Depuis les années cinquante, les politiques urbaines tentent de mettre en œuvre le « brassage social » soit en faisant construire des logements sociaux dans des quartiers aisés, soit en tentant de sortir les quartiers pauvres de l’enfermement. C’est sur ce deuxième point que se porte l’essentiel des efforts des municipalité. Désenclaver ces quartiers devient l’urgence politique, comme y attirer les classes moyennes par une politique volontariste. Mais force est de constater que la mixité sociale, longtemps présentée comme remède aux maux des banlieues, ne fonctionne pas.
Barbara ARSENAULT, Khadija BEN HAYYAN et Audrey VAIRÉ
Les ghettos sont depuis longtemps la bête noire des gouvernements. Taux de chômage élevé, pauvreté, délinquance… Ces quartiers cumulent les difficultés sociales. depuis de nombreuses années, les hommes politiques s’attaquent à ce dossier épineux et cherchent à enrayer le phénomène de ghettoïsation. Ils alternent, par exemple, habitat privé et logements sociaux dans les zones urbaines sensibles (ZUS) afin d’attirer les classes moyennes. Reste que, dans ces quartiers, un habitant sur trois vit encore sous le seuil de pauvreté. Autant dire que la mixité sociale y est quasi inexistante. Dix ans après la mise en place du Programme national de rénovation urbaine (PNRU), la population des quartiers sensibles n’a pas, ou peu, été renouvelée. Même si le paysage urbain a été modifié en profondeur.
Ce chamboulement est un des résultats indéniables du projet, lancé en août 2003. À l’époque, Jean-Louis Borloo – alors ministre délégué à la Ville et à la Rénovation urbaine – souhaite réduire les inégalités sociales. Il dit vouloir « remettre la République dans les quartiers et les quartiers dans la République ». Concrètement, la démolition de 250 000 logements sociaux est prévue, avec autant de reconstructions. Aujourd’hui, plus de 600 000 logements ont été réhabilités, démolis ou reconstruits. Mais sans de réels effets sur la mixité sociale. La plupart des villes qui ont appliqué le PNRU se sont contentées de démolir puis de reconstruire, ce qui n’a pas favorisé le mélange des populations.
Les principaux objectifs
Le PNRU prévoit de rénover les quartiers sensibles. Ces rénovations portent sur les logements, équipements publics et aménagement urbains. Son exécution a été confiée à l’Agence nationale pour la rénovation urbaine créée pour l’occasion. Quelque 490 quartiers soit près de 4 millions d’habitants sont concernés jusqu’en 2015.
C’est le cas notamment dans l’agglomération de Clichy-sous-Bois-Montfermeil. Malgré les reconstructions et les rénovations, le brassage social n’a pas eu lieu dans ce quartier. Par contre, le cadre de vie des habitants s’est améliorée. Même constatation à Tours, au quartier du Sanitas. Du coup, ces améliorations du cadre de vie sont quand même une forme de succès.
A Rennes, la démarche a été très différenre. La métropole d’Ille-et- Vilaine fait figure d’exception. Elle a négocié avec l’Agence nationale de rénovation urbaine qu’aucune tour ne soit détruite. Elle s’est d’abord concentrée sur l’implantation de logements sociaux dans des quartiers où les revenus étaient plus élevés. C’est-à-dire loger des pauvres dans des zones plus riches. Elle cherche désormais à attirer des populations de classe moyenne dans la zone urbaine prioritaire de Blosne. Pour cela, elle compte sur des logements moins chers qu’ailleurs et sur la construction de nouveaux équipements, comme le conservatoire de musique.
À Lyon (Rhône), les élus ont tenté de faire la même chose, notamment en imposant entre 20 et 30 % de logements sociaux dans chaque nouvel immeuble construit. Ainsi répartis dans le parc privé, ces logements permettent la cohabitation de gens aux revenus différents.
Une politique contre-nature ?
