Talk-show

La recette gagnante du PAF

L’émission C à Vous a été créée en 2009 et la présentatrice, Anne-Élisabeth Lemoine, a repris les rênes de la quotidienne en 2017.  Photo : Eva Pressiat/EPJT

De la discussion parsemée d’informations ou l’inverse, tels sont Les talk-shows. Ils riment aujourd’hui avec succès et font les beaux jours des chaînes de télévision

Par Eva Pressiat 

Il a envahi le PAF. Il est multiple, accrocheur et parfois controversé. Il recouvre aussi bien « C à Vous », « Quotidien », « Clique » ou encore « TPMP ». Il s’agit du fameux talk-show. Ce genre est fourre-tout et ne plaît que très modérément aux chercheurs. « Ce n’est pas une définition satisfaisante, considère Alexis Lévrier, historien des médias. On ne peut pas mettre toutes ces émissions sur le même plan. “Touche pas à mon poste” et “C à vous” sont des programmes totalement différents. Le fait de mettre la parole au centre n’est pas suffisant pour unifier une catégorie. »  

Mais comment définir ce format qui fleurit sur toutes les chaînes télé ? Tout part d’une discussion. Ces émissions d’accueil ne traitent plus l’information de manière impersonnelle mais sous le prisme de l’expérience personnelle. Ce que l’on recherche, c’est le témoignage, le récit émouvant qui captera le téléspectateur. « Dans un talk-show, on traite l’information sous la forme d’un échange entre divers points de vue qui doivent être tranchés, différents ou d’univers distincts. On joue beaucoup sur les différents statuts : on mixe experts, responsables politiques ou célébrités », explique Jean-Marie Charon, sociologue des médias. 

En résumé, la recette est quasi toujours la même : un animateur, symbole et incarnation du programme, des chroniqueurs marquants, des invités stars, du papotage et un ton différent, celui du divertissement. L’actualité devient motif de conversation et déclenche des échanges animés, des rires ou bien des pleurs. En bref, ce que l’on cherche à capter, ce sont les émotions. Et les Français, eux, connaissent-ils cette définition du talk-show ?

Le talk-show n’a rien de nouveau et n’a surtout rien de français. Il vient tout droit des États-Unis et voit le jour sur les ondes. C’est en 1955 que le public découvre le premier talk-show français. Son nom : La Boîte à sel. Une émission satirique créée par Pierre Tchernia. Des humoristes comme Michel Roux ou Paul Préboist se succédaient pour livrer des sketchs acerbes sur les actualités politiques en cours, la guerre d’Algérie, par exemple.

Vingt ans plus tard, Jacques Martin et sa bande de copains font mouche. « Le Petit Rapporteur » devient alors le talk-show humoristique par excellence. Diffusé en direct le dimanche à 13 h 20 sur TF1, les blagues et jeux de mots des célébrités ont rendu l’émission cultissime. Une scène d’anthologie a marqué l’histoire. Daniel Prévost face au panneau de la ville de Montcuq : « Bonjour, en effet, aujourd’hui je suis ravi de vous montrer Montcuq à la télévision » (1976). 

Deux hommes, au même ton décapant et grivois, vont durablement installer le talk-show à la télévision. L’un ne porte que du noir, l’autre est défini comme le « zébulon du PAF ». Thierry Ardisson et Christophe Dechavanne font naître ce qui n’existait pas, un conglomérat d’intimité, d’anecdotes et de faits de société. L’infotainment.

Les émissions actuelles n’ont en réalité rien d’actuel comme l’analyse Alexis Lévrier : « Cela existe vraiment depuis la fin des années quatre-vingt. Dans son émission, Thierry Ardisson invitait autant Maurane que Dieudonné. Et Cyril Hanouna renvoie à cette époque-là. » Il rajoute : « Le fait de faire revenir Dechavanne sur “Quelle Époque”, au cœur de débats sérieux, c’est un signal pour créer de l’infotainment. »

Les années quatre-vingt-dix marquent le début de l’âge d’or des talk-shows en France. Les formats à l’américaine se multiplient. « Ciel mon mardi ! » (1988), « Coucou, c’est nous ! » , « Bas les Masques » (1992). Au milieu de cette effervescence, une femme s’impose et bouscule le PAF par son sens de la formule, son intérêt pour l’humain et ses concepts novateurs : Mireille Dumas.

« Quand j’ai lancé Bas les masques, je ne pensais pas qu’il y aurait un tel succès. À l’époque, j’avais l’impression qu’à la télévision, on donnait la parole uniquement à un certain milieu. Les marginaux, eux, on ne les voyait pas »confie la journaliste et productrice. Elle décide alors de ne pas suivre l’actualité mais de la créer. Les thèmes sont disruptifs pour l’époque : le féminisme, l’homosexualité, la transidentité. « On parlait beaucoup de l’intime mais la visée était sociale, commente-t-elle aujourd’hui. Je sais qu’on a fait bouger les lignes. Aborder ce type de sujet avec une dimension émotionnelle et privée, ça amène le téléspectateur à s’identifier. Il découvre le sujet autrement qu’avec une information lointaine. »  

Les chiffres sont unanimes. Plus d’un million de téléspectateurs regardent « C à Vous », « Quotidien » ou le talk-show hebdomadaire, « Quelle Époque ». L’émission de Yann Barthès est devenue talk-show numéro 1 en France et réunit en moyenne 1,33 million de convertis selon Médiamétrie. Alors quels sont les ingrédients de cette recette si bien huilée ?

