Banalisée, taboue, « invisible »… la prostitution est souvent ignorée. Depuis près de quarante ans, au sein du Mouvement du nid, Albert Gaudré lutte, à Tours, contre cette violence faite aux femmes.

Par Béatrice Catanese

Le jour, le boulevard Heurteloup, à Tours, voit défiler tranquillement un flot de véhicules en direction de l’autoroute ou du centre-ville. Les piétons se pressent jusqu’à la gare pour attraper leur train.

Le soir, le décor change. Sur cette avenue très fréquentée, les « travailleuses de la nuit » prennent place. Une trentaine d’entre elles, âgées de 18 à 45 ans, sont en contact avec le Mouvement du nid à Tours. Françaises, originaires d’un pays d’Afrique ou d’Europe de l’Est, elles cherchent un moyen de quitter la rue.

C’est en 1971 qu’Albert Gaudré et son épouse prennent conscience de la nécessité d’agir contre la prostitution dans la région, après une rencontre avec une militante de Vie Libre. Ils décident alors de fonder la délégation de Tours du Mouvement du nid, une des trente-quatre antennes en France. Si l’association locale ne compte aujourd’hui que huit militants et deux salariées, la volonté est bien là.

Créer des liens

Le Nid a pour engagement premier d’aller à la rencontre des personnes prostituées et de les accompagner, si elles le souhaitent, vers la réinsertion. « Nous faisons tout pour instaurer une relation de confiance dans la durée, explique Albert Gaudré. Il faut du temps pour qu’elles acceptent de livrer leur vie personnelle. »

Emploi, logement, santé : le Nid joue le rôle d’intermédiaire avec les acteurs sociaux. Mais « le plus difficile est certainement de retrouver une vie affective normale ensuite. Il est très compliqué de passer d’une relation marchande à une relation amoureuse, d’autant plus que ces personnes sont souvent blessées physiquement, et donc dans la peur ».

L’autre priorité du Nid : la prévention. Le Mouvement ne croit pas dans la dépénalisation de la prostitution, adoptée aux Pays-Bas ou en Australie. Il n’est pas favorable non plus à la sanction des « clients ». Son objectif : l’abolition pure et simple de la prostitution en sensibilisant l’opinion publique.

Selon Albert Gaudré, « la pornographie et des événements comme le salon de l’érotisme à Tours tendent à banaliser le sexe marchand. D’une certaine façon, ils alimentent le circuit de la prostitution.» De 2002 à 2004, une enquête, la première en France, a été menée par le Nid auprès des clients.

Pour tenter de comprendre leur démarche et mettre en place une prévention adaptée. Expositions, journées d’étude, pièces de théâtre, mais aussi publication

d’une bande dessinée, Dérapages, qui fera l’objet de débats dans des établissements scolaires. « Si la demande disparaît, le combat est gagné. »

Changer de regard

« …la prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine… » Cette phrase fait partie du préambule de la convention des Nations Unies du 2 décembre 1949, ratifiée par 74 pays. Dans le cadre de la Journée de la femme 2009, le Mouvement du nid a choisi de mettre l’accent sur ce soixantième anniversaire. Objectif : combattre encore et toujours la violence prostitutionnelle et « changer de regard ». « À Tours, explique Albert Gaudré, si les fonds sont suffisants, un colloque sera organisé en octobre pour remettre les acteurs de la justice, de la police et de la politique devant ce texte-là ».

Devant le jardin du Luxembourg. Le collectif droits et prostitution manifeste afin de dénoncer les effets délétères de la loi pour la sécurité intérieure (dite LSI) instaurée en 2002. Photo

La loi pour la sécurité intérieure (LSI) adoptée en 2003 a transformé l’infraction de « racolage passif » en délit passible de prison et de 3 750 euros d’amende. « Les prostituées sont aujourd’hui condamnées, au lieu d’être considérées comme des victimes, regrette Albert Gaudré. Cette loi a accéléré l’extension de la prostitution, notamment parce que les personnes se cachent davantage. Il est plus difficile de venir à leur rencontre pour les aider. » Malgré les obstacles, la lutte continue. Parfois, certaines s’en sortent, comme cette femme qui, après quarante ans de prostitution, a ouvert un commerce qui marche bien depuis trois ans. « Ce sont des exemples de ce genre qui nous font tenir. »  B. C.

Mouvement du nid, 11, rue des Ursulines, 37000 Tours. Tél. : 02 47 05 63 88  [email protected]

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