Quand les médias nous parlent du climat

Nathalie Picard-Simonet

Quand les médias nous parlent du climat

Quand les médias nous parlent du climat

Nathalie Picard-Simonet
5 octobre 2015

À l’approche de la conférence de Paris, les enjeux liés aux changements climatiques reviennent sur le devant de la scène. Comment traiter ce sujet complexe, global et transversal ? Dans les médias, cette question suscite le débat.

Une nappe de pétrole noire dégouline sur la page d’accueil du site Internet du Guardian, couverte par une nuage de tags où s’entremêlent noms et logos. En lettres orange, la légende : « Voici les entreprises les plus polluantes des secteurs du charbon, du gaz et du pétrole. » Et une question : « Contribuez-vous à les financer ? » Le 16 mars 2015, le quotidien britannique lance ainsi une campagne choc sur le changement climatique : « Keep it in the ground», laissez sous terre les énergies fossiles. Il appelle au désinvestissement massif dans ce secteur, en partenariat avec l’organisation non gouvernementale (ONG) 350.org. Deux cent mille personnes ont déjà signé la pétition. En avril, le groupe Guardian Media, propriétaire du journal, montre l’exemple : il retire ses actifs du secteur fossile.

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Climat et énergies : les deux questions sont étroitement liées.

Photo : Colin Broug

Coup de pub ou nouvelle ligne éditoriale ? En tout cas, c’est une petite révolution dans le monde des médias. L’initiative fait parler d’elle. Et pour cause : elle intervient à quelques mois de la vingt et unième conférence des parties sur les changements climatiques (Cop 21). Fin novembre, la France accueillera en effet ce nouveau cycle de négociations organisé par les Nations unies. Les 195 pays participants devront aboutir à un accord universel et tenter de contenir en dessous de 2 °C l’augmentation de la température. Sinon, le réchauffement climatique risque de devenir incontrôlable, comme l’a souligné le Giec, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, dans son dernier rapport. Freiner l’exploitation des énergies fossiles fait partie des mesures à prendre, car leurs réserves représentent un immense stock de gaz à effet de serre.

Alan Rusbridger, rédacteur en chef du quotidien britannique depuis vingt ans, est l’homme par qui tout a commencé. Le 6 mars 2015, il poste un long billet sur le site Internet du Guardian. À six mois de la retraite, il confesse un seul regret. Celui de ne pas avoir donné davantage de place à une accablante question : « Comment le changement climatique va-t-il probablement causer des ravages incalculables et des tensions à l’espèce humaine, du vivant de nos enfants ? » Pour lui, les origines humaines du changement climatique font consensus. La bataille principale se joue maintenant sur le plan politique et économique : « Que peuvent faire les gouvernements pour réguler, ou sinon contrer les conséquences sûrement terrifiantes d’un réchauffement de plus de 2 °C d’ici la fin du siècle ? Comment pouvons-nous empêcher les États et les sociétés qui détiennent les principales réserves planétaires de charbon, de gaz et de pétrole d’être toujours autorisés à en extraire le maximum ? » Pétition, investigations, reportages… La rédaction s’est lancée corps et âme dans ce combat.

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Libération

Dans les médias français, les lignes bougent aussi, mais plus timidement. Le 9 mai 2015, les énergies fossiles font la une dans l’édition week-end de Libération. « Forage, ô désespoir  », titre le quotidien en ouverture d’un dossier de 8 pages consacrées au secteur fossile et à son impact sur le changement climatique. Dans son éditorial, David Carzon affirme : « Il est temps de prendre les bonnes décisions et d’arrêter cette course à la profondeur du forage que nous allons perdre collectivement. » Fin 2014, ce nouvel enjeu apparaissait déjà dans plusieurs articles du Monde qui pointait du doigt les subventions publiques aux énergies fossiles.

