sociétés écrans qui emploient les détenus. Juridiquement, ce ne sont donc pas elles qui les emploient.

Certains prisonniers travaillent à temps plein. Pour d’autres, l’activité n’est pas régulière. Chaque matin, ils doivent se tenir prêts sans avoir aucune garantie de pouvoir travailler. « Au final, ils ne bossent que quelques heures dans la semaine ou dans le mois et peuvent se retrouver avec un revenu très faible de 50 euros », dénonce Marie Crétenot. Difficile alors de se réinsérer.

Si le système est décrié par les associations, la direction de l’administration pénitentiaire, elle, vante les mérites de ce travail qui offrirait un « gain financier » aux entreprises grâce à « un mode de rémunération basé sur la production réelle et des charges patronales moindres ». « Souplesse et réactivité » de la main d’œuvre sont promises aux entreprises. Et ce n’est pas tout : l’administration pénitentiaire « fournit gratuitement les locaux industriels adaptés à l’activité, assure la surveillance et garantit la sécurité, adapte l’organisation, l’environnement et le temps de travail aux besoins de l’entreprise ». Sous couvert de réinsérer les détenus, l’administration pénitentiaire et les entreprises privées n’hésitent pas à les exploiter.

Mais tous ne travaillent pas pour des entreprises privées. Certains, comme Christian, sont employés directement pour le service général de leur établissement de détention (travaux d’entretien et tâches pour assurer le fonctionnement courant de l’établissement : cuisine, plonge, travaux de peinture, de plomberie…). Autrement dit, ils font tourner l’établissement pénitentiaire. D’autres encore travaillent sous le contrôle direct de l’administration pénitentiaire dans des ateliers gérés par le service de l’emploi pénitentiaire (SEP).

« Ce travail m’a donné une identité, une fonction »

Laurent

En prison, les détenus payés mensuellement peuvent gagner de 20 % à 45 % du Smic horaire brut. Une rémunération que dénonce Adeline Hazan. Si pour elle, aucune entreprise ne veut payer un travailleur à hauteur du salaire minimum, il faudrait toutefois s’en rapprocher. Arrivé en juin 2012 à la maison d’arrêt d’Amiens, Laurent*, a passé quatre ans en prison. En 2013, il a été transféré à la maison d’arrêt de Val-de-Reuil, en Normandie, où il a très vite travaillé en tant qu’auxiliaire bibliothécaire. Un travail peu rémunéré, environ 220  euros par mois, soit 10  euros par jour.

Si ce travail était mal payé, il a tout de même permis à Laurent de reprendre un rythme et d’occuper ses journées. Il lui a surtout donné l’occasion de retrouver l’estime de soi et une utilité au sein de l’établissement. « Ce travail m’a donné une identité, une fonction. C’est hyper important. A chaque fois que j’allais quelque part, même ceux qui ne connaissaient pas mon nom me disaient : “Ah ! le bibliothécaire, il faut que je te vois.” », raconte-t-il.

Devenu bien plus qu’un simple auxiliaire bibliothécaire, il rédigeait des courriers professionnels ou personnels pour les autres détenus et en conseillait certains sur le parcours en détention et sur l’après-prison. Occuper le temps, trouver son rôle et sa place dans la prison, des préoccupations quotidiennes pour ne pas sombrer.

Des détenus travaillent à l’emballage de marchandises pour le compte de chaînes de supermarché, le 27 novembre 2008 dans un atelier du centre pénitentiaire du Pontet. Photo : Anne-Christine Poujoulat/AFP photo

Mais l’ambiance au sein des ateliers est parfois dure. Les demandes d’emploi sont nombreuses et les places rares. D’après Marie Crétenot, seule 25 % de la population carcérale aurait un emploi. Alors, pour obtenir un travail, les coups bas sont monnaie courante. « Tout est permis pour essayer de faire perdre son boulot à quelqu’un, pour essayer de le récupérer ou de le faire obtenir à quelqu’un que l’on apprécie », confie Laurent.

Un sentiment partagé par Patrice*. Président d’une association de réinsertion, il est sorti il y a huit ans. « Dans un atelier, il est fréquent que des détenus fassent pression sur des travailleurs seuls ou qui viennent d’arriver et qui n’ont pas de moyens pour résister », raconte-t-il. Il n’est pas rare que le chef d’atelier cède aux pressions pour éviter les émeutes. Du jour au lendemain, un détenu peut être nommé ou viré.

Détenu pendant sept ans, Patrice a travaillé en partie pour pouvoir garder une dignité. Une brosse à dents, un tube de dentifrice et un rouleau de papier toilettes sont les seuls luxes fournis par l’administration pénitentiaire : tout le reste doit être acheter. Les objets d’hygiène les plus basiques, comme l’eau de toilette ou le gel douche, deviennent des repères et permettent de garder l’estime de soi.

Des conditions de travail controversées

Au-delà de la rémunération, ce sont les conditions de travail en prison qui posent question. En effet, les détenus ne sont pas soumis au code du travail. Ils ne signent pas de contrat de travail, mais un acte d’engagement. Ils ne bénéficient d’aucune protection du droit du travail ni d’indemnités en cas de chômage technique. Ils n’ont pas non plus d’arrêts maladie et ne peuvent pas se réunir en syndicat.

