Dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008 des fers à béton posés sur des caténaires ont entraîné des retards pour cent soixante trains. Initialement classés « actes de malveillance », ces sabotages ont rapidement été requalifiés en actes de terrorisme. L’un des outils de ce glissement sémantique est le concept d’« anarcho-autonome ». C’est ainsi que sont qualifiés les neuf personnes mises en examen le 15 novembre 2008 dans cette affaire. Retour sur une expression politique devenue un outil médiatique.
Par Lucile TORREGROSSA
Pour éclaircir ces concepts pour le moins flous, les journalistes font appel alors à des spécialistes. Pour l’« ultra-gauche » pas de problème. On « apprend » que cette mouvance se situe à la « gauche de l’extrême gauche », qu’elle constitue une « opposition critique » à l’extrême gauche qui « refuse les modèles d’organisation verticaux ». Heureusement que les experts sont là ! Reste la mouvance anarcho-autonome. Les professionnels interrogés semblent presque se demander ce que cette appellation peut recouper. L’expression est cependant reprise dans tous les médias.
Ce nouvel outil lexical pour parler de l’affaire « Tarnac » (du nom du village où vivaient une grande partie des personnes interpellées) est en fait une construction policière. Loin d’être un mouvement historique, auquel ses membres reconnaissent appartenir, l’expression anarcho-autonome est un concept politique sur mesure. Dès 2007, Michèle Alliot-Marie s’inquiète des risques de résurgence violente de l’extrême gauche radicale agitant le spectre d’Action Directe. « Anarcho-autonome », le concept est tout trouvé pour permettre de décrire aussi bien des dégradations de permanences politiques que des débordements lors de manifestations anti CPE. Une expression fourre-tout, mais pratique à utiliser pour les politiques et facile à reprendre pour les journaliste. La ministre de l’Intérieur en fait une description le 1er février 2008 dans Le Figaro : « Ce sont quelques dizaines d’individus rassemblés dans des petits groupes informels à l’idéologie assez sommaire. Ils se caractérisent par leur rejet de toute espèce d’expression politique démocratique et leur discours extrêmement violent. »
C’est dans ce tableau qu’une affaire retient l’attention des médias. En janvier 2008, trois hommes sont arrêtés à Fontenay-sous-Bois (Val de Marne) alors qu’ils ont en leur possession du sucre et du chlorate de soude, deux substances qui peuvent permettre de fabriquer un engin explosif artisanal, ainsi que des clous. Mis en examen, ces trois « anarcho-autonomes » expliquent qu’ils voulaient allumer un fumigène devant le centre de rétention de Vincennes et crever les pneus des voitures de police. Le dossier est transmis à l’antiterrorisme. Lorsque l’affaire est reliée à un cas similaire, deux des jeunes hommes sont mis en examen pour « détention d’un produit incendiaire » et « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Le lien entre mouvance anarcho-autonome et terrorisme est fait. Un lien officialisé par une note du ministère de la Justice datant de juin et révélé quelques jours après par le Syndicat de la magistrature (SM).
Le ministère met l’accent sur une « multiplication d’actions violentes […] susceptibles d’être attribués à la mouvance anarcho-autonome ». Il est demandé aux tribunaux de se dessaisir de chaque affaire de ce type au profit de la section antiterroriste de Paris. Le SM dénonce « cette manière de procéder [qui] devrait ainsi permettre […] de renforcer la répression à l’encontre des différents acteurs du mouvement social ». L’avocate de Julien Coupat, désigné au début de l’affaire comme le « leader » du groupe de « Tarnac », considère que cette extension de la notion de terrorisme est grave. Dans l’affaire des sabotages à la SNCF quatre jeunes sont mis en examen pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Cinq autres doivent répondre en plus de « dégradations en réunion sur des lignes ferroviaires dans une perspective d’action terroriste ». Julien Coupat ne se reconnaît absolument pas comme « anarcho-autonome ». « Avec cette fable, on a dessiné le profil de la menace auquel la ministre de l’Intérieur s’est docilement employée, d’arrestations ciblées en rafles médiatiques, à donner un peu de chair et quelques visages. Quand on ne parvient plus à contenir ce qui déborde, on peut encore lui assigner une case et l’y incarcérer. Or, celle de « casseur » […] permet de criminaliser des actes, non des existences. Et il est bien dans l’intention du nouveau pouvoir de s’attaquer à l’ennemi en tant que tel, sans attendre qu’il s’exprime. Telle est la vocation des nouvelles catégories de la répression », explique-t-il dans Le Monde du 26 mai 2009.
Pour le moment, aucune preuve ne permet de le désigner comme coupable. Il est sorti le 28 mai 2009 de la prison de la Santé après six mois de détention. Pas sur que la menace de l’ultra-gauche en ait effrayé beaucoup. Reste que le concept d’« anarcho-autonome » est devenu banal. Il a été abondamment repris pour parler de cette affaire, voir critiqué par ceux qui y voient une tentative de manipulation du gouvernement. Quant aux actes de terrorisme, le code pénal les définit comme « ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Suit une liste d’infractions telles que les vols, les dégradations, les atteintes volontaires à la vie, ou encore le détournement d’aéronef. Une définition beaucoup trop vague pour certains. Selon Gilbert Thiel, juge d’instruction antiterroriste à Paris « le fait d’emmerder le monde et d’occasionner un préjudice financier n’est pas suffisant pour caractériser une démarche terroriste ».