Alors que certains agriculteurs subissent de plein fouet la crise, d’autres utilisent quotidiennement numérique et robotique pour gérer leur exploitation. Une véritable plus-value, mais dont le coût est parfois prohibitif.

Par Simon ABRAHAM et Lucie MARTIN

Sur son ordinateur, Pierre Flamand collecte les données des centaines d’hectares de son exploitation agricole. Photo : Lucie Martin/EPJT

Genillé, bourgade au fin fond de l’Indre-et-Loire, entourée de champs de céréales. C’est dans ce lieu paisible que vit Pierre Flamand. Associé à ses parents, il est à la tête d’une grande exploitation qui compte deux salariés. Des champs de blé, ou de colza, aux plantations de millet, tout lui appartient dans le secteur.

Vêtu de bottes en caoutchouc, d’un vieux jean à l’odeur terreuse et d’un blouson, il rentre d’une longue matinée de travail dans les champs. Il reçoit les visiteurs dans son bureau. Smartphone dernier cri à la main, il consulte l’état d’une de ses parcelles grâce à une application nommée Gram ID. « Les données des centaines d’hectares de mon exploitation sont classées dans ce téléphone. Innovant, non ? », s’amuse-t-il.

Des technologies liées au GPS

Pierre Flamand, 40 ans, utilise quotidiennement les nouvelles technologies dans le cadre de son métier. Comme beaucoup d’homme de sa génération, mais dans un secteur peu habituel : l’agriculture. Avant de s’installer à Genillé, en 2007, il a suivi des études d’ingénieur en agriculture. Il est connu dans la région pour utiliser depuis plusieurs années l’agriculture de précision. « C’est une technologie liée au GPS », précise-t-il.

Grâce à une caméra infrarouge qu’il installe sur le toit de son tracteur, Pierre parcourt ses champs et récolte des données. « La caméra parvient à mesurer les variations du sol. Elle nous indique où il y a plus de cailloux qu’ailleurs, où il y a plus d’argile. » Ces données sont ensuite transformées en cartes sur lesquelles il peut lire, en fonction de la composition du sol, quelle quantité d’azote il doit apporter à ses plantations pour les nourrir. Car elles n’ont pas besoin de la même dose partout. « Avant, nous mettions la même quantité dans chaque parcelle. Aujourd’hui, grâce à l’agriculture de précision, nous savons si un hectare a besoin de plus, ou moins, d’azote que d’autres. »

Cet outil connecté permet donc d’ajuster la consommation d’engrais. C’est un investissement lourd, surtout en période de crise, alors que la situation financière des agriculteurs est très précaire. Mais c’est une réelle plus-value. « Avec ces données, nous dépensons moins d’azote et nous accroissons nos rendements, ajoute Pierre Flamand. Il y a un vrai intérêt économique à utiliser ces technologies. Certaines caractéristiques de nos exploitations, nous les percevons à l’œil nu. Mais pour d’autres, seuls ces outils peuvent nous les montrer. »

Des vaches traites selon leurs besoins

Changement de technologie, changement de décor. Nous quittons les céréales pour l’élevage. Fini les longues heures quotidiennes consacrées à la traite ! Aujourd’hui, dans certaines exploitations, ce sont les robots qui accompagnent le travail de l’éleveur. Selon l’Institut de l’élevage, sur un total d’environ 67 000 exploitations laitières et bovines en France, 3 027 étaient équipées en robots de traite fin 2014 (soit 5 %).

Au Moulin d’Ardillière, dans la commune de Couesmes, deux robots s’occupent de la traite. Leur propriétaire, Vincent Léquippé reprendra l’exploitation familiale en septembre prochain. Mais il n’a pas attendu cette échéance pour moderniser. Il a acquis deux robots en 2013. Depuis, ses vaches « vivent à leur rythme et viennent se faire traire quand elles en ressentent le besoin ».

Casquette vissée sur le crâne et lunettes teintées sur le nez, Vincent Léquippé s’avance vers les deux stations de traite. Comme à la cantine, il y a des heures de pointe. « Le matin jusqu’à 12 heures, c’est la cohue », explique Vincent avec amusement. Ce n’est à 15 heures que Jamaïque, une des vaches, éprouve le besoin de se faire traire. Elle est venue une première fois vers 8 heures ce matin. Lorsqu’elle passe le portillon, la machine et ses capteurs débutent leur travail.

En cinq minutes environ, le robot pompe les 10 litres de lait de Jamaïque. « Quand la vache entre pour la première fois dans la station de traite, nous donnons aux bras la position des quatre trayons grâce à une télécommande, car chaque vache est différente », explique Vincent Léquippé. Après, tout se fait automatiquement.

Le robot permet à l’éleveur de suivre, grâce à un écran tactile, ce qui se passe. Il estime la production finale en fin de traite trayon par trayon (il y en a quatre chez la vache). Soit 8,5 kilos au total pour Jamaïque. Cette fonction permet à l’agriculteur de contrôler le rendement de ses bêtes. Si la production descend en dessous des 70 % de ce qu’elles donnent habituellement, une alarme apparaît sur le portable de Vincent. Il peut aussi s’assurer que ses vaches passent bien deux fois par jour dans la station de traite.

Ces deux robots ont changé les conditions de travail de Vincent. « Avant, nous allions traire les vaches matin et soir. Nous étions habitués à les voir au moins une fois par jour », raconte-t-il. Désormais, il les connaît moins, mais il parvient à détecter plus vite leurs problèmes grâce aux données transmises par le robot. Et son travail s’étale mieux sur la journée.

Les vaches ont mis deux mois à s’adapter. Vincent, lui, a mis six mois avant de maîtriser tous les réglages et les spécificités de l’appareil. On ne fait pas confiance à une machine du jour au lendemain. « Elle commet forcément des erreurs, elle doit s’adapter », souligne-t-il.

Les robots ont amélioré ses conditions de travail et ont fait disparaître les contraintes horaires pour ses animaux comme pour lui. « Si je veux prendre une après-midi, je la prends », confie-t-il. Que des avantages ? Pas tout à fait. Il faut compter avec le coût de la maintenance des robots, l’importante consommation d’énergie et d’eau. Et ne pas croire qu’ils remplacent le travail de l’agriculteur : ils l’assistent et lui simplifient certaines tâches.

Pour Vincent Léquippé comme pour Pierre Flamand, la technologie n’est pas une fin en soi. Il s’agit seulement d’« un moyen d’aide à la décision » qui améliore la qualité de leur travail. Il faudra néanmoins attendre quelques années pour voir ces technologies se généraliser. Leur coût reste élevé. Nombreux sont les agriculteurs, dont l’exploitation est en crise, qui ne peuvent pas investir. Seule une minorité a su et pu, jusqu’à présent, saisir le virage du numérique.

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