Pour Martine Herzog Evans, professeure de droit de l’exécution des peines et de criminologie à l’université de Reims, ces conditions de travail sont regrettables, mais difficilement modifiables. « Si l’on applique les beaux principes du droit du travail en prison sur tous les plans, il n’y aurait plus de travail, ce qui serait dommage. Les entreprises ne sont pas des philanthropes, il ne faut pas rêver, analyse-t-elle. Elles ne viennent en prison offrir de l’emploi que parce qu’il y a des salaires attractifs. »

Mais ce n’est pas une raison pour ne pas se pencher sur les conditions de travail des détenus, poursuit-elle. En effet, les normes de sécurité ne seraient pas toujours respectées : absence de chaussures de sécurité, exposition à des vapeurs toxiques et aux court-circuits… « Les directeurs de prison sont frileux à appeler l’inspection du travail, de peur que l’activité soit fermée », explique Martine Herzog Evans. Difficile de constater cela de visu – toutes nos sollicitations pour entrer en prison ont toutes été rejetées –, mais les témoignages se recoupent pour dénoncer des conditions de travail déplorables.

Si la situation est préoccupante dans certains établissements, il ne faut cependant pas généraliser : d’autres s’astreignent à respecter les règles.

Un détenu assemble des pièces pour l’industrie automobile à la centrale de Poissy. Photo : Joël Saget/AFP photo

Rares sont les détenus pour lesquels le travail en prison est synonyme de réinsertion. Pour Marie Crétenot, la fonction principale n’est d’ailleurs pas de préparer la sortie ni de leur permettre d’acquérir des compétences professionnelles mais plutôt d’apprendre à respecter les règles. « L’administration pénitentiaire a une vision très archaïque du travail en prison. Pour elle, c’est surtout un moyen de faire régner le calme dans ses murs. »

Pour Patrice, le travail consistait seulement à mettre des courriers dans des enveloppes. « Le travail favoriserait la réinsertion si les détenus apprenaient quelque chose ou s’ils avaient un patron à l’extérieur », s’indigne-t-il.

Une vision des choses que partage Raphaël Eckert, juriste et auteur du livre « Le travail en prison » (Édition Presses). Pour lui, les pouvoirs publics se soucient peu de ces questions. Ils axent leurs propositions sur la punition et l’enfermement plutôt que la réinsertion. « La population, dans sa majorité, est favorable à la répression. Ce n’est pas un sujet qui mobilise les masses, excepté quelques associations et juristes qui s’intéressent à ce sujet. » En pleine campagne présidentielle, la question carcérale est en effet davantage, si ce n’est exclusivement, tournée vers l’enfermement plutôt que vers la réinsertion. « En France, pour l’opinion publique, on n’a pas été puni tant qu’on est pas allé en prison », reconnaît Marie Crétenot.

Des associations mobilisées

Pour combler les failles des établissements pénitentiaires, les associations s’investissent auprès des détenus et mettent en place des ateliers dans l’optique de leur proposer du travail. Parmi les plus actives en la matière : Emmaüs. A la maison d’arrêt de Strasbourg, les détenus réparent des cycles donnés à l’association qui, une fois remis en bon état, sont revendus par cette dernière. Ils travaillent du lundi au vendredi, uniquement le matin et sont rémunérés 2,26 euros de l’heure. Le salaire est loin d’être la première motivation.

Celle-ci est à rechercher plutôt dans le fait que la participation à cet atelier permet d’obtenir des remises de peine. Mais ce qui prime avant tout, c’est le fait de pouvoir sortir de la cellule et de s’occuper. C’est aussi « être avec les copains. C’est important d’avoir une bonne ambiance car il ne faut pas oublier que, dans l’atelier, il y a tout pour régler ses comptes : marteaux, tournevis, etc. Ça peut vite déraper », reconnaît Xavier Durand, qui a repris l’atelier de réparation de vélos au printemps 2016. « Quand on est en prison, on pourrit mentalement et physiquement. Avoir une activité permet d’avoir quelque chose qui stimule »,

précise-t-il. Certains détenus parviennent à être embauchés dans l’atelier de vélo à Emmaüs. Ils sont engagés pendant deux ans via un contrat d’insertion de vingt-quatre heures par semaine, rémunéré 700 euros par mois.

Si le travail a pour fonction d’occuper les détenus et de les intégrer, il permet aussi de réduire la récidive. L’idée est intéressante, mais les places proposées sont, encore une fois, trop peu nombreuses. A la maison d’arrêt de Strasbourg, 700 personnes sont incarcérées et 170 environ

travaillent, tous secteurs confondus, y compris la formation. L’atelier d’Emmaüs ne peut accueillir que six détenus à raison de cent cinquante à cent quatre-vingt heures par travailleurs, grâce à un roulement entre détenus. Le 3 novembre 2016, une vingtaine de personnes était sur liste d’attente, la moitié ayant été sélectionnée sur un critère : la motivation.

Il faut nuancer les effets de ces initiatives car si elles sont indéniablement louables, elles restent rares et concernent une minorité de détenus. Et même si pour nombre d’entre eux, le travail reste synonyme d’exploitation, Xavier Durand, persiste à croire qu’il a son importance. « Celui qui a pris plusieurs années de prison est content de venir travailler car l’atelier est sa soupape. »