Science & Vie Junior arrêt sur images

Photo Florian Cadu/EPJT

Si proche si loin. Au quatrième étage du bâtiment de Mondadori France, groupe d’édition qui les édite, un large espace, occupé par des salles de réunion et des espaces téléphoniques, sépare les rédactions de Science & Vie et de Science & Vie Junior. « Normal, Science & Vie Junior est totalement indépendant, revendique Fabrice Nicot, chef de rubrique du mensuel. Nous ne travaillons jamais avec nos confrères de Science & Vie. À la limite, il nous arrive de manger ensemble. »

Côté Junior, l’open space dédié à la maquette est rempli, chacun est à son poste. Il tranche avec celui, presque vide, de la rédaction, où seulement deux journalistes sont présents en ce début de mois de mai. Étonnant, puisque c’est plutôt l’inverse chez Science & Vie. « Nos collègues rédacteurs nous ont abandonnés, ils sont en vacances, sourit Fabrice Nicot. De toute façon, le visuel est plus important que le texte ici. »

L’illustration est d’ailleurs le premier facteur à prendre en compte lorsque l’équipe réfléchit à un article. C’est même un « filtre pour les choix des sujets », selon Jérôme Blanchart, l’un des rédacteurs en chef. Chaque mois, des thèmes sautent, faute d’images. Car dans le magazine, la moindre petite brève s’accompagne d’une illustration.

Les maquettistes, journalistes à part entière

Et cette problématique amène son lot de chamailleries. Aujourd’hui, c’est la présence d’une colonne de texte supplémentaire qui fait débat dans le coin maquette : « Ça fait trop d’écrit dans la page, faut pas déconner ! » Ici, comme dans de nombreux magazines, les maquettistes sont appelés « rédacteurs graphistes ». Une qualification qui revendique leur statut de journaliste à part entière. Ce que confirme Florence Ragueneau, directrice artistique : « Plus qu’une vulgarisation scientifique écrite, la revue est marquée par une vulgarisation imagée. On donne énormément de place aux photos. On a même des pages dédiées uniquement à l’image. »

Ainsi, le numéro de mai 2015 propose deux portfolios, dont un qui s’étale sur quatre doubles pages. Des éléments introuvables dans Science & Vie, revue pourtant richement illustrée. « L’illustration est fondamentale pour accrocher les jeunes, reprend Florence Ragueneau. On se met constamment à leur place pour construire nos pages. C’est une gymnastique difficile à acquérir. » En pratique, les pages de Science & Vie Junior sont plus déstructurées, plus vivantes, moins formatées que celles de Science & Vie. Tout est fait pour pousser l’adolescent à débuter ou continuer sa lecture. Les pages se suivent mais leurs organisations ne se ressemblent pas.

Outre les photographies et l’agencement des pages, Science & Vie Junior propose de nombreuses infographies (une dizaine par numéro, soit environ deux fois plus que Science & Vie). « Mon activité principale, c’est de les rendre lisibles, explique Aurelia Lieberherr, première secrétaire de rédaction. Il faut bien garder en tête que nous travaillons pour un public diversifié, qui va de l’enfant de 10 ans à l’adolescent de 17. Chaque illustration doit donc être compréhensible de tous. »

Mais pour elle, la vraie différence avec Science & Vie se situe dans les titres. « Ils doivent être à la fois très incitatifs pour capter le jeune lecteur, mais aussi informