Ambiance fouillis au Projet 244, car les artistes qui y travaillent laissent généralement le fruit de leur travail sur place.
Cette semaine, les étudiants en Année spéciale sont descendus dans la rue. Pas pour manifester, mais pour voir de l’art. Au sommaire, visite d’un bâtiment où se réunissent les artistes de rue pour fabriquer leurs décors. Puis, rencontre avec la Compagnie Off, à Saint-Pierre-des-Corps. Ensuite nos apprentis journalistes se sont lancés sur les traces de Monsieur Chat.
Par Béatrice CATANESE, Cécilie CORDIER, Julien DESFRENE
Les arts de la rue ont leur « laboratoire »
Dans le Sud de Tours, une association s’est installée, il y a dix ans, dans une ancienne usine. Les bâtiments qu’elle loue à la ville servent de centre de création aux artistes de rue.
Pas facile de trouver le Projet 244. Installée dans des hangars, au 244 de la rue Auguste-Chevallier de Tours, cette association est une « fabrique partagée, un laboratoire des arts de la rue », comme l’appelle Patrick Brient, son fondateur. Difficile pourtant d’imaginer ce qui se cache derrière ce nom. Depuis le portail, on ne distingue qu’un ensemble de bâtiments assez peu engageants. Il ne faut cependant pas se fier aux apparences. Les hangars, peu ou pas chauffés, recèlent bien des trésors.
Cela fait dix ans que le Projet 244 a investi cette ancienne usine, une « friche », comme le dit Charlotte Garcia, chargée du développement dans l’association, depuis janvier. Petit tour du propriétaire en sa compagnie.
« Quand on s’est installé ici, c’était pour quinze jours, raconte Patrick Brient. Et ça dure depuis dix ans ! » Le lieu n’est pas aux normes pour recevoir du public et répéter en hiver sans chauffage peut faire peur aux artistes. Heureusement, cela ne devrait pas durer dix ans de plus. Il manque à la structure la salle dite « de la Belle équipe ». Un hangar géant, initialement prévu pour devenir une rue abritée et ainsi permettre aux artistes de travailler en condition (presque) réelles. Son ouverture était prévue pour l’année dernière, elle est retardée, notamment par des problèmes financiers. Le Projet 244 accueille des musiciens, des graffeurs, des danseurs… « toute compagnie travaillant dans les arts de la rue », précise Charlotte Garcia. Ils sont acteurs de l’association à différents niveaux. Les lieux sont à l’image de la diversité des compagnies qui l’investissent au fil des années. Les dix membres et les cinq utilisateurs actuels disposent chacun d’un espace qu’ils peuvent aménager comme bon leur sembleCharlotte Garcia reconnaît qu’il manque un peu de communication autour du Projet 244 : « Nos voisins ne savent pas qui on est… » Mais, selon Patrick Brient, « quand les gens viennent, ils se reconnaissent dans ce lieu, parce qu’il parle de leur quotidien. C’est une succession de réalités, de la récupération, plusieurs univers qui se côtoient. » Depuis dix ans, les artistes membres du Projet 244 s’appliquent à défendre les « valeurs des arts de la rue, explique Charlotte Garcia. Par exemple, la solidarité, le fait d’amener la poésie dans l’espace urbain pour avoir un autre rapport à la rue. Sans oublier les convictions plus politiques, du côté des alternatifs. »
Le succès ne se dément pas. Il suffit d’ailleurs de se promener dans le hangar, même par un froid lundi de février, pour y croiser des artistes en création. Pendant qu’un groupe est en train d’enregistrer dans le studio, un décor se monte pour une autre compagnie…
Création d’un décor par la compagnie Kovka (à gauche). Dans le hangar qui habite de nombreuses compagnies, on trouve de tout
Texte et photos : Cécilie Cordier
Sons : Julien Desfrene
- Pour aller plus loin : Centre national de ressources des arts de la rue et des arts de la piste.
Dans les coulisses d’une compagnie de théâtre de rue
La Compagnie Off, installée à Saint-Pierre-des-Corps, est l’une des plus prestigieuses compagnies de théâtre de rue de France. Elle avait créé Dehors/dedans, le premier festival français de théâtre de rue, aujourd’hui disparu. Depuis plus de vingt ans, la Compagnie off s’exporte aux quatre coins du monde. Fin février, elle défilera à Milan, puis se produira le 29 mars prochain au carnaval de Bléré (Indre-et-Loire). Mais pour l’instant, l’équipe se prépare.
