La journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale est organisée le 21 mars. L’occasion de revenir sur toutes les discriminations dont souffre encore la société française.

Par Myriam GOULETTE, Julien LE BLEVEC, Nicolas LOISEL

R. est malvoyant. Kinésithérapeute, il a obtenu un rendez-vous pour un poste correspondant à sa qualification. Mais à son arrivée, le chef de service lui annonce que le poste a été pris le matin-même. R. prévient alors un de ses amis, kiné voyant, qui se présente le lendemain pour le même poste, et l’obtient. Des histoires comme celles-ci, ils s’en produit hélas tous les jours en France. Plus de six mille personnes ont d’ailleurs saisi la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) en 2007 pour des faits semblable, soit 20 % de plus qu’en 2006. C’est ce qu’on peut constater dans le rapport publié, chaque année depuis 2005, par cette autorité administrative indépendantes qui rappelle qu’« une discrimination est une inégalité de traitement fondée sur un critère prohibé par la loi, comme l’origine, le sexe, le handicap, etc., dans un domaine visé par la loi, comme l’emploi, le logement, l’éducation, etc. ».

C’est dans le domaine de l’emploi que l’on compte le plus de plaintes, la moitié de celles recensées. Force est de remarquer qu’il y a près de deux fois plus de discriminations dans le privé que dans le public (32 % contre 18 %). Le problème des saisonniers marocains dans les exploitations agricoles du Sud-Est ainsi emblématique de la situation en France. Le deuxième grand domaine concerne le fonctionnement des services publics et la réglementation (20 % des plaintes). Les discriminations dans le logement représentent 6 % et celles dans l’éducation (par exemple l’accès à l’école publique des enfants handicapés) 5 % des plaintes enregistrées.

Les discriminations sont aussi classées par critères. Sans surprise, c’est l’origine (ethnique, pays, etc.) qui arrive en tête avec 27 % des plaintes. Les problèmes liés à la santé et au handicap viennent juste après avec 22 %. Les pourcentages des autres critères sont beaucoup moins élevés : 6 % pour les activités syndicales et le sexe ; 2 % pour l’orientation sexuelle, les convictions religieuses et la situation de famille. L’apparence physique et les convictions politiques ne représentent que 1 % des plaintes.

D’autres organisations luttent contre les discriminations comme L’Observatoire des inégalités. Cette petite structure indépendante, basée à Tours, essaie de faire bouger les choses avec son site inégalites.fr, en fournissant des données statistiques à ceux qui veulent combattre certaines discriminations. « Les journalistes, les médecins ou les enseignants ont un véritable poids, ce sont des groupes de pression très puissants, analyse Louis Maurin, rédacteur en chef du site internet.  Il existe une inégalité entre ceux qui peuvent s’exprimer, ceux qui ont la parole » et ceux qui ne l’ont pas. L’Observatoire des inégalités veut donc donner à ces derniers des informations pour qu’ils puissent se défendre contre les discriminations, peu importe que celles-ci soient médiatisées ou pas. N. L.

Crédit photo : vivirlatino.com

Les homosexuels doivent encore se cacher pour vivre

« Amène-moi les deux lesbiennes, que je les régularise… » Ces propos avinés, entendus en boîte de nuit, sont clairement homophobes. Alors que l’homosexualité semble de moins en moins taboue, les discriminations perdurent. Selon une enquête réalisée en 2006 par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), 85 % des homosexuels ont au moins une fois été victime d’homophobie implicite sur leur lieu de travail.

« Amène-moi les deux lesbiennes, que je les régularise… » Ces propos avinés, entendus en boîte de nuit, sont clairement homophobes. Alors que l’homosexualité semble de moins en moins taboue, les discriminations perdurent. Selon une enquête réalisée en 2006 par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), 85 % des homosexuels ont au moins une fois été victime d’homophobie implicite sur leur lieu de travail.

