Manettes en main, les joueurs se serrent derrière le canapé en face de l’écran. Photo Victorine Gay/EPJT
Parler d’addiction aux jeux vidéo est devenu habituel, y compris chez les joueurs eux-mêmes. Pourtant, certains professionnels de la santé remettent en cause l’idée de dépendance.
Par Victorine GAY et Robin WATTRAINT
Pour Vincent, cela n’a pas toujours été le cas. « Quand j’étais plus jeune, je pouvais jouer dix heures par jour et peut-être quinze, voire plus, le week-end. J’ai par exemple beaucoup joué au premier World of Warcraft », raconte-t-il. Il ne s’est jamais considéré comme accro : « Je me disais que c’était dans la norme, comme les gens qui regardent la télé tous les jours par exemple. Et puis je ne me refusais rien à cause des jeux : si je devais sortir avec des amis ou avec ma famille, j’y allais. »
Les experts se contredisent
Myriam Brisson, responsable du pôle addictions au CHU de Nantes, explique qu’il est malgré tout difficile, pour les principaux concernés, de reconnaître la gravité de la situation. « Les joueurs ont du mal à prendre conscience de leur problème. Dans la majorité des cas, ce sont surtout les parents qui appellent », avance-t-elle en notant que cela ne va généralement pas plus loin qu’un simple coup de téléphone. « Peu envisagent une démarche de soins. Pourtant, cela ressemble clairement à de l’addiction. Certains ne supportent pas le sevrage. Cela provoque des crises d’angoisse, des accès de violence… »
D’autres spécialistes réfutent totalement cette idée. Yann Leroux, psychanalyste bordelais, lui-même joueur depuis de nombreuses années, explique que parler de dépendance est une « malversation intellectuelle ». « On ne peut même pas parler de dépendance sans drogue, parce que ce que retiennent les addictologues comme critère d’addiction, c’est le syndrome de manque. Or il n’y en a pas du tout avec les jeux vidéo. Vous pouvez jouer quinze heures par jour pendant six mois et arrêter du jour au lendemain », assure-t-il.
Thomas Gaon, psychologue clinicien, membre de l’Observatoire des mondes numériques, rejoint Yann Leroux. « Il n’y a pas d’addiction, même chez les adolescents. Cela n’empêche pas que la période de sevrage est difficile, car les jeux vidéo constituent un lieu de sociabilité et une possibilité de reconnaissance du groupe d’appartenance. Mais il faut distinguer l’addiction de la frustration. » Une étude de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) et de la consultation jeunes consommateurs (CJC) publiée en décembre 2014 montre qu’un adolescent sur huit aurait un usage problématique des jeux vidéo. Mais à aucun moment elle ne parle d’addiction ni de dépendance.
Un loisir comme un autre
Si au Djoule’s café le partage et la convivialité sont de rigueur, Vincent Lelandais assure que « l’isolement peut créer la dépendance ». Mais pour Yann Leroux, c’est encore un raccourci trop facile. « Si une personne utilise la lecture ou les échecs pour ne pas entrer en contact avec son environnement, on ne parlera pas d’addiction. On a trop tendance à parler par approximation. »
Thomas Gaon abonde dans ce sens. Il assure que les jeux vidéo ne sont qu’une partie du problème : « Au départ, il y a déjà une fragilité, une vulnérabilité. » Il est alors nécessaire de prendre en considération l’environnement familial des individus qui ont une utilisation excessive des jeux vidéo. « On prend souvent les choses à l’envers, complète Yann Leroux. Lorsque des adolescents ne vont pas à l’école, on dit que c’est pour jouer aux jeux vidéo. Mais en réalité, ces jeunes jouent beaucoup parce qu’ils ne suivent plus à l’école. Si ce ne sont pas les jeux vidéos, ce sera autre chose, sans le moindre doute. Il faut absolument inverser le problème. »
Thomas Gaon dénonce la diabolisation des jeux vidéo : « On fait croire qu’ils rendent fous, idiots voire même violents. » Il s’agirait d’un passe-temps comme les autres, qui n’a pas de fonction particulière si ce n’est l’amusement. « C’est facile d’accuser les jeux vidéo pour déresponsabiliser les parents ou les politiques. Le problème, c’est que la politique va toujours plus vite que la science », poursuit-il.
Depuis le sous-sol du Djoule’s café, le nom du vice-président de l’association fuse depuis quelques minutes déjà. Vincent s’en amuse : « Ils m’attendent, il faut que je lance la partie. » Les membres ont beau ne pas être accros, ils s’impatientent bel et bien.
Pour aller plus loin
Un geek derrière le comptoir
Goran Djuric, propriétaire d’un bar à vin à Tours, est aussi un véritable amateur de jeux vidéo. Les heures passées devant les écrans, ne l’empêchent nullement d’exercer son métier, qui le passionne, ni de s’occuper de sa famille.