En s’attaquant de front à des intérêts économiques et politiques aussi puissants, l’initiative du Guardian interpelle. « Elle a le mérite de montrer ce qu’est un traitement journalistique politisé et d’ouvrir le débat  », estime Jean-Baptiste Comby, maître de conférences en sociologie des médias à l’université Paris II. Le chercheur a analysé le processus de dépolitisation des questions environnementales. Celui-ci revêt trois dimensions : « La principale est l’individualisation des responsabilités : la question climatique est passée de la sphère publique à une affaire de comportements individuels, qui se joue dans le domaine privé. La seconde, c’est de considérer que tout le monde a le même niveau de responsabilité face au problème. La troisième est la déconflictualisation : faire de l’écologie un sujet non partisan, non idéologique que tout le monde peut récupérer. »

Cette dépolitisation clôt le débat public, puisque l’on considère que les solutions se trouvent ailleurs : au niveau technique, à l’échelle des individus. Dès lors, le traitement journalistique consiste à « sensibiliser en mettant en proximité et en quotidienneté le problème climatique  », observe Jean-Baptiste Comby. Canicule, montée du niveau des océans, disparition d’espèces… Autant de sujets qui privilégient les conséquences du changement climatique, plutôt que ses causes.

Certains journalistes, qui pensent que ce traitement renforce le sentiment d’impuissance des citoyens, préfèrent parler des solutions. Ils pratiquent donc le journalisme d’impact, promu par l’ONG Reporters d’espoirs. Son objectif : mettre en avant des initiatives innovantes et constructives dans les domaines économiques, sociaux et environnementaux, pour donner envie d’agir au plus grand nombre.

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Proposer des solutions concrètes au problème du changement climatique, c’est aussi le choix de France Info. En amont de la Cop 21, la radio a constitué un groupe d’experts : le comité climat de France Info décerne le « label #maplanète » à des actions et des événements proposés par les auditeurs. Jardin partagé, lutte contre le gaspillage alimentaire, politique zéro déchet à San Francisco… Les initiatives sélectionnées sont relayées à l’antenne et sur le site Internet de la station. Mais certaines laissent dubitatif. Comme celle sur les innovations technologiques dans le machinisme agricole. Bon pour la planète, le semoir de précision à grande vitesse ou le drone épandeur d’engrais ? Cela reste à prouver.

Parler des solutions ne fait pas l’unanimité. Surtout quand elles servent à masquer les problèmes. Dans un billet paru dans Terra Eco en mars 2015, Laure Noualhat, journaliste indépendante, dénonce des œuvres qui « font fi des blocages, ne décryptent pas les intérêts contradictoires et balaient le constat pour se concentrer sur les solutions ». Jean-Louis Caffier, journaliste spécialisé dans le développement durable, préfère nuancer : « Parler d’une solution, oui, mais à la lumière de ce qu’elle apporte.  » Car si elle résout 1 % ou 50 % des difficultés, ce n’est pas pareil. Et souvent, cette donnée-là n’est pas fournie. Il faut aussi que le problème soit connu et compris, ce qu’aurait tendance à oublier un traitement uniquement axé sur les solutions. C’est là que le bât blesse. Dans une interview accordée à L’Express, Jean Jouzel, climatologue et membre du Giec, confirme : « Les enquêtes sur la perception du réchauffement montrent que les citoyens sont de plus en plus conscients de la réalité du phénomène, mais pas vraiment, en revanche, des causes de ce réchauffement. »

À Saint-Jean-de-Luz (64), la montée des eaux accélère l’érosion des côtes. Une conséquence du réchauffement climatique souvent abordée dans les médias. Photo : N. P.-S.

D’après la dernière étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) sur le sujet, seules 15 % des personnes interrogées associent l’effet de serre à la notion de gaz ou de dioxyde de carbone. Ils sont plus nombreux, 20 %, à évoquer la couche d’ozone, phénomène qui n’a pourtant rien à voir avec l’effet de serre. Si l’environnement arrive souvent en dernier dans la liste des préoccupations des Français, 41 % pensent toutefois que l’on n’en parle pas assez dans la presse. Récemment, Le Monde a analysé les couvertures des cinq principaux hebdomadaires généralistes français. En un an, une seule était en lien avec l’environnement : Valeurs actuelles, journal d’opinion de droite, titrait en juillet 2014 sur les éoliennes pour montrer qu’elles défigurent le paysage.