Reste que le concept même de mixité sociale est très largement contesté par les sociologues. De nombreux experts se demandent si la cohabitation des classes moyennes et des pauvres peut réellement réussir à tirer vers le haut les plus modestes. Et cela va à l’encontre de la nature des comportements sociaux : généralement, les gens s’installent auprès d’un voisinage qui leur ressemble. C’est le cas à Orléans.
La diversité recherchée ne peut donc être que provisoire. « Les divisions sociales sont un trait permanent de la ville, précise le sociologue urbain Thomas Kirszbaum. Et les situations de mixité sont presque toujours transitoires. Tôt ou tard, la ségrégation finit par s’accroître. »
Pour régler les problèmes des quartiers défavorisés, les politiques se concentrent uniquement sur l’urbanisme. La mixité sociale serait donc « conçue [par ses défenseurs, NDLR] comme une méthode pour créer une ville diversifiée et équilibrée socialement », comme l’explique Jean-Pierre Lévy, géographe, directeur de recherche au CNRS. Celui-ci va même jusqu’à dire que « c’est un moyen de disperser les plus pauvres dans l’espace urbain pour mieux occulter les problèmes qui leur sont liés ». Renaud Epstein, auteur de La Rénovation urbaine et maître de conférences en sciences-politique à Nantes, enfonce le clou. La recherche de mixité sociale n’est qu’un « idéal transformé en objectif pour l’action publique », soutient-il. Pour eux, si on veut trouver des solutions vraiment efficaces aux problèmes d’insécurité et de chômage dans les quartiers sensibles, il faudr les chercher ailleurs.
Malgré tout, l’actuel gouvernement, tout comme ses prédécesseurs, persiste et signe : « L’objectif principal de la politique de la ville, c’est bien la mixité sociale », déclarait François Lamy – alors ministre délégué à la Politique de la Ville – devant l’Assemblée nationale en janvier 2013. Le nouveau PNRU (NPNRU), prévu jusqu’en 2024, réaffirme sa volonté de mélanger les populations dans les banlieues. Éric Charmes, directeur de Laboratoire de recherches interdisciplinaires ville-espace-société, analyse cette tendance : « Beaucoup [de politiques] reconnaissent la pertinence des critiques, tout en restant attachés à la mixité. »
Sans doute parce que laisser tomber le credo de la mixité sociale les obligerait se affronter les causes réelles de la pauvreté et du malaise des banlieue.
Penser à l’échelle de l’agglo, pas du quartier
La mixité sociale est au cœur des débats politiques depuis les années soixante-dix. On veut mélanger les populations pour éviter la ghettoïsation. Christine Lelévrier explique pourquoi cela ne fonctionne toujours pas.
Vous dites qu’aucune ville ne connaît une réelle situation de mixité sociale. D’où vient le problème ?
Les politiques s’attardent à contrecarrer des comportements sociaux. La mixité sociale ne se décrète pas : lorsque les gens ont le choix de leur voisinage, ils préfèrent se rapprocher de leurs Pairs. Et donc, même s’il y a de la mixité durant un temps donné, elle n’est pas vouée à perdurer. On constate aussi que lorsque les gens déménagent, ils vont dans des quartiers similaires.
Cela fait pourtant plus de quarante ans que l’on essaye d’instaurer de la mixité et, aujourd’hui, il n’y a toujours pas d’effet.
Après chaque aménagements, des changements sociaux sont attendus. Mais même si le cadre de vie est embelli dans un quartier, la situation de précarité demeure car le mélange des populations n’a jamais vraiment lieu. On a remarqué qu’en dix ans, 40 % des gens ont quitté ces quartiers car leurs revenus le leur permettaient. Ce phénomène a maintenu les banlieues en situation de paupérisation. Toutefois, on peut considérer que ces départs sont une forme de réussite individuelle et que l’échec des politiques de mixité n’empêche pas les évolutions positives.
Le PNRU, lancé en 2003, se serait donc trompé d’objectif.
Il souhaitait casser le ghetto en le transformant en un quartier mixte avec une population hétérogène. Aujourd’hui on constate que les politiques mises en œuvre n’ont fait que renforcer les situations préexistantes. En revanche, le PNRU a tout de même permis de dynamiser certains quartiers et d’établir des logiques de promotion interne, comme l’accession à la propriété.
