Les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses à souffrir d’isolement et de précarité, deux phénomènes étroitement liés. Pour elles, des associations et des travailleurs sociaux se mobilisent. Leur objectif est de proposer un accompagnement qui crée du lien social. Parmi ces associations, les Petits Frères des pauvres et ses 80 bénévoles.
Par Flora BATTESTI et Thibaut ALRIVIE
À l’intérieur, les murs jaunes du local sont couverts de poèmes écrits par les personnes âgées et de photos souvenirs. Celle des bons moments partagés ici. La mission des Petits Frères des pauvres est de briser la solitude des personnes âgées isolées. Une solitude engendrée, le plus souvent, par un manque de moyens matériel et/ou financier. Si on en croit un rapport de la Fondation de France de 2014, la solitude est en hausse en France toutes générations confondues. Mais les 75 ans et plus sont les plus touchés : ils seraient un sur quatre à vivre seuls, soit près d’un tiers des personnes souffrant d’isolement.
Retisser des liens
« Très souvent, la mort du conjoint, la perte d’autonomie ou l’éloignement de la famille entraînent les personnes âgées dans la solitude, note Amélie Picard, assistante sociale. Et bien souvent, les problèmes financiers s’accumulent car seules, elles disposent de moins de ressources. » La pauvreté des seniors s’accroît avec l’âge. En Indre-et-Loire, 10,4 % des personnes âgées de 75 ans et plus vivent en dessous du seuil de pauvreté (fixé à 977 euros) contre 7,5 % des 60 à 74 ans, selon l’Insee.
En situation de détresse, les personnes âgées ont tendance à s’enfermer chez elles et perdent peu à peu le contact avec le monde extérieur. Il est important de couper avec ces habitudes. L’association des Petits Frères des pauvres intervient alors pour amener ces personnes à renouer des liens sociaux. « Quand ils ne peuvent pas se déplacer, nous les amenons directement à l’association. Ils peuvent, s’ils le souhaitent, participer aux ateliers hebdomadaires ou aux goûters que nous organisons tous les mois », explique Jean-Marie Lemaire. Goûters et pâtisseries sont préparés dans la cuisine toute équipée située tout au fond du local. La dégustation, elle, se fait dans la pièce principale, autour de la table ronde qui occupe tout l’espace.
« Une vingtaine de personnes isolées signalées chaque année »
Si on en croit l’Insee, avec le vieillissement de la population, le nombre de retraités pauvres augmentera d’environ un tiers dans la seule région Centre d’ici 2030. « Environ une vingtaine de personnes isolées nous sont signalées chaque année. Mais seulement la moitié d’entre elles nous rejoignent », commente Jean-Marie Lemaire. Les associations sont fréquemment sollicitées par les assistantes sociales, les aides à domicile et parfois les familles trop éloignées pour être suffisamment présentes auprès de leurs anciens.
« Nous nous adressons surtout aux personnes qui possèdent un domicile mais ne paient pas d’impôts », explique Brigitte Van Oostende, elle aussi bénévole des Petits Frères. Afin de vérifier que la personne répond aux critères définis, les bénévoles effectuent d’abord des visites à domicile. « Il arrive que la situation ne soit pas celle que l’on nous a décrite », poursuit Brigitte Van Oostende. Les seniors peuvent en effet bénéficier de suffisamment de ressources ou alors être soutenues par des membres de leur famille présents sur place. « Nous devons nous en tenir à nos critères car nous ne pouvons pas aider tout le monde », concède la bénévole.
« La précarité aggrave leur état psychologique »
Les cas les plus graves – les grands précaires, les personnes souffrant de dépression chronique – ne peuvent être gérés par l’association. D’autres structures prennent alors le relais, comme l’équipe mobile psychiatrie précarité et exclusion de Tours (EMPPE) dont la permanence est hébergée à l’hôpital Bretonneau. Cette prise en charge est importante car « la dépression des adultes les plus âgés est le trouble psychiatrique le plus fortement associé au suicide et aux tentatives », pointe une étude menée en 2010 par le Comité national pour la bientraitance et les droits des personnes âgées (CNBD). Elle démontre aussi que « les principaux facteurs sont le désespoir, le vécu d’isolement, ainsi que la mauvaise condition physique et la précarité financière ». Les suicides des 85-94 ans représentaient 40 % des suicides, conclut le CNBD.
« La précarité aggrave l’état psychologique des seniors », constate Bruno Miglioretti, infirmier en psychiatrie au sein de l’EMPPE. Un événement tragique peut faire resurgir des épisodes traumatisants et refoulés de l’enfance ou de l’adolescence et conduire les personnes âgées dans une situation de détresse psychologique extrême. Le plus souvent, les seniors auprès desquels intervient l’EMPPE possèdent un appartement insalubre, sans chauffage ni électricité. « Ils deviennent incapables de gérer leurs revenus et accumulent les dettes car ils ne savent plus comment payer leurs impôts par exemple », explique Amélie Picard
Au local des Petits Frères des pauvres, Brigitte Van Oostende, elle, n’a jamais eu à traiter de cas aussi extrême. « Mais si cela devait arriver, nous savons à qui nous devons faire appel ». Puis, dans un sourire, elle regagne la cuisine pour préparer l’atelier pâtisserie du mercredi.