Tout une histoire

Dans les rédactions, certains journalistes s’interrogent. Comme au Guardian : « Pourquoi avons-nous tant de mal à nous préoccuper du changement climatique ? Nous savons que cela signifie chaos mondial, augmentation du niveau des mers, fin possible de notre civilisation, mais nous préférons regarder ailleurs. » Comment impliquer les lecteurs ? Comment trouver un nouveau chemin pour raconter l’histoire du changement climatique ? Sur le site internet du quotidien anglais, la rédaction partage ses réflexions : dans la rubrique « La plus grande histoire du monde », elle met en ligne les podcasts de ses débats internes.

La question de la mobilisation citoyenne, l’Association des journalistes de l’environnement et du climat (Ajec 21) se l’est également posée. Créée en septembre 2014 dans la perspective de la Cop 21, cette organisation regroupe deux associations de journalistes spécialisés : l’Association des journalistes de l’environnement (AJE) et les Journalistes écrivains pour la nature et l’écologie (JNE). « Notre volonté, c’est de faire bouger les choses en formant les journalistes  », explique Carine Mayo, co-présidente de l’Ajec 21. Décryptage de rapports scientifiques, rencontres avec des experts et des organisations citoyennes… Une dynamique qui a du mal à dépasser le cercle des journalistes spécialisés dans l’environnement.

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L’Ajec 21 souhaiterait pourtant toucher des confrères spécialisés dans l’économie ou des rédacteurs en chef. Mais souvent, ces derniers ont peu d’appétence pour le sujet. Les rédacteurs en chef sont plutôt issus des services politique, économie ou international. Chaque année, le journaliste Jean-Louis Caffier organise les entretiens de Combloux, un séminaire qui donne de précieuses clés de compréhension sur le climat et les énergies. L’orientation scientifique et apolitique de ce rendez-vous annuel permet d’attirer des journalistes leaders et non spécialisés, comme des présentateurs de journaux télévisés. La formation est un levier important pour que les médias traitent davantage la complexité du problème climatique. Car l’exercice est délicat. « Réussir à vulgariser ce sujet tout en le rendant vivant, trouver le bon équilibre entre simplification et précision, c’est un immense défi », estime Émilie Massemin, journaliste à Reporterre, le quotidien de l’écologie en ligne créé par Hervé Kempf.

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Des enjeux segmentés

Ce journal d’opinion assume une vision politique et sociale de l’écologie. Le traitement en plusieurs dimensions qui ne se limite donc pas à des questions de nature et de pollution. Cette transversalité peine à s’imposer dans la plupart des grands médias. En témoignent les articles publiés pour présenter la nouvelle stratégie de la filiale d’Air France, concurrente de la SNCF sur ses lignes intérieures. « Hop ! Air France propose des vols en France à moins de 50 euros », titrait Le Figaro début avril 2015. Le quotidien ne parle que de l’offre commerciale et de parts de marché. Idem dans Le Monde. « L’avion émet nettement plus de gaz à effet de serre que le train, mais ça, aucun journal n’en parle. Ils auraient dû pointer du doigt l’absurdité de cette démarche par rapport au climat, s’agace Jean-Louis Caffier. La dimension environnementale devrait être transversale à toute l’actualité. La vraie question, c’est celle de notre modèle de développement. »

Celle qu’a osé se poser le Guardian. Simon Roger, journaliste au service planète du Monde, a rencontré Alan Rusbridger au siège londonien du quotidien : « Ses propos m’ont marqué. Il pose la question de la responsabilité des médias. Nous devons être capable de mettre l’information en perspective, de nous projeter et d’alerter aussi. » Le Monde s’associera-t-il à la campagne du quotidien britannique ? Au printemps en tout cas, le débat agitait la rédaction.