« Entièrement à part ? » Dans l’éditorial du magazine réalisé par Quazar, le centre lesbien, gay, bi et trans (LGBT) d’Angers, le rédacteur en chef, Jacques Guiton, s’interroge : les homosexuels sont-ils vraiment différents ? A cette question, certains de nos concitoyens répondent par l’affirmative et n’hésitent pas à exiger des restrictions de droits. Or, le code pénal à ce propos est clair. Son article 225-1, stipule qu’« une distinction opérée entre des personnes physiques [ou morales] à raison […] de leur orientation sexuelle » est une discrimination passible de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Malgré les risques encourus, ce types de comportements envers les homosexuels perdurent. Dans son rapport annuel, la Halde pointe le fait que le principal domaine de discrimination est celui du travail, où règnent harcèlement moral et refus de promotion. Frédéric, trésorier de l’association Lesbian and gay pride (LGP) région Centre, basée à Tours, en sait quelque chose. « L’amalgame entre homosexualité et pédophilie, du moins pour les hommes, est souvent de rigueur. Je travaille dans l’Éducation nationale. Quand j’ai parlé de mon homosexualité avec des collègues, j’ai vite compris qu’il valait mieux que je me taise. » Autre exemple, celui d’un jardinier municipal à Tours. Quand ses collègues ont appris son homosexualité, les remarques ont commencé à pleuvoir, du genre « ce boulot n’est pas fait pour les PD, tu es bon à rien », assez typique d’un début de harcèlement moral.

L’accès au logement n’est pas plus simple. Quand un couple du même sexe veut s’installer ensemble, c’est le parcours du combattant. En Touraine, c’est ce qu’on vécu S. et M. Après de nombreux refus, elles ont enfin réussi à trouver un appartement. Mais les problèmes n’ont que commencer ! Des voisins les ont rejetées et en sont même venu aux mains avec les nouvelles locataires.

Les violences peuvent être de deux sortes : verbales et physiques. Les insultes sont les plus nombreuses, tellement faciles et gratuites. Parfois, elles virent même à la menace. « Lors de la Gay Pride à Tours, il y a deux ans, un passant nous a dit qu’il allait nous faire regretter ce que nous étions, rapporte le trésorier du LGP région Centre. Heureusement, c’était juste verbal. » D’autres n’ont pas cette chance et les agressions physiques sont monnaie courante, notamment à la sortie des boîtes de nuit et des lieux de rencontre. Rien qu’à Tours, douze attaques ont été recensées en 2008.

Pour sensibiliser la population à ce problème, une multitude d’actions est menée. Marches des fiertés (Gay Pride), marches contre l’homophobie, stands d’informations lors des festivals, etc. Néanmoins, il y reste du chemin à parcourir. « La France accuse un sérieux retard sur le sujet, déplore Frédéric. L’Espagne, les Pays-Bas ou la Belgique sont eux très en avance. » Et quand un homme politique comme Roger Karoutchi, secrétaire d’Etat chargé des Relations avec le Parlement, révèle son homosexualité, n’est-ce pas une avancée ? « Non. C’est un coup de communication. S’il prenait à bras-le-corps la question de l’homophobie et qu’il nous donnait un coup de mains, là, ce serait une véritable avancée. »

« Harvey Milk » toujours en salle

Le film de Gus Van Sant qui retrace la vie du premier homme politique américain ouvertement gay a remporté deux Oscars, dont celui du meilleur acteur pour Sean Penn. Salué par la critique, près de quatre cent mille spectateurs sont allés voir Harvey Milk en France. Il vous reste encore quelques semaines avant que le long métrage ne disparaisse des écrans.

Les saisonniers agricoles étrangers victimes de discriminations

Venir du Maroc pendant dix, vingt ans récolter des pommes sur la même exploitation, huit mois par an : est-ce encore être saisonnier ? Non, répond la Halde, qui pointe les discriminations dont sont victimes ces travailleurs sous contrat « OMI » (Office des migrations internationales).

Vingt-trois ans. Vingt-trois contrats OMI signés entre B. , Marocain, et un arboriculteur des Bouches-du-Rhône. Après toutes ces années, B. apprend, en lisant le journal, que la ferme de son employeur va être vendue. Il n’a pas été prévenu. Il devra chercher un autre patron. Il n’aura droit à rien : ni prime de précarité, ni Assedic.

Six mois de travail par an, maximum, c’est la règle des contrats OMI. Mais l’agriculture des Bouches-du-Rhône, premier département français pour la production de tomates, salades, courgettes, pêches et poires, a besoin de main d’œuvre.

Les agriculteurs ont demandé des dérogations pour des contrats OMI de huit mois. Prévus pour n’être que l’exception, ces longues durées se sont généralisées.