Dans le monde virtuel, il est Rango. C’est ainsi que ses amis de Toursarena l’appellent lorsqu’ils se retrouvent sur les jeux en réseau. Goran s’amuse de ce pseudo qui inverse les syllabes de son prénom et qui sonne comme Rambo. Féru de jeux vidéo, il l’est aussi de jeux de mot. Pour preuve, son bar s’appelle : Ô lieu-dit Vin. Ce soir, de fidèles clients sont accoudés au comptoir et savourent ses dernières découvertes : des vins du Languedoc. Il les couve d’un regard bienveillant. La dégustation, exceptionnellement, « c’est cadeau de la maison ».
A 10 ans, sa première console
Ses deux passions, il les cultive depuis longtemps. Pour les jeux, tout commence à 10 ans. A l’occasion de son anniversaire, sa mère lui offre une console Nes et le jeu Super Mario Bros. « Je jouais beaucoup. Mais dès qu’il faisait beau, ma mère nous foutait dehors. » La famille n’est pas riche, le nombre de jeux est donc limité et il en a vite fait le tour. À 17 ans, il touche son premier salaire : 6 500 francs (un peu moins de 1 000 euros). « Avec une somme pareille, j’étais le roi du monde. » Il s’offre une Playstation 1 à 1 500 francs (environ 230 euros) et le jeu Tekken.
Dix ans plus tard, ses copains et lui branchent trois PC en réseau : c’est leur première « LAN », partie en réseau fermé. Au fur et à mesure, le groupe s’élargit. Depuis trois ans, la mairie de Joué-les-Tours, sa ville d’origine, leur demande même d’organiser une LAN au foyer de l’Alouette pour soutenir le téléthon en décembre.
A 22 ans, son projet d’ouvrir un bar
L’amour du vin est lui aussi ancien. Antoine Andrieu, sommelier et cogérant du bar, raconte qu’il parlait déjà de ce projet avec Goran qui n’avait alors que 22 ans. Malgré ses cinq ans d’expérience dans la comptabilité, la réponse des banques est catégorique : « Faites vos armes les gars. » Finalement, en 2008, une banque leur accorde sa confiance. Le bar ouvre ses portes. Goran a 30 ans.
A ses yeux, le vin et les jeux favorisent tous les deux la vie sociale. Contrairement à ce que l’on croit, jouer n’isole pas. « Encore hier soir, insiste -t-il, sur Dota 2 (une prolongation de World of Warcraft, NDLR), je jouais avec un pote de Metz. Deux femmes nous ont rejoint. Surprise : l’une d’elles m’a appelé par mon vrai prénom. Elle avait dû l’entendre dans une conversation avec l’un de mes amis de Toursarena. »
Il joue entre huit et quinze heures par semaine et, parfois, il se surprend en finissant tard. « L’autre fois, c’était 2 heures du matin. » Goran compare cette évasion à la lecture d’un livre. Pendant qu’il joue sur BioShock, où il profite d’un « environnement magnifique », Stéphanie, son épouse, regarde , elle,« des séries de fille » comme Greys Anatomy.
Sa femme ne connaît rien aux jeux vidéo. « On a mis l’ordinateur dans la cuisine pour que je ne l’entende pas râler. » Parfois Goran crie : « On va tout péter » ou « GG » (Good Game, NDLR). Il admet même lâcher quelques insultes de temps en temps « sauf s’il y a mon fils derrière, je fais attention ». L’avantage « c’est pour les cadeaux » indique Stéphanie. Le dernier en date : une carte graphique à 350 euros.
De nouvelles priorités
Stéphanie l’assure, le vin demeure ce qui passionne le plus son époux. Emma, stagiaire du bar à vin, confirme : « Tu peux rester cinq heures avec lui, il ne parle pas de jeu. » Lui poursuit : « J’ai une famille, ma femme et mon fils de 4 ans. J’ai aussi mon entreprise. A force, on a des priorités. » S’il aime expliquer ses jeux à son fils, partager avec lui sa passion, il ne veut pas forcement lui transmettre le virus.
Les anciens de Toursarena ont des profils variés : le président est professeur de biologie, un autre est peintre. Si eux jouent moins, certains, surtout parmi les plus jeunes, ont des comportements de jeu chronophages. Mais, selon Goran, si on est bien entouré, il n’y a pas de soucis : « J’ai connu un gars qui passait tout son temps à jouer à WoW. Depuis qu’il a trouvé une femme de deux fois son âge, il a tout lâché. » Pointant son tablier où est inscrit « Faites l’apéro pas la guerre », il ajoute : « Les jeux de guerre ne rendent pas fous, même s’ils sont de plus en plus réalistes. »
Il se méfie plus des jeux sur Smartphone, qu’il trouve plus addictif. Enrôlé par ses amis sur Travian, il se connectait tous les jours et à n’importe quelle heure pour éviter les attaques. Sa femme se souvient de six mois pénibles. Mais lui sourit : sa victoire finale lui a permis d’arrêter. « Sinon j’y serais encore ! »
Jeux vidéo : êtes-vous addict ?
Eva et Yoan, deux jeunes travailleurs, racontent de leur passion pour les jeux vidéo et réfutent la notion d’addiction.
Présents à la DreamHack, le plus grand festival de jeux vidéo au monde qui a eu lieu à Tours du 8 au 10 mai, ils nous racontent aussi ce moment.