Sur le port de Vannes, Palestiniens et Bretons ont partagé un pique-nique le 16 avril dernier, avant de prendre un bateau pour rejoindre l’île aux Moines. Photo : Noémie Lair/EPJT

En France, l’école est laïque depuis 1881 mais la religion reste toutefois présente dans les programmes. Le collège privé catholique de la Trinité-Porhoët, en Bretagne, a favorisé le dialogue religieux grâce à un échange avec celui de Zababdeh, en Cisjordanie. L’occasion pour les élèves de s’enrichir, spirituellement.

Par Robin DOREAU et Noémie LAIR

Au pied de la cathédrale de Vannes, un homme au teint mat, dont le T shirt porte des inscriptions arabes, intrigue les passants. Il photographie les pavés, les pierres de la cathédrale et même les chaises de la terrasse d’un café. « Un vrai Chinois », commentent ses amis. Cet homme, c’est Souhaïl. Professeur de religion du collège catholique de Zababdeh, en Cisjordanie, il accompagne 22 élèves palestiniens, âgés de 14 à 16 ans venus rencontrer ceux du collège privé catholique Saint-Anne de la Trinité-Porhoët (56). Et pendant qu’une partie de ses élèves prient dans la cathédrale en compagnie d’Abouna Nidal, leur prêtre, lui aussi palestinien, il prend des photos…

Le père Frédéric Fagot, grand connaisseur de la Terre sainte, est à l’origine de ce projet d’échange scolaire entre des collèges bretons et palestiniens. Il espère ainsi rapprocher les deux pays et ouvrir les esprits à d’autres cultures et à d’autres religions. D’une certaine façon, il a anticipé les recommandations de Najat Vallaud-Belkacem. En effet, après les attentats de janvier 2015 à Paris, la ministre de l’Education nationale a demandé un renforcement de l’enseignement du fait religieux.

En Palestine, un mur matériel, en France, un mur culturel

Depuis son arrivée dans le diocèse de Vannes, en 2012, le père Fagot a déjà organisé trois voyages. Mais l’échange entre le collège Sainte-Anne de la Trinité-Porhoët et celui de Zababdeh est le plus abouti. Car si les jeunes bretons se sont rendus en Palestine comme les autres collégiens, ils sont les premiers à accueillir leurs correspondants. Une grande satisfaction pour Brigitte Philippe, la directrice. Cette rencontre est, pour elle, une brèche dans le manque d’ouverture d’esprit de ses concitoyens : « S’il y a réellement un mur qui sépare Israéliens et Palestiniens, en France, ce mur est uniquement culturel. »

Après une journée passée dans les familles, les deux groupes se retrouvent à Vannes. Abouna Nidal explique que l’échange est avant tout « culturel, spirituel et linguistique », mais la religion occupe une place importante. Diana, Sophie et Lucas, collégiens bretons, sont ravis de retrouver leurs amis et d’évoquer le voyage effectué en mai 2014 : « En Israël et en Palestine, nous avons visité les principaux lieux saints : Jérusalem, Nazareth, Bethléem… Nous avons dormi chez des religieuses. » Diana, plongée dans ses souvenirs, ajoute même : « J’y retournerais avec grand plaisir. » Pour leur séjour en France, les Palestiniens auront droit à un programme similaire avec des visites d’églises et de cathédrales.

Au nord-est de la Cisjordanie, la ville de Zababdeh a accueilli en mai 2014 les élèves de la Trinité-Porhoët. Au loin, l’université arabo-américaine surplombe la ville d’à peine 3 600 habitants. Photo : Noémie Lair/EPJT

