Photos Mathilde Warda/EPJT
La famille Yepremian, d’origine arménienne, est arrivée à Poitiers en 2013. Quand elle a été menacée d’expulsion, des parents d’élèves et des associations se sont mobilisés pour lui venir en aide.
Depuis quatre ans, Arpine, la mère, Arthur, le père, et leurs deux fils vivent au premier étage de l’auberge de jeunesse de Poitiers. À l’intérieur, quelques enfants jouent dans les couloirs sous la surveillance de leurs parents, eux-mêmes occupés par une partie de billard. Dans la chambre, des jouets d’enfants et des valises encore pleines s’entassent sur les deux lits superposés.
La porte du frigo, sur lequel reposent divers signes religieux, est couverte de photos de Jivan et Karen. Pour les besoins sanitaires, la famille ne dispose que d’un lavabo : la cuisine et la salle d’eau font partie des espaces communs de l’auberge. Les toilettes, plus loin, sur le palier.
Les enfants jouent les traducteurs
Une économie contrôlée, des menaces de guerre contre l’Azerbaïdjan et des atteintes répétées aux droits de l’homme poussent de nombreux Arméniens à quitter leur pays. En France, ils ont été 1 751 à déposer une demande d’asile en 2017 contre 1 110 en 2016. D’une manière plus générale, cette augmentation concerne l’ensemble des pays. Les demandes ont dépassé la barre symbolique des 100 000 l’an dernier.
Comme les Yepremian, eux, ont quitté leur pays en 2013. Les parents expliquent leur situation dans un français encore approximatif. Très vite, les enfants prennent un malin plaisir à jouer les traducteurs, parfois en écorchant leur langue natale : « Ils parlent mieux français qu’arménien maintenant car ils vont à l’école. C’est nécessaire pour leur intégration », explique Arpine.
La famille Yepremian au complet. Jivan (en bas à gauche ) et Karen (en bas à droite) tiennent fièrement les récépissés de leurs parents, reçus en mars dernier.
Malgré le logement modeste, Arpine a toujours été heureuse et confiante. Même si la Croix-Rouge les a mis à la porte en août dernier, en plein cœur de l’été. « Ils auraient pu se retrouver à la rue, c’était les vacances. De nombreux parents n’ont pas été prévenus de cette expulsion », dénonce Florence Paillant, une des parents d’élèves à la tête de la mobilisation pour défendre la famille.
Heureusement, les Yepremian a pu trouver refuge chez différents volontaires. Puis, soutenue par les parents d’élèves et les collectifs D’ailleurs nous sommes d’ici (DNSI) et Réseau éducation sans frontière (RESF), elle a pu réintégrer l’auberge de jeunesse.
« Cette mobilisation existait bien avant l’été dernier » précise Mathilde Vallespir, l’autre leaders de la mobilisation. Quand les Yepremian sont arrivés,« ils ont reçu des vêtements. Nous avons utilisé une plate-forme pour organiser les dons de repas », raconte-t-elle. La volonté d’aider était unanime. Par la suite, des divergences politiques ont vu le jour. Certaines personnes d’une droite conservatrice s’opposaient à l’accueil de migrants. Mais les militants se sont appuyées sur les valeurs humaines de chacun et la force du mouvement n’a pas été entravée.
“L’attitude cybique de la préfecture”
Boostée par l’indignation provoquée par cette expulsion, la mobilisation s’est accélérée à la rentrée. Une quinzaine de personnes, dont Mathilde et Florence, ont mené différentes actions : des rendez-vous à la mairie, des demandes à la préfecture et des signatures de pétitions. La mairie de Poitiers, ne pouvant pas accélérer les demandes de titres de séjours, a promis que leur dossier pour trouver un logement plus adapté serait traité en urgence une fois la situation débloquée.
Mais au-delà de la lourdeur administrative, Mathilde et Florence se disent « écœurées par l’attitude cynique de la préfecture ». Cette dernière a mis fin à tout contact avec les bénévoles au mois de novembre. Lettres, mails et demandes de rendez-vous sont restés sans réponse. Et le seul semblant d’ouverture s’est révélé assez pernicieux : en janvier, pour faire progresser le dossier, la préfecture a exigé que les Yepremian trouvent une promesse d’embauche « sous deux semaines ». Sans titre de séjour, impossible a priori. Mais le défi a été relevé avec l’aide des associations.« L’appui des différents collectifs nous a donné de la force et du courage », souligne Florence.
Les échanges avec la préfecture ont été tendus. Notamment avec la préfète à qui les collctifs ont adressé une lettre ouverte publiée sur un blog Mediapart en mars. « C’était une décision impulsive. Nous rongions notre frein depuis trop longtemps. Mais nous avons eu peur de braquer la préfète. » S’est ensuivi une série de réponses par voie de presse.
L’action des militants a fini par porter ses fruits : les Yepremian ont obtenu fin mars un récépissé de trois mois et une autorisation de travailler. Les militantes parlent d’« une belle victoire, un travail collectif abouti » au sein du mouvement.
Cette mobilisation a demandé quelques sacrifices aux deux militantes. Mais il était impensable pour elles de rester inactive : « Je n’ai pas envie de dire à mes enfants que je n’ai pas agi », explique Florence. À travers cette action « un monde rempli de cruauté s’est révélé à nous. Cela nous a révolté », déclarent-elles. Elles ajoutent enfin : « Ce sont nos amis maintenant. »
Reste à payer les deux titres de séjours, 549 euros chacun avant la fin juin, une somme exorbitante pour la famille Yepremian et qui n’a pu être rassemblée sans l’aide des militants. –