Divina Frau-Meigs est sociologue des médias experte auprès de l’Unesco. Directrice du Centre de liaison de l’éducation aux médias et à l’information (Clemi) de 2013 à 2015, elle défend l’intérêt public de l’éducation aux médias.
Recueilli par Margaux Delay
Que recouvre exactement l’éducation aux médias ?
Divina Frau-Meigs. L’éducation aux médias est avant tout un projet politique. Il est aussi un droit socio-économique et une pédagogie avec un ensemble de compétences spécifiques, dont l’esprit critique. C’est cette triple dimension qui fait qu’on ne peut pas confondre l’éducation aux médias et à l’information avec, par exemple, de l’éducation à l’environnement ou à la santé. C’est un projet qui envisage l’information sous toutes ses nouvelles formes. C’est-à-dire, l’information d’opinion et d’actualité, mais aussi celle sous forme de données, de datas et de documents multimédias. C’est donc un enjeu
politique auquel tout le monde doit être formé car ces informations créent l’opinion publique en démocratie. C’est d’ailleurs la perspective du journalisme dès ses débuts : créer une opinion contradictoire avec des discours pluralistes.
Et Internet ?
D. F.-M. Cette nécessité est encore plus vraie avec le numérique qui, aujourd’hui, nous rend participatifs et fait de chacun de nous des médias. C’est un droit socio-économique dans le sens où l’EMI est aussi une forme d’employabilité. En 2050, tous les métiers pourront se faire à partir d’Internet. À l’école, les compétences de base ne sont plus seulement lire, écrire et compter. Il faudra désormais savoir naviguer et se publier. Cette transition effraie, mais L’EMI permet justement de comprendre l’enjeu de la connexion en ligne et de ses retombées hors-ligne, de ne pas s’en affoler. L’éducation aux médias donne les outils du choix.
En quel sens serions-nous tous devenus des médias ?
D. F.-M. Le numérique, dans sa forme actuelle, permet à toute personne d’émettre une opinion et de la publier avec une ligne éditoriale. C’est le cas de Youtube où il existe des chaînes spécifiques, des blogs qui sont suivis parce qu’ils abordent une thématique bien précise. Dans la période pré-numérique, c’est une chose pour laquelle il y avait des freins à l’entrée. Pour lancer une chaîne de télévision, par exemple, il fallait de l’argent et les diplômes nécessaires. Or tout cela s’est levé avec le numérique. Prenons l’exemple d’une recette de cuisine : vous cherchez une recette sur Internet, vous visionnez le tutoriel, vous réalisez, vous goûtez et vous décidez d’y ajouter des commentaires. Enfin, vous la partagez avec vos amis ou des professionnels. Vous êtes devenu un média. Ce qui s’opère, c’est une exploitation de la valeur médiatique jusqu’aux deux extrémités. C’est-à-dire qu’une institution surplombante peut continuer à envoyer des informations, et des individus complètement horizontaux peuvent aussi émettre et faire remonter des informations. C’est la fin d’un monopole unidirectionnel dans lequel nous étions avant le numérique.
D. F.-M. Pour des questions de crédibilité et d’authenticité, nous avons toujours fait appel aux médias. Cependant, il est nécessaire que l’EMI fonctionne sur le mode d’une participation multi-acteurs, avec une coordination très précise des instances publiques que sont les ministères de l’Education nationale et de la Culture. Récemment, les « Décodeurs » du Monde se sont emparés de l’éducation aux médias en proposant un kit à destination des élèves et des enseignants pour vérifier l’information. Bien que ce genre d’initiatives rapides soit honorables, il faut veiller à ce qu’elles restent sur un intérêt public. Il y a une vraie réflexion à mener pour que ces projets se développent en toute transparence.
Est-ce justement là la force du journalisme en résidence, qui fait appel à des journalistes d’horizons différents ?
D. F.-M. Lorsqu’on faisait appel à des journalistes pour éduquer aux médias via le Clemi [Centre de liaison de l’éducation aux médias et à l’information, NDLR], nous avons toujours eu des difficultés à faire venir des journalistes qui n’étaient pas issus du service public. De ce fait, on retrouvait régulièrement les mêmes journalistes et leurs messages étaient toujours très éthiques et policés. La possibilité que les journalistes indépendants puissent eux-mêmes apporter leur vision est une excellente initiative, pourvu que ce soit une coordination précise avec les ministères. Cela doit également passer par l’échange de bonnes pratiques avec d’autres pays. En matière d’éducation aux médias, la France se situe dans le top cinq européen, juste après la Finlande, la Suède et l’Angleterre. Nous pouvons donc avoir bon espoir.
L’organe institutionnel de l’éducation aux médias est le Centre de liaison de l’enseignement des médias d’Information (Clemi), dépendant des ministères de l’Éducation nationale et de la Culture. Avec des établissements scolaires, il coordonne des formations au numérique, la création de médias scolaires et la semaine de la presse.