Dans l’Hexagone, on aborde la religion au travers de ce qu’on appelle le « fait religieux ». Il ne s’agit pas de faire du prosélytisme mais de replacer les éléments des religions dans leur contexte pour comprendre l’histoire culturelle actuelle. Cet enseignement fait partie des programmes d’histoire et de géographie de l’Éducation nationale qui s’appliquent à tous les établissements, publics comme privés sous-contrat avec l’État. Si ces derniers doivent respecter ces directives, ils bénéficient d’une certaine autonomie pour le faire. C’est ce qui constitue leur « caractère propre ». « Le nôtre, c’est le catholicisme », affirme Brigitte Philippe. Ainsi, dans l’enseignement catholique, la religion peut prendre une place plus importante et moins objective. ­Joseph Herveau, chargé de mission pour le département éducation du secrétariat général de l’Enseignement catholique, ­explique que « la place de la religion se fait au cas par cas. Le catéchisme est, par exemple, une option, tout comme la culture religieuse qui peut être proposée afin de faciliter le vivre ensemble. »

Une accueil chaleureux pour les jeunes Palestiniens

À Sainte-Anne, les cours d’histoire des religions et les célébrations catholiques sont obligatoires pour tous, même pour les quelques anglicans ou ­témoins de Jéhovah que compte l’établissement. L’ouverture aux religions et aux autres cultures se fait d’une autre manière, notamment via l’échange avec les Palestiniens. Car si les deux collèges sont liés par la religion catholique, les cultures, elles, diffèrent. D’autant qu’une partie des élèves de Zababdeh est musulmane. Lors de la séance shopping dans les rues de Vannes, le voile sur les cheveux de certaines palestiniennes surprend. Une différence qui n’a cependant posé aucun soucis aux Bretons. Abouna Nidal en est agréablement surpris : « Les familles qui accueillent nos élèves essayent de leur donner tout ce qui convient à leur religion. » Certains hôtes ont même pensé à acheter de la viande halal. Cela dit, question alimentation, les visiteurs ont d’autres exigences. Après avoir fait le tour des magasins, la directrice peut constater qu’ils ramènent « un tas de cochonneries ». Elle rappelle que les ­Palestiniens ont l’habitude de manger sucré. Un goût que partagent d’ailleurs la plupart des adolescents.

Sur le port, tout le monde se retrouve avant de partir pour l’île aux Moines. Malgré la barrière de la langue, des élèves parviennent à discuter ou à jouer avec les mains. Bien que les règles ne soient toujours pas comprises par les Français, après trois parties, les rires fusent. Ils sont emblématiques de l’ambiance de la journée. De leur côté, les organisateurs, entourés de journalistes, se remémorent la préparation du voyage et évoquent leurs craintes avant le départ. Souhaïl évoque le père d’une des élèves qui est en prison en Israël. Cela aurait pu l’empêcher de sortir de Cisjordanie. Au final, tout s’est bien passé. Pour Abouna Nidal, cela ne fait aucun doute, c’est « grâce à Dieu ! »

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Zababdeh-La Trinité-Porhoët

 

Homme d’église, il défend la laïcité

Élevé dans la religion catholique, Paul Rodier a fait toute sa carrière au sein de l’Éducation nationale. Il souhaitait ainsi promouvoir ce qu’il appelle « les vraies valeurs la laïcité ». Aujourd’hui retraité, il continue son combat en tant que diacre.

Paul Rodier souhaite que l’enseignement de la religion soit plus présent dans les programmes scolaires. Photo : Noémie Lair/EPJT

« La religion ? Je suis tombé dedans quand j’étais petit ». À 63 ans, Paul Rodier a beau être retraité, il n’en mène pas moins une vie très active. Père de cinq enfants il a aujourd’hui trois petits-enfants. Mais c’est son engagement religieux qui occupe le plus clair de son temps. Il est en effet diacre au sein de l’église catholique depuis maintenant deux ans. Le diaconnat peut être temporaire, une étape sur le chemin de la prêtrise, ou permanent, comme pour Paul. Une décision qui scelle un engagement très fort et qui fut « comme une évidence » pour sa fille Laure.

