“Dès que vous adoptez une posture critique, on vous taxe de militantisme”

Photo Laure Colmant

Le journaliste Sylvain Lapoix enquête sur les gaz de schiste depuis près de cinq ans. Il porte un regard critique sur la manière dont les questions environnementales sont traitées. Indépendant, il collabore souvent avec des médias écologiques comme Reporterre ou Terra Eco.

Recueilli par Nathalie Picard-Simonet

Comment vous êtes-vous intéressé aux questions environnementales ?

J’ai un attrait personnel pour ce sujet. Mais j’ai travaillé tardivement dessus car la première rédaction que j’ai intégrée, Marianne, ne s’intéressait pas à l’écologie. Lorsque j’étais à Owni (site d’information en ligne qui a cessé son activité en 2012, NDLR), nous enquêtions chaque mois sur une question inédite. L’idée, c’était de trouver des débats émergents. Un ami m’avait parlé de Gasland, un documentaire américain qui dénonce l’exploitation des gaz de schiste. Grâce à lui, j’avais trouvé un sujet total : pour étudier la question, je devais traiter les aspects écologiques, économiques, industriels et politiques. Si l’on détourne les yeux de l’une de ces dimensions, le sujet devient incompréhensible. C’était à l’automne 2010, et je

travaille toujours dessus. De manière plus globale, l’écologie, elle aussi, est une question journalistique totale.

Pensez-vous que le changement climatique est traité de manière appropriée par les grands médias français ?

Mises à part quelques émissions spécialisées, cette question s’avère peu et mal couverte. D’ailleurs, très peu de pays donnent autant d’audience aux climato-sceptiques. C’est un problème qui concerne l’environnement et l’écologie en général. Il y a eu des renoncements, par exemple en 2013, sur la moindre importance accordée aux pages Planète dans Le Monde. Les médias sont dans une réflexion court-termiste : ils traitent ces questions sous l’angle de la polémique, ce qui les amènent à les sous-estimer. Pour beaucoup de mes collègues, les gaz de schiste sont la pomme de discorde entre le parti socialiste et Europe écologie-Les Verts. Ce qui les intéressent, ce sont la charge polémique et la dimension politicienne du sujet. Pis, il y a un fond de mépris, un ton condescendant dans leur manière d’aborder ces questions : les écolos sont des « chieurs », les zadistes des babas cool qui s’amusent dans les campagnes, fument des joints et sauvent les oiseaux. L’autre problème, c’est que les grands médias sont bloqués dans une vision passéiste du monde. Pour eux, tout ce qui émerge est une mode, une séquence, un sous-sujet. Pour le climat comme pour les gaz de schiste, mes confrères attendent toujours que la mode passe et que les choses reviennent à la normale… 

Une enquête au long court sur un sujet si controversé doit forcément apporter son lot de difficultés ?

La première, c’est de réussir à publier des articles. Beaucoup de collègues m’ont même demandé d’arrêter de travailler sur les gaz de schiste. Une fois, je me suis disputé avec l’un d’entre eux. On bataillait sur des arguments économiques et il a fini par me dire que j’étais un artisan du chômage en France. Sur les questions environnementales, beaucoup de journalistes s’approprient l’argumentaire patronal : le chantage à l’emploi, le prima de l’économie… En France, c’est particulièrement frappant.

Vous a-t-on aussi collé l’étiquette de militant ?

Quand vous êtes journaliste spécialisé dans l’écologie, dès que vous adoptez une posture critique, on vous taxe de militantisme. Le symptôme est clair : quand j’interviens sur le sujet, on me lance systématiquement que je suis un antigaz de schiste. Mais non, je suis simplement critique. Quand un éditorialiste écrit un plaidoyer pour le gaz de schiste, personne ne l’arrête. C’est comme s’il y avait deux camps : celui du oui, du progrès, face aux « nonistes », aux militants qui disent non à tout. Non aux OGM, au nucléaire, au gaz de schiste, au bonheur, à l’amour… Au lieu d’aller sur le terrain des arguments, on préfère décrédibiliser la personne critique en la traitant de militante.

Que pensez-vous de l’initiative du Guardian sur le changement climatique et les énergies fossiles ?

Dans la hiérarchie des sujets, le Guardian a décidé de placer l’écologie en premier. Il lance un signal fort en affirmant qu’il n’y a pas de sujet plus sérieux et plus actuel. C’est une position à contre-courant de ce qui se pratique ailleurs. Bien sûr, il y a sûrement un aspect publicitaire mais le Guardian est tout à fait crédible dans cette prise de position. Son travail d’investigation est une référence.

Par rapport aux défis du changement climatique et de la transition énergétique, êtes-vous plutôt optimiste ou pessimiste ?

Vous m’auriez posé la question il y a trois semaines, j’aurais dit pessimiste. Mais aujourd’hui, je suis convaincu par les campagnes de désinvestissement menées dans le secteur des énergies fossiles. Leur impact potentiel est énorme. Contrairement à ce qu’on dit, l’exploitation est très coûteuse, consommatrice d’énergie et polluante. Je l’ai observé dans le Dakota du Nord. Si vous coupez le robinet des financements, le système se casse la figure. Je ne dirais pas pour autant que je suis optimiste, mais je crois qu’un mouvement plus pragmatique est en train d’infuser dans la sphère écologique. La meilleure chose pour lutter contre le réchauffement climatique, c’est d’arrêter de dire qu’il faut sauver les ours blancs. C’est trop lointain, trop abstrait. Par contre, si votre enfant tombe malade à cause de la pollution, c’est du concret. On aura plus de chance de sauver la biodiversité mondiale en réduisant notre consommation d’huile de palme ou en prenant notre vélo. C’est ce mouvement qui me donne de l’espoir aujourd’hui.

Dans un article paru sur Reporterre, vous racontez votre conversion progressive au régime végétarien. Une action qui s’inscrit justement dans cette dynamique ?

Je crois que ce sont des changements intimes qui feront avancer les choses : changer sa façon de manger, de se laver, de partir en vacances, d’éduquer ses enfants… On essaie d’exclure l’écologie de nos vies, mais ça, c’est la vie.