Marcher sur les toits
A partir du 9 février, l’artiste contemporain Kader Attia prépare une installation dans l’un des espaces du Projet 244. Cette œuvre sera ensuite exposée au Centre de création contemporaine de Tours, du 3 avril au 8 novembre. Il prépare aux futurs visiteurs une expérience originale : marcher sur les toits d’habitations en tôle ondulée, reconstitués grandeur nature. Exposition gratuite à partir du 3 avril, du mercredi au dimanche, de 14 à 18 heures, 53-55, rue Marcel-Tribut, 37000 Tours.
Un maître du jonglage à Tours
Les 7 et 8 mars, le Projet 244 accueille Philippe Ménard. Ce grand nom du jonglage en France vient animer un stage, Les Ecritures du jonglage, pour amateurs confirmés. Jongleur, mais aussi danseur et comédien, Philippe Ménard pratique le mime et emmène sa compagnie, Non Nova, sur les scènes du monde entier. Inscriptions au 02 47 38 03 34. Tarif : 35 € + 12 € d’adhésion annuelle au Projet 244.
Artistes en folie
La maison Folie-Wazemmes de Lille accueille l’exposition Propeace Artists. Huit artistes de rue se sont réunis, à l’initiative de Mikostic. Collages, masques-monstres, sérigraphies, vidéos… chacun a créé une installation pour l’occasion. Ils feront ainsi découvrir leur art, notamment aux enfants à qui des ateliers sont proposés. Au 70, rue des Sarazins 59000 Lille. Jusqu’au 1er mars, Entrée libre. Ateliers enfants (5 €) du 23 au 25 février. Rens. : 03 20 78 20 23.
Itinéraire d’un graffeur masqué
Un artiste de rue s’évertue depuis plus de dix ans à égayer nos façades d’un énigmatique Monsieur Chat.
Avec son pelage jaune criard, Monsieur Chat n’est pas des plus discrets. Il réserve pourtant son sourire éblouissant à ceux qui savent lever le nez du trottoir. A Tours, il étend le linge au-dessus d’un restaurant gastronomique. A Paris, il bondit joyeusement d’une cheminée à l’autre. Ce chat perché qui détonne dans le paysage urbain séduit et intrigue. Les passants qui l’observent en se tordant le cou se demandent qui est son maître.
Le graffeur sur le toit
En mars 2007, un certain Thoma Vuille est pris la main dans le graff par la police de sa ville natale, Orléans. Monsieur Chat, c’est lui. Cet ancien étudiant des Beaux-Arts de 30 ans revendique des influences post-graffiti et pop art. La nuit, il se transforme en Zorro du tag : masqué, une bombe à la main, il joue aux équilibristes. « J’utilise la rue et l’environnement public comme une toile, cherchant à proposer aux passants des fenêtres imaginatives et colorées », explique-t-il. Les citadins français ne sont pas les seuls à pouvoir profiter du félin rayonnant. Sur les berges d’Amsterdam, les vieux immeubles de New-York ou le tramway de Sarajevo… partout, il invite au jeu de piste urbain.
Monsieur Chat sort ses griffes
« Je ris jaune », proteste Monsieur Chat sur les pancartes des militants lors des manifestations de mai 2002 contre le Front national au second tour des présidentielles. Depuis, il bat parfois le pavé à l’occasion du 1er mai, symbole d’un mouvement anti-morosité. En 2004, le réalisateur Chris Marker lui consacre un documentaire intitulé Chats perchés, tableau des troubles politiques français à travers les yeux du mystérieux graffiti. « Peu de temps après le choc de septembre 2001, voilà qu’apparaissent, sur les toits de Paris, des Chats. (…) Ainsi quelqu’un, pendant la nuit, risque de se rompre le cou pour faire flotter un message de bienveillance sur cette ville qui en a tant besoin », écrit le cinéaste. Une représentation géante de Monsieur Chat vient égayer le parvis de Beaubourg et Libération s’intéresse au phénomène.
Nouveaux horizons
Après dix ans de vagabondages, le matou regagne Orléans fin 2007, mais cette fois en grandes pompes. Il investit le musée des Beaux-Arts et s’expose aux côtés des grandes œuvres classiques. Pour ne pas avoir la grosse tête, il va prendre l’air de la campagne. Avec l’aide des exploitants agricoles d’Airvault (Poitou-Charentes), il inscrit son plus beau sourire dans les champs de tournesols sur une centaine de mètres. Il était au Festival culturel de Hué au Vietnam en juin 2008 et participera à des expositions à Tokyo (Japon), Séoul (Corée du Sud) et à São Paulo (au Brésil). Thoma Vuille a désormais d’autres chats à fouetter que de grimper sur les toits. Mais si ses tout premiers graffs commencent à s’effacer, son personnage continue d’intriguer. B. C.