Mais un engagement pas si évident que cela au regard de sa carrière entièrement menée à l’Education nationale. « Toute mon éducation s’est faite en établissement privé. Pourtant, j’ai décidé d’enseigner dans le public. » Après son bac, il entreprend une licence en mathématiques, au cours de laquelle. C’est à cette époque qu’il rencontre son épouse. Diplome en poche, le couple part pour Marrakech où Paul Rodier enseigne pendant six ans. Une ouverture, à la fois culturelle et religieuse, dans un pays où la religion musulmane est majoritaire. À son retour en France, Paul Rodier passe le concours de personnel de direction et devient principal de collège dans le Cher puis à Chartres où il finira sa carrière.

« La laïcité est devenue la religion suprême »

Durant toute cette période, la question religieuse est restée au centre de ses préoccupations. Alain Martin, son adjoint dans les années deux mille au collège Pierre-et-Marie-Curie – situé en zone d’éducation prioritaire – se rappelle que Paul Rodier respectait et défendait les valeurs de la République, tout en apportant sa touche chrétienne. « Il avait volontairement choisi de venir dans cet établissement. Il a réussi à se faire respecter par les élèves, grâce à sa rigueur et ses qualités humaines. Il ne criait pas sur les toits qu’il était chrétien, mais il avait un comportement digne des valeurs de la religion catholique », détaille-t-il. Emmanuel Blondeau, prêtre qui côtoie Paul Rodier, va dans le même sens : « Son implication dans la religion est très importante. J’admire son parcours et son ouverture d’esprit. »

Partout où Paul Rodier est passé, il a laissé une emprunte religieuse. À Maintenon et au collège Jean-Monet par exemple, il a mis en place une aumônerie, en accord avec les parents. Il a également monter un groupe d’échanges entre musulmans et chrétiens. Pour lui, ce n’est pas une manière de valoriser la religion, « mais une façon de la respecter ». Tout à son image : chez lui, très peu de signes religieux, excepté peut-être cette petite croix brodée sur sa chemise.

« La laïcité est devenue la religion suprême »

C’est donc dans le respect de toutes les religions que cet homme d’église a choisi d’enseigner dans le public, pour « ne pas se refermer sur la religion catholique ». Il développe toutefois une définition de la laïcité très personnelle de la laïcité : « L’école est bien trop souvent dans le déni des religions. Cela pervertit la laïcité. Aujourd’hui, la laïcité occupe la place de religion suprême. Or, lorsque la laïcité devient une religion, il ne peut y avoir que des problèmes. » Et de se souvenir qu’une fois, alors qu’il était principal à Curie, il a demandé que le brevet blanc soit déplacé car il se déroulait pendant le ramadan. Un enseignant lui a  répondu : « Tu ne veux pas qu’on tourne les tables vers la Mecque non plus ? » Ce genre de remarque, selon Paul Rodier, ne peut qu’engendrer Le Conflit.

Plu largement, il souhaiterait que des cours de religions, sur le christianisme, le judaïsme, et l’islam soient dispensés en établissement public, comme dans le privé. Il est persuadé que cela permettrait de mieux comprendre leurs fondements et donc ceux de notre société. « La constitution européenne ne mentionne jamais ses origines chrétiennes. Pourquoi renier ce qui a façonné notre société durant deux millénaire ? » s’insurge-t-il.

Toucher les consciences

Il va plus loin. Pour lui, l’ouverture et l’acceptation des religions au niveau scolaire mais aussi politique serait nécessaire pour garantir une laïcité « saine ». « Le respect de toutes les religions et une liberté de conscience conduisent à la liberté religieuse » explique t-il.

Pour toucher les consciences, le diacre tient, depuis peu, des conférences. La première,  sur l’éducation et la religion, a eu lieu au début du mois d’avril devant des directeurs d’établissements scolaires. « Une conférence qui nous a apporté plus de questions que de réponses », constate Gaëlle Thiebault, CPE du collège privé Saint-Pierre à Dreux. Elle poursuit : « Nous allons désormais essayer de porter plus d’intérêt aux autres religions présentes dans notre établissement. » Paul Rodier n’en demande pas plus.