Brasseurs d'idées

Photo : N. P.-S.

Lieu de résidence, espace de coworking, scène culturelle et fabrique de l’information, telles sont les différentes facettes de Place to B, un lieu qui vivra bientôt au rythme de la conférence de Paris sur le climat. En attendant, les organisateurs préparent l’événement dans une démarche participative. Rencontre avec les membres du réseau, début mai à Paris.

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« Place to B alive ! Just to B there !  » Juchée sur une chaise, Anaïs, étudiante dynamique, lance des slogans à la cantonade. Autour d’elle, une quarantaine de personnes sont attablées dans un coin du Belushi’s, un bar situé à quelques pas de la gare du Nord de Paris. Elles sont réunies pour faire avancer leur projet : Place to B, comme l’expression anglaise qui désigne un lieu à ne pas rater. Car, dans quelques mois, l’endroit où il faudra être, ce sera ici, au Belushi’s. Du 30 novembre au 11 décembre prochain, le bar vivra au rythme de la Cop 21, la conférence des parties sur les changements climatiques organisée par l’ONU. Il se transformera en espace de coworking, plateau télé et studio radio pour journalistes, illustrateurs ou humoristes. Tous ceux qui veulent parler autrement du climat seront les bienvenus.

Fabriquer un récit différent sur le changement climatique, c’est la clé de voute du projet lancé par Anne-Sophie Novel, blogueuse et journaliste. En jean et tee-shirt blanc, la jeune femme lance la rencontre. Si de nombreux participants se connaissent déjà, il y a aussi de nouvelles têtes. C’est pour elles qu’elle présente une nouvelle fois son initiative : « L’idée a germé il y a six ans, lors de la Cop 15 de Copenhague. Là-bas, j’ai rejoint un réseau international de blogueurs. Un café privatisé nous permettait de nous connecter à Internet, de travailler ou de boire un verre. Cette expérience m’a beaucoup marquée. J’ai rencontré des personnalités que j’admire, raconte simplement la journaliste. Alors pourquoi ne pas profiter de la COP 21 pour créer une dynamique similaire à Paris ? »

L’idée lancée, une équipe de 12 personnes s’est progressivement constituée. Place to B est devenu le nom officiel du projet. Au-delà du jeu de mots, la lettre B renvoie aux manifestations citoyennes lors du sommet de Copenhague. Un message en lettres noires sur fond jaune était inscrit sur les pancartes : « Il n’y a pas de planète B. » B, c’est aussi Le Bourget, site qui accueillera la COP 21, le RER B, les blogueurs ou le bottom-up, processus de coconstruction cher aux organisateurs.

Raconter le climat

Car l’idée, c’est bien de partir de la base et d’associer un maximum de citoyens à la dynamique. Impliquer la société civile dans ce projet et, plus globalement, dans le changement climatique. Anne-Sophie Novel s’interroge : « Pourquoi la pire des catastrophes annoncées ne mobilise-t-elle pas les foules ? L’information, telle qu’elle est traitée aujourd’hui dans les médias, suffit-elle pour répondre aux enjeux ? Les médias doivent parler différemment du changement climatique : produire un discours réaliste mais aussi porteur d’espoir, montrer que des solutions existent pour donner envie d’agir. »

Dans la fabrique de l’information imaginée par les organisateurs, des compétences en journalisme, en illustration ou en datavisualisation vont se croiser pour donner naissance à de nouvelles formes de récit. Créer un référentiel de solutions inspiré d’un livre de recettes, traiter l’avancée des négociations à la manière des commentateurs sportifs, réaliser une cartographie des alternatives existant à travers le monde, réfléchir à la sémantique et inventer de nouveaux mots… Déjà, de nombreuses idées émergent. Le projet suscite l’enthousiasme. À ce stade, difficile de savoir ce qui va ressortir de cette émulation, mais l’expérimentation est en marche.

Réseaux en partage

Les propositions émanent de la communauté Place to B, 250 personnes réunies sur un groupe privé. Ce soir-là, au Belushi’s, 40 membres sont en train de plancher. Sur les tables, papiers et crayons côtoient des pintes de bière. On discute, on s’amuse et on travaille. L’objectif, c’est d’avancer sur le remplissage des lieux d’ici la fin du mois de juillet. Les 600 lits du St Christopher’s Inn, l’auberge de jeunesse jouxtant le bar, sont réservés pour la Cop 21. Un challenge pour les organisateurs.

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Photo : N. S.-P.

Un bras dans le plâtre, Joanne Schanté, l’aubergiste, y met toute son énergie : « Nous souhaitons accueillir des personnes d’origines géographiques variées, qui vont contribuer à la fabrique d’un récit différent. Des profils originaux, comme des youtubers ou des blogueurs, nous intéressent. Nous avons besoin d’activer tous nos réseaux pour remplir l’auberge. »

Une fois les équipes constituées, trois défis sont successivement lancés : partager ses réseaux et ses contacts, trouver des slogans et rédiger des tweets. Entre deux bouchées de frites, les idées fusent. Réunie autour d’une grande table en bois massif, l’équipe des « saltimbanques » est en plein remue-méninges. Anaïs l’étudiante, Frédéric le journaliste, Natacha la graphiste, Raphaël le musicien… Ils viennent d’horizons différents mais partagent un intérêt commun : participer à ce projet porteur de sens. Et pour motiver et souder les troupes, à chaque défi, un pichet de bière est mis en jeu. Quand Place to B se transforme en un « Place to bière ! » joyeusement lancé dans la mêlée.

“Dès que vous adoptez une posture critique, on vous taxe de militantisme”

Photo Laure Colmant

Le journaliste Sylvain Lapoix enquête sur les gaz de schiste depuis près de cinq ans. Il porte un regard critique sur la manière dont les questions environnementales sont traitées. Indépendant, il collabore souvent avec des médias écologiques comme Reporterre ou Terra Eco.

Comment vous êtes-vous intéressé aux questions environnementales ?

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DR

J’ai un attrait personnel pour ce sujet. Mais j’ai travaillé tardivement dessus car la première rédaction que j’ai intégrée, Marianne, ne s’intéressait pas à l’écologie. Lorsque j’étais à Owni (site d’information en ligne qui a cessé son activité en 2012, NDLR), nous enquêtions chaque mois sur une question inédite. L’idée, c’était de trouver des débats émergents. Un ami m’avait parlé de Gasland, un documentaire américain qui dénonce l’exploitation des gaz de schiste. Grâce à lui, j’avais trouvé un sujet total : pour étudier la question, je devais traiter les aspects écologiques, économiques, industriels et politiques. Si l’on détourne les yeux de l’une de ces dimensions, le sujet devient incompréhensible. C’était à l’automne 2010, et je travaille toujours dessus. De manière plus globale, l’écologie, elle aussi, est une question journalistique totale.

Pensez-vous que le changement climatique est traité de manière appropriée par les grands médias français ?

Mises à part quelques émissions spécialisées, cette question s’avère peu et mal couverte. D’ailleurs, très peu de pays donnent autant d’audience aux climato-sceptiques. C’est un problème qui concerne l’environnement et l’écologie en général. Il y a eu des renoncements, par exemple en 2013, sur la moindre importance accordée aux pages Planète dans Le Monde. Les médias sont dans une réflexion court-termiste : ils traitent ces questions sous l’angle de la polémique, ce qui les amènent à les sous-estimer. Pour beaucoup de mes collègues, les gaz de schiste sont la pomme de discorde entre le parti socialiste et Europe écologie-Les Verts. Ce qui les intéressent, ce sont la charge polémique et la dimension politicienne du sujet. Pis, il y a un fond de mépris, un ton condescendant dans leur manière d’aborder ces questions : les écolos sont des « chieurs », les zadistes des babas cool qui s’amusent dans les campagnes, fument des joints et sauvent les oiseaux. L’autre problème, c’est que les grands médias sont bloqués dans une vision passéiste du monde. Pour eux, tout ce qui émerge est une mode, une séquence, un sous-sujet. Pour le climat comme pour les gaz de schiste, mes confrères attendent toujours que la mode passe et que les choses reviennent à la normale…

Une enquête au long court sur un sujet si controversé doit forcément apporter son lot de difficultés ?