Pour aller plus loin
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« Il a fallu vivre, seule »
Odette a 72 ans. Depuis la mort de son mari, elle vit seule et isolée. Avec ses maigres pensions de retraite, elle a du mal à joindre les deux bouts.
Elle se remémore sa jeunesse en feuilletant un vieil album de photo. Elle s’amuse de son ancienne beauté. Mais un voile de tristesse obscurcit ses yeux lorsqu’elle évoque son époux décédé il y a dix ans, à l’aube de sa retraite. « Il n’a pas eu le temps d’en profiter. Vous savez, après plus de quarante ans en couple, être seule, c’est dur. » La solitude, Odette la côtoie chaque jour. Elle n’a pas d’enfant, pas de famille, juste « quelques copines » avec lesquelles elle aime se promener dans leur petit village situé à proximité d’Aurillac, dans le Cantal.
Des difficultés financières imprévues
Mais ce plaisir est devenu rare à cause de son genou qui la fait souffrir. Ces derniers mois, les visites des amies se sont espacées. Odette s’est enfermée un peu plus chez elle. Elle tait sa souffrance, allume la radio ou la télévision pour sentir une présence. Depuis le mois de janvier, l’épicier de la commune voisine a cessé sa tournée quotidienne. Pas assez rentable. Un coup dur supplémentaire pour Odette qui doit donc se rendre à pied à la superette la plus proche, à 1 kilomètre de chez elle. Heureusement, elle peut compter sur son aide ménagère. « Quand j’ai du temps, je l’amène faire ses grosses courses. Ça lui fait moins de poids à porter et moins de marche », explique-t-elle.
C’est avec pudeur qu’Odette aborde ses difficultés financières, rencontrées en septembre dernier. Elle a été obligée à solliciter l’aide du service social. Ce qu’elle a fait avec réticence. « Pour les personnes âgées, c’est humiliant de pousser la porte de notre service. Odette a attendu le dernier moment pour nous appeler. Et elle ne l’a fait que sur les conseils et l’insistance d’un voisin », confie son assistante sociale.
« J’avais honte »
Depuis des années, Odette perçoit plusieurs pensions pour une somme totale de 763 euros par mois. Revenu majoré d’un montant de 380 euros dû à une cotisation faite par le passé : elle avait mis de côté une part de ses salaires très faibles lorsqu’elle faisait des ménages ou le service en restauration. Un jour, le versement de cette majoration a subitement été suspendu. La caisse de retraite l’a même menacée de poursuites judiciaires si elle ne remboursait pas les sommes déjà versées. Après de nombreux courriers et appels téléphoniques, elle a découvert avec stupéfaction qu’elle était victime, comme une centaine d’autres pensionnés d’Auvergne, d’une erreur administrative. Il a fallu six mois pour qu’elle puisse enfin percevoir à nouveau ce qui lui était dû ainsi qu’un rappel des sommes non versées.
« En attendant, il a fallu vivre. Mes revenus étaient inférieurs à mes charges. Il fallait choisir entre manger ou payer mes factures. J’avais honte », lâche-t-elle. Chaque mois, elle a dû avoir recours à l’aide alimentaire régulière. Elle a également reçues des aides financières ponctuelles. Des aides salvatrices mais insuffisantes face aux dettes accumulées. Aujourd’hui, quand elle a réglé l’ensemble de ses charges courantes, il ne lui reste qu’un peu moins de 350 euros pour ses besoins courants de première nécessité. Un solde qui s’amoindrit chaque année car elle constate avec résignation que tout augmente, surtout le gaz qui représente une charge de plus en plus difficile à assumer dans une région où l’hiver est long et rigoureux.
Trouver du réconfort auprès des bénévoles
On sonne à la porte. René, son voisin, entre sans attendre l’invitation. Chez Odette, la porte n’est jamais fermée à clef la journée. Il s’arrête quelques instants pour boire un café. Ils ont passé un accord qui les satisfait tous les deux. Odette dispose d’un petit jardin dont elle ne peut plus s’occuper. Lui, jeune retraité, est ravi de lui donner un coup de main. Odette récolte ainsi avec plaisir des fruits et des légumes qu’elle partage avec René : tomates, carottes, salades, haricots verts…
Solitude, isolement et précarité sont autant de maux qui peuvent assombrir l’horizon d’Odette. Mais dans l’adversité, elle a trouvé du réconfort chez les bénévoles de la Société Saint-Vincent-de-Paul et, désormais, chaque semaine, elle participe à des rencontres intergénérationnelles. Ce sont les enfants qui lui redonnent le sourire.
Les étudiants de l’EPJT ont demandé aux Tourangeaux quelles sont, à leur avis, les personnes les plus touchées par la solitude et la précarité. En tête des réponses, les personnes âgées et les jeunes.