« Travailler pour ces magazines, est une consécration »

illustration courtoisie Pauline Kalioujny

Diplômée de l’École nationale supérieure des arts décoratifs en 2006, Pauline Kalioujny est aujourd’hui une illustratrice prisée. Repérée par la rédaction du magazine Popi, l’artiste de 32 ans collabore avec les groupes de presse petite enfance. Une professionnelle aussi exigeante que son public. Elle vient de faire l’acquisition de son premier atelier à Ivry-sur-Seine. Un lieu où elle s’adonne à sa passion, nourrie par l’imaginaire des petits..

Recueilli par Pierre-Quentin Derrien

D’où vient votre goût pour le dessin jeunesse?

Pauline Kalioujny. J’ai toujours été pas­sionné par ce type d’illustration. Moi-même, j’ai été lectrice de ces magazines étant en­fant. C’est un univers qui laisse une grande place à l’imaginaire. Pour travailler dans le domaine de l’illustration jeunesse, je crois qu’il est recommandé d’avoir la fibre tout-petits. Ils faut passer du temps à ana­lyser leur réaction pour comprendre leur lecture de l’image et sans cesse s’améliorer. C’est très stimulant.

Vivre de l’illustration, un parcours du combattant ?

P. K. Oui, c’est un peu ça (rires). Cela fait maintenant dix ans que je suis sortie de l’école. Se faire une place dans ce petit mi­lieu où tout le monde se connaît n’est pas une chose évidente. Il faut être patient. Mais c’est aussi une période nécessaire pour dé­velopper son identité artistique, trouver sa patte. Cela fait peu de temps que je com­mence à trouver ma place dans ce micro­cosme. Il faut s’accrocher.

illustration courtoisie Pauline Kalioujny

Quelles sont les qualité d’une bonne illustration jeunesse ?

P. K. Il faut les capter au premier coup d’œil. Avec les tout-petits la sanction est immédiate. Ils ne cherchent pas à comprendre, ils voient. Leur attention est très fragile. Il est nécessaire de les accrocher très vite. Cela passe par des images très directes, efficaces. Le coup de crayon est spontané. Le choix des couleurs est primordial. Tout doit être identifiable dans la composition. Il faut être très premier degré pour séduire ce public exigeant. Très vite j’ai dû adapter mon style. Je trouve dommage que ce type de production soit sous-estimé car c’est presque ce qu’il y a de plus dur dans l’illustration. Il faut être vigilant dans les propositions car ces créa­tions font une partie de l’éducation à l’image de l’enfant. On se souvient tous de ces ma­gazines en tant que lecteur. Ils laissent une trace.

Présentez-vous vos œuvres à des professionnels de la petite enfance, comme des pédopsychiatres ?

P. K. Je m’en remets surtout à ce que j’ai l’occasion d’observer régulièrement, c’est à dire des lectures dans les crèches. J’ai aussi régulièrement des retours de médiathèques. Elle me donnent un avis sur mon travail. Lorsque je réalise un livre, c’est l’éditrice qui se charge de montrer mes dessins à des pédopsychiatres. Dans la presse le temps de création est beaucoup plus court et le dessin ne peut pas passer par toutes ces étapes. En général, l’expérience des groupes de presse suffit pour repérer ce qui cloche.

illustration courtoisie Pauline Kalioujny

En presse, quelles sont les différentes étapes entre les premiers coups de crayons et la publication ?

P. K. D’abord le texte nous est envoyé. C’est lui qui guide le dessin. Le texte des auteurs vient toujours en premier. A partir de là, nous envoyons un crayonné aux rédactions, un brouillon perfectible. Après leur retours vient la réalisation de l’œuvre, les dernières retouches et enfin la publication. Le plus souvent, tout cela se passe en deux semaines. En comparaison, j’ai pris trois ans pour travailler sur mon dernier livre. Les contraintes dans l’édition et dans la presse ne sont pas compa­rables.

Cependant ces collaborations avec la presse vous assure des revenus plus réguliers ?

P. K. Oui bien sûr. Énormément d’illustra­teurs jeunesse frappent aux portes de ces groupes. Ils assurent une base de revenu. Mais les illustrateurs savent aussi et surtout que cette presse est un formidable lieu d’ex­position de leur savoir-faire. Travailler pour ces magazines, est presque une consécration. Nous ne faisons pas cela pour l’argent, les rétributions sont d’ailleurs très fluctuantes. Elles se font au forfait. Pour une vignette le tarif de départ est d’environ 70 euros mais pour une histoire sur plusieurs pages cela monte à plusieurs centaines d’euros. Tout dépend du groupe de presse et de la noto­riété de l’artiste. Avec la démocratisation de la photographie, l’illustration ne retrouvera plus l’âge d’or des années soixante. Les titres de presse y avait bien plus recours qu’au­jourd’hui. Les tarifs bas font râler certains d’entre nous mais ces opportunités sont à sai­sir et puis personne ne souhaite se confron­ter aux services juridiques bien rodés des groupes (rires).

illustration courtoisie Pauline Kalioujny

Les lignes éditoriales des ces maga­zines, notamment leurs connotations religieuses chez Bayard et Fleurus, sont elles une contrainte supplémen­taire ?

P. K. Je n’apprécierais pas qu’on passe un message différent de mes valeurs au tra­vers de mes créations. Des amis m’avaient prévenue de l’identité de certaines maisons comme Bayard et Fleurus. Certains d’entre nous font un principe de ne pas collaborer avec ces groupes en contradiction avec leur éthique personnelle. Fleurus, par exemple, a la réputation de proposer des contenus for­matés et même un peu sexistes. J’avais donc une petite appréhension avant de travailler avec Bayard et je pensais que tout ne serait pas proposable. Cela c’est vite atténué. J’ai senti que je jouissais d’une grande liberté dans la réalisation. Même si des magazines comme Popi ont parfois un discours plutôt traditionaliste, il y avait une belle qualité d’échange et d’écoute entre la rédaction et moi. L’expérience m’a surprise, dans le bon sens du terme.

Avez-vous pour projet de travailler de nouveau et plus régulièrement pour ces magazines ?

P. K. J’aimerais beaucoup ! Les places sont chères. Les rédactions travaillent beaucoup à la confiance et font très souvent appel à des illustrateurs qu’elles connaissent déjà. Certains occupent une bonne partie des pages. Ce sont ceux qui ont eu la chance de se faire acheter une série à succès, des aven­tures de personnages stars et récurrents. C’est un rêve que nous avons tous. Dessi­ner pour cette presse est considéré comme du bon travail alimentaire dans notre mi­lieu. Enfin, je sens que la mode change ces derniers temps. Les artistes qui travaillent comme moi, à la main, sont plus recherchés (elle grave ses œuvres sur des plaques de li­noleum, NDLR). Enfin, je tente de proposer des créations plus complètes en me lançant en parallèle dans un travail d’auteur, pour lier mes images et mes propres textes. C’est un travail de longue haleine mais je suis pas­sionné et je ne vois aucune raison de baisser les bras.