La première, c’est de réussir à publier des articles. Beaucoup de collègues m’ont même demandé d’arrêter de travailler sur les gaz de schiste. Une fois, je me suis disputé avec l’un d’entre eux. On bataillait sur des arguments économiques et il a fini par me dire que j’étais un artisan du chômage en France. Sur les questions environnementales, beaucoup de journalistes s’approprient l’argumentaire patronal : le chantage à l’emploi, le prima de l’économie… En France, c’est particulièrement frappant.

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Vous a-t-on aussi collé l’étiquette de militant ?

Quand vous êtes journaliste spécialisé dans l’écologie, dès que vous adoptez une posture critique, on vous taxe de militantisme. Le symptôme est clair : quand j’interviens sur le sujet, on me lance systématiquement que je suis un antigaz de schiste. Mais non, je suis simplement critique. Quand un éditorialiste écrit un plaidoyer pour le gaz de schiste, personne ne l’arrête. C’est comme s’il y avait deux camps : celui du oui, du progrès, face aux « nonistes », aux militants qui disent non à tout. Non aux OGM, au nucléaire, au gaz de schiste, au bonheur, à l’amour… Au lieu d’aller sur le terrain des arguments, on préfère décrédibiliser la personne critique en la traitant de militante.

Que pensez-vous de l’initiative du Guardian sur le changement climatique et les énergies fossiles ?

Dans la hiérarchie des sujets, le Guardian a décidé de placer l’écologie en premier. Il lance un signal fort en affirmant qu’il n’y a pas de sujet plus sérieux et plus actuel. C’est une position à contre-courant de ce qui se pratique ailleurs. Bien sûr, il y a sûrement un aspect publicitaire mais le Guardian est tout à fait crédible dans cette prise de position. Son travail d’investigation est une référence.

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Par rapport aux défis du changement climatique et de la transition énergétique, êtes-vous plutôt optimiste ou pessimiste ?

Vous m’auriez posé la question il y a trois semaines, j’aurais dit pessimiste. Mais aujourd’hui, je suis convaincu par les campagnes de désinvestissement menées dans le secteur des énergies fossiles. Leur impact potentiel est énorme. Contrairement à ce qu’on dit, l’exploitation est très coûteuse, consommatrice d’énergie et polluante. Je l’ai observé dans le Dakota du Nord. Si vous coupez le robinet des financements, le système se casse la figure. Je ne dirais pas pour autant que je suis optimiste, mais je crois qu’un mouvement plus pragmatique est en train d’infuser dans la sphère écologique. La meilleure chose pour lutter contre le réchauffement climatique, c’est d’arrêter de dire qu’il faut sauver les ours blancs. C’est trop lointain, trop abstrait. Par contre, si votre enfant tombe malade à cause de la pollution, c’est du concret. On aura plus de chance de sauver la biodiversité mondiale en réduisant notre consommation d’huile de palme ou en prenant notre vélo. C’est ce mouvement qui me donne de l’espoir aujourd’hui.

Dans un article paru sur Reporterre, vous racontez votre conversion progressive au régime végétarien. Une action qui s’inscrit justement dans cette dynamique ?

Je crois que ce sont des changements intimes qui feront avancer les choses : changer sa façon de manger, de se laver, de partir en vacances, d’éduquer ses enfants… On essaie d’exclure l’écologie de nos vies, mais ça, c’est la vie.

Pour aller plus loin …

Photo Laure Colmant

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