Des monuments historiques aux palais des familles royales, les tissus des Soieries Jean Roze ornent les meubles de quelques unes des plus belles demeures du monde depuis le XVIIe siècle. Sa dirigeante, Antoinette Roze, douzième du nom, a voué sa vie à l’excellence.
Par Irina LAFITTE
Une tête bien faite et un caractère bien trempé la propulsent à la tête de l’entreprise familiale à seulement 26 ans. « Mes parents ne m’ont pas forcée. J’ai juste demandé à pouvoir finir mes études avant de venir aider mon père, qui commençait à fatiguer. » Pendant trois ans, elle travaille à ses côtés et tâche d’apprendre tout ce qu’il sait. « Quand il est mort, j’ai dit aux employés : si on peut faire notre travail sans lui, c’est qu’il a réussi à nous transmettre tout ce qu’il savait. »
« Nous, on pense en générations. Je ne me sens pas propriétaire, juste dépositaire »
Comme son père, elle n’hésite pas à mettre la main à la pâte : « Je suis devenue assez redoutable au niveau technique », glisse-t-elle sans fausse modestie. Mais ses qualités artistiques ne sont pas en reste et elle sait faire preuve de goût. « L’entreprise fabrique plutôt qu’elle ne créé, mais on présente parfois des collections comme vitrines du savoir-faire. »
« Mélange de tradition et d’audace »
Même si la France reste l’un de ses plus gros marchés, les clients britanniques, au premier rang desquels la famille royale, apprécient et font confiance à la griffe Jean Roze depuis parfois plusieurs générations. La Russie et les pays du Golfe figurent aussi parmi ses clients réguliers. Il reste cependant essentiel de s’ouvrir de nouveaux marchés.
Quand elle ne travaille pas, Antoinette Roze aime se déconnecter entièrement. Pas le genre à parler travail le week-end. « Maintenant que j’ai passé un certain âge, ça devient pesant. Je n’ai plus la même résistance physique, comme une sorte de saturation. » Ainsi, tous les lundi soirs, elle se rend aux répétitions de l’ensemble vocal Erik-Satie. Depuis près de quarante ans, cette passionnée à la voix de soprano s’exerce sur un répertoire allant de la Renaissance à la musique savante du XXe siècle.
Ces voyages incessants dans le temps n’effraient pas la Tourangelle. A 58 ans, elle contemple le temps qui passe avec détachement. « Notre rapport au temps n’est pas celui des simples mortels. Nous, on pense en générations. Je ne me sens pas propriétaire, juste dépositaire. » Avec un tel credo, on comprend comment Antoinette Roze a su garder les pieds sur terre et assurer la survie de son entreprise.
Photo Soieries Jean Roze
Disparaître sans avoir pu transmettre son savoir est la hantise de cette passionnée. Alors elle se démène pour faire reconnaître le patrimoine qu’incarne son entreprise. Elle préside l’association Tours, cité de la soie, grâce à laquelle elle constitue patiemment, au fil des ventes aux enchères, une collection d’étoffes rares issues de soieries, de préférence tourangelles. Son but : constituer une collection en vue de voir un jour un musée vivant de la soie ouvrir ses portes à Tours.
Une succession incertaine
Sa volonté de transmission pourrait bien se heurter à une autre difficulté, celle de sa propre succession. Célibataire et sans enfants, Antoinette Roze n’a pas d’héritier assuré. La sujet se révèle épineux. D’ailleurs, elle le balaie d’un revers de main : « C’est une question qu’on posait souvent à mon père et qu’on me pose souvent. Ça m’énerve. C’est mon problème, pas celui des autres. » Le chiffre treize sera-t-il fatal aux Roze ? Ce qui est sûr, c’est qu’aucun candidat de la famille ne s’est déclaré, ce qui ouvre la voie à un successeur extérieur. Mais comment le trouver quand l’entreprise ne dégage presque plus de bénéfice depuis des années ?
Jean-François Roze ne cache pas son pessimisme : « Je souhaite que la maison soit rachetée, c’est ce qu’il peut lui arriver de mieux. On ne peut pas engager la vie d’une famille sur cette entreprise. » Consciente de l’enjeu, sa sœur cadette prévient : « Aujourd’hui, on ne peut pas se permettre de se tromper. » Elle se donne sept ans pour faire son choix et former son successeur. Peut-être une femme aussi. Là encore, elle se remémore son père qui « croyait beaucoup dans la qualité du travail des femmes ». Une chose est sûre, les compétences primeront.
Mais après plus de trente ans à la tête des Soieries, difficile pour Antoinette Roze d’imaginer sa vie sans. « J’aimerais avoir plus de temps pour moi, pour voyager et apprendre des langues, soupire-t-elle, avant de se reprendre : Mais je m’occuperai d’abord des archives de l’entreprise, la transmission doit être faite. » Une chose est sûre, une page de l’histoire tourangelle se tournera à la succession d’Antoinette Roze.
Irina Laffite
@IraLafitte
28 ans.
Fétichiste du papier. J’aime l’économie, le métal et l’équitation.
Passée par Sud Ouest et Grand Prix. Cette ancienne étudiante en Année spéciale effectue son année de licence au Canada.