Dans ces conditions, quelles seraient les solutions pour parvenir à casser le ghetto durablement ?
Certaines mesures pourraient être plus efficaces si davantage de moyens étaient mobilisés. Tout d’abord, il faut aider financièrement les communes qui ont à gérer des populations en difficulté pour qu’elles puissent établir de réelles mesures efficaces. Et puis il faut arrêter de penser à l’échelle d’un quartier. Les problématiques d’habitat, d’emploi ou d’aménagement ne peuvent être gérées seulement à ce niveau là. Il faut penser à l’échelle de l’agglomération pour que les quartiers y soit intégrés. La troisième solution est le développement social qui passe par l’amélioration du cadre de vie de ces populations.
Vous avez travaillé sur la mixité sociale en Europe. Avez-vous trouvé des politiques exemplaires ?
Ce concept est présent dans les pays du nord de l’Union européenne. L’exemple des Pays-Bas est intéressant car il y a un phénomène de promotion interne, clairement affiché comme une réussite pour les populations locales. Par ailleurs, dans les quartiers où l’on fait des rénovations, les foyers qui désirent être relogés ont accès à une liste de toutes les propositions de la ville. Le résultat est quasiment le même, car les gens vont vers leurs pairs. Mais ils ont au moins l’impression d’avoir été respectés car on leur a laissé le choix. Les conclusions sont néanmoins les mêmes qu’en France : il n’y a pas eu de réussite claire en matière de mixité.
Pour aller plus loin
- Les gens déménagent vers des quartiers similaires, exemple d’Orly, Christine Lelévrier, mai 2013
- Bilan de la politique du renouvellement urbain, émission de radio à France Culture, février 2012
- Mixité sociale en Europe du nord, France Culture, 2010
- Misères et gloire de la mixité sociale, regards croisés Europe et Amérique du Nord, détail d’un séminaire organisé en décembre 2013
Clichy-Montfermeil, un quartier toujours enclavé
Une fine pluie s’abat sur le quartier des Bosquets à Montfermeil (Seine-Saint-Denis). Seuls les éclats de voix des enfants de l’école Jean-Baptiste-Clément viennent rompre le silence. Des passants traversent les allées bitumées qui contrastent avec les espaces verts qui viennent d’être créés. Et ce n’est pas la seule nouveauté. Des barres d’immeubles grises ont été rasées. Elles ont laissé place à des bâtiments à taille humaine, plus colorés. Lancé en 2004, le programme de rénovation urbaine de l’agglomération Clichy-sous-bois-Montfermeil a mobilisé 620 millions d’euros. Un défi architectural : près de 1 700 logements ont été démolis et plus de 2 000 construits. Deux copropriétés ont été détruites pour implanter des logements sociaux. En effet, faute d’entretien et à cause de la précarité des habitants, ces résidences s’étaient dégradées au fil des années.
« Beaucoup ne recevaient plus leurs proches : ils avaient honte d’habiter ici », explique Monique Legrand, présidente de l’Association de solidarité avec les travailleurs immigrés (Asti 93). Le cadre de vie s’est donc amélioré, mais la mixité sociale est loin d’être la règle. Ce volet du projet est encore en chantier car le quartier du 93 traîne encore une réputation lamentable. «Quand je me suis installé ici en 2012, mes enfants ne voulaient pas venir », raconte Serge Le Bars, gardien d’immeuble.
La diversification de l’habitat ne sera pas véritablement engagée tant que le territoire restera enclavé et éloigné des zones d’activité. Clichy-Montfermeil n’est qu’à 15 kilomètres de Paris, mais à une heure et demi de trajet. Alors ici, on attend de pied ferme l’arrivée du tramway en 2017 et du métro à l’horizon 2023.
Pour aller plus loin
- « Pour Clichy et Montfermeil, le chemin de croix en 9 stations », Libération, le 21 février 2013.
- « Les copropriétés dégradées, « problème numéro un du logement » en banlieue », Le Monde, le 14 mai 2013.