« Quelle Époque » veut casser les codes. Les invités sont souvent en vogue et issus des réseaux sociaux : Caroline Receveur, cheffe d’entreprise et influenceuse, Piche, candidate de « Drag Race France » ou encore sœur Albertine, 208 000 followers sur Instagram. « On essaye d’avoir ce que les autres n’ont pas. Nous sommes l’émission qui reçoit le plus de gens issus d’internet. C’est une manière d’accrocher le public et d’essayer de ne pas faire comme tout le monde », livre Charlotte Hernandez, journaliste pour « Quelle Époque ».

Léa Salamé : «  Le tournage de l’émission se termine vers 21 heures, 22 heures, le vendredi. Maël Laurent, le rédacteur en chef adjoint, et Cyril Salvador, le rédacteur en chef, vont en salle de montage une semaine sur deux, la nuit après l’enregistrement du programme pour réduire l’émission, enlever les bugs et les longueurs. » Photo : Eva Pressiat/EPJT

Pour Léa Salamé, l’animatrice phare de l’émission : « Le succès de “Quelle Époque” ? C’est une mayonnaise, la mayonnaise du samedi soir. Nous sommes les seuls à recevoir six ou sept invités par émission et à les mélanger. Une émission réussie, c’est quand les invités se parlent entre eux, qu’il y a une discussion sur le plateau. »

Pour « Quotidien », même constat : « Ici, chacun vient comme il est, avec sa culture, ses envies, ses obsessions parfois et ça fait une belle mayonnaise. Je pense que ça fonctionne car il y a une écriture, un ton et un cerveau derrière cette émission : Laurent Bon, le producteur. C’est le maestro, le gardien du temple », précise Jean-Michel Aphatie, chroniqueur de l’émission depuis la rentrée 2023.

Du côté de « C à Vous », les éléments qui amènent au succès semblent différents. Audrey Paillasse, rédactrice télé pour le programme de France 5, observe : « C’est une émission qui fait consensus, qui est jugée comme sérieuse donc on vient facilement chez nous. Les programmateurs sont d’une grande rapidité : ils passent toujours le coup de fil en premier pour convaincre les gens de venir. Il y a une course à la primauté de l’invité. Ce qui compte, c’est d’avoir l’exclu.

Les ingrédients d’un talk-show réussi. Vidéo : Eva Pressiat/EPJT

Un paramètre de taille explique également la floraison des talk-shows : ces émissions sont une véritable aubaine financière. Les talk-shows sont diffusés la plupart du temps en access prime time, de 18 heures à 21 heures, moment où les audiences cartonnent et les prix des encarts publicitaires sont à leur paroxysme. Selon Les Échos, « Quotidien » coûterait entre 130 000 et 150 000 euros à produire. Les recettes, quant à elles, seraient équivalentes à 275 000 euros.

« C’est un format sans risque qui ne coûte pas cher à produire, analyse Hélène Bekmezian, journaliste médias au Monde. Le décor est toujours le même, il est assez simple. Les chroniqueurs sont permanents. On retrouve souvent du direct ou des conditions de direct ce qui veut dire qu’il n’y a pas de montage à faire derrière. Cette mécanique est facilement absorbable, les chaînes télés se réfugient dedans et ça marche. »

La botte secrète pour des audiences aussi spectaculaires, ce sont ses humoristes. Philippe Caverivière, Paul de Saint-Sernin, Pablo Mira, Bertrand Chameroy. Sans ces personnalités impertinentes, ce format ne pourrait pas exister.

« Les téléspectateurs au rendez-vous ». Un reportage d’Eva Pressiat et de Kelvin Jinlack. 

Les pastilles humoristiques alliées à l’atmosphère détendue en plateau attirent les téléspectateurs désireux de s’informer avec légèreté. Les talk-shows donnent une bouffée d’air dans un nuage de nouvelles anxiogènes. C’est là tout l’intérêt de ces tranches d’humour et les chiffres le montrent bien : « Ce sont véritablement les audiences qui parlent. Il y a vraiment un pic au moment de la chronique de Bertrand Chameroy, C’est sans appel. Je pense, et c’est même certain, que certains zappent et attendent sa chronique pour revenir sur l’émission », s’amuse Audrey Paillasse, journaliste à la rédaction de « C à Vous ».

Selon le baromètre La Croix-Kantar 2023, 57 % des Français considèrent qu’il faut « se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d’actualité.» 21% estiment ressentir de la fatigue informationnelle « très souvent » et « assez souvent » pour 30% d’entre eux.