Au fil des années, les saisonniers étrangers, marocains à 95 %, sont devenus, de fait, permanents. Ils sont revenus, toujours sur les mêmes exploitations. Ils ont vu, parfois, leurs droits les plus élémentaires bafoués, comme le juste paiement des heures supplémentaires, des congés payés. Et, surtout, ils n’ont jamais obtenu les droits qu’ils méritaient au titre de permanent : prime d’ancienneté, droit à la protection sociale, aux Assedic, au regroupement familial, au séjour en France.

Saisie en mars 2007 sur cette question, la Halde enquête. Pour conclure, le 15 décembre 2008, par cette délibération  : « Le détournement abusif d’utilisation des contrats OMI, visant par voie de conséquence les seuls travailleurs étrangers emporte des conséquences discriminatoires en matière d’emploi et de conditions de travail, de protection sociale et de droit au respect de la vie privée et familiale. » Tout un système est pointé du doigt, dont les acteurs vont des exploitants agricoles à leur syndicat le plus puissant, la FDSEA*, en passant par les administrations et la préfecture des Bouches-du-Rhône.

Un poids politique

Hervé Gouyer, juriste au Collectif de défense des travailleurs étrangers saisonniers dans l’agriculture (Codetras), est satisfait : voilà enfin la reconnaissance officielle du travail du collectif. La délibération n’a aucune valeur juridique, mais un poids politique indéniable qui fera, on l’espère, évoluer la situation.

La Halde arrive pourtant « en bout de course », estime Hervé Gouyer. Cela fait déjà huit ans que le Codetras travaille à faire reconnaître les droits des saisonniers OMI, à dénoncer la situation de dépendance dans laquelle ils sont maintenus. « Le plus souvent, même s’ils savent qu’ils sont exploités, ils ne contestent pas. Parce qu’ils veulent revenir l’année suivante. Du coup, ils sont pieds et poings liés, raconte le juriste. Beaucoup sont poussés à la révolte le jour où l’exploitation qui les a toujours employés ferme. D’autres, le jour où ils ont un accident du travail. Là, ils réclament leurs droits. »

Une des plus grandes victoires du Codetras ? Celle du 26 mars 2008, lorsque le tribunal administratif de Marseille a obligé la préfecture à délivrer vingt-trois autorisations provisoires de séjour. Car, depuis, d’autres ont suivi le mouvement et obtenu de fait la reconnaissance de leur statut de travailleur permanent.

La Halde s’est positionnée de la même manière : elle recommande aux ministères de l’Immigration et du Travail de procéder au réexamen de la situation des travailleurs étrangers « en vue de la délivrance d’un titre de séjour ».

Alerter les exploitants

La Halde recommande encore, à la FDSEA cette fois, d’alerter les exploitants sur des pratiques pouvant être discriminatoires. « Cela fait plusieurs années que nous menons une réflexion avec la préfecture au sujet des contrats OMI. Et nous continuerons de le faire », assure Claude Rossignol, président de la FDSEA des Bouches-du-Rhône. « Personne n’a jamais dit aux exploitants de traiter les salariés avec discrimination », s’étonne-t-il. Et si la Halde recommande à la FDSEA de prendre des mesures en vue de l’indemnisation des travailleurs au regard du préjudice subi, il ne voit pas « de quoi il s’agit ». Des cas litigieux, où les droits des saisonniers seraient bafoués ? « Il peut toujours y avoir une brebis galeuse », répond-il. Pour lui, les conventions collectives, dans la grande majorité des cas, ont été respectées.

En fait, c’est le concept même de saison qui pose problème, pour Hervé Gouyer. « Le travail saisonnier doit correspondre à une tâche unique : la récolte des pêches par exemple. On ne peut plus parler de saison pour des travaux variés qui durent huit mois par an. » M. G.

(*) Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles

REPERES.
Depuis presque cinquante ans, chaque année, 4 000 travailleurs étrangers sous contrat OMI viennent tailler, récolter, conditionner les fruits et légumes des Bouches-du-Rhône. L’article 8 de la convention de main d’œuvre entre la France et le Maroc du 1er juin 1963, toujours en vigueur, précisait : « Les travailleurs marocains jouissent sur le territoire français du même traitement que les travailleurs français. »