La tendance actuelle est inéluctable : le ras-le-bol informationnel est grandissant tout comme la défiance envers les médias traditionnels. Les audiences de la télévision linéaire sont en berne. La cible, elle, est vieillissante. Pourtant, face à ce sombre tableau, les talk-shows d’information font carton plein. 

Dans les coulisses du Studio Rive Gauche, lieu de tournage de l’émission « Quotidien » produite par la société de production Bangumi, le 25 avril 2024. Photo : Eva Pressiat/EPJT

Mais peut-on bien s’informer en regardant des talk-shows ? Pour Jean-Michel Aphatie, la réponse est claire : « Je pense, oui. L’information est de bonne qualité, les journalistes font ça sérieusement et les interviews sont souvent brillantes. La force de “Quotidien” c’est de vouloir démasquer les pièges de la communication et pour ça, il faut travailler. » Avant de poursuivre : « Est-ce que c’est un projet de presse exhaustif ? Non et c’est rare à la télévision. » Puis d’ajouter, interrogateur : « Cette idée que l’on ne peut pas s’informer au travers d’émissions divertissantes est un peu datée, non ? »

Il faut cependant bien différencier un talk-show journalistique, pensé par une rédaction de journalistes où les maîtres-mots de la profession demeurent – exactitude, impartialité, véracité – et une émission d’animation basée sur le show. « À partir du moment où il n’y a pas de journaliste, on fait le choix du divertissement et pas de l’information. Le show n’est pas contraire à la qualité de l’information, il doit simplement la servir », affirme Alexis Lévrier, historien des médias. 

Et ce show est vivement recherché sur les réseaux sociaux : ils sont au cœur de la stratégie de communication des chaînes de télévision et particulièrement des talk-shows. De courts extraits d’émission poignants, décalés ou humoristiques circulent en continu sur Instagram, Youtube Short, X ou encore Tik Tok. Personne ne déroge à la règle : « C à Vous », « Quotidien », « Clique », « Quelle Époque ».

Capture d’écran des réels Instagram de « Quotidien », « C à Vous » et « Quelle Époque », le 20 mai 2024. Certaines vidéos atteignent le million de vues. Montage : Eva Pressiat/EPJT

« Un community manager poste des extraits en même temps que l’émission est diffusée. Il choisit des passages et les met sur Youtube et X en direct. Il faut qu’il y ait un passage par invité et un morceau de chaque chronique diffusés sur les réseaux sociaux », explique Salomé Delattre, journaliste reporter d’images à « C à Vous ». Avant d’ajouter : « Je ne sais pas si ça pousse les gens à regarder toutes les émissions mais ça contribue à faire connaître l’émission. »

La télé linéaire a su apprivoiser cet outil devenu numéro un de la communication. Dans « Quotidien », Nicolas Fresco est même devenu le chroniqueur dédié au décryptage de la vie des influenceurs.

Personne ne sait réellement si les utilisateurs des réseaux se mettent à consommer les émissions après la vision d’un réel sur Instagram. Mais une chose est sûre, ces vidéos fonctionnent : jusqu’à 1,5 million de vues sur les derniers réels postés par « C à Vous » et « Quotidien » sur Instagram.

Montage des extraits d’émissions de « C à Vous », « Quelle Époque » et « Quotidien » les plus regardés sur Youtube. Détails en bibliographie. Vidéo : Eva Pressiat/EPJT

Seul bémol : circulent essentiellement les extraits qui font le buzz. La petite phrase qui sera reprise, commentée, repostée. Souvent sortis de leur contexte, ces moments fugaces peuvent ne donner à voir qu’une partie tronquée des paroles de l’interviewé. D’après Hélène Bekmezian, journaliste au Monde« Je ne pense pas qu’il y ait un mot d’ordre pour faire des petites phrases et les reprendre sur les réseaux. En revanche, ce qui est sûr, c’est que le format encourage ce genre de moment. »

En clair, le format rapporte, attire et malgré des années d’existence, les audiences restent intactes. Les animateurs font le succès de ces émissions d’accueil. Qui ne connaît pas le rire d’Anne-Elisabeth Lemoine, la désinvolture de Yann Barthès ou la spontanéité de Léa Salamé ? Qu’elles soient en acces prime time ou en deuxième partie de soirée, elles sont toutes installées et font la renommée des chaînes de télévision.

Les late-show à l’américaine, quant à eux, peinent à fonctionner dans l’Hexagone. Beaucoup s’y sont essayés : Antoine de Caunes, Arthur, Alain Chabat mais tous se sont heurtés aux codes télévisuels et culturels à la française. La télévision made in France a encore de beaux jours devant elle : la sur-américanisation du PAF n’est pas pour tout de suite.

 Pour aller plus loin

Eva Pressiat

@evaprsst
22 ans.

Rédactrice et JRI à France Télévisions.
Passée par Midi Libre, Radio Aviva, Le Télégramme et France 3.
Passionnée par les sujets politiques,  numériques et par la société dans son ensemble.
Péchés mignons : la photographie, le riz au lait et le RnB.

Cette enquête est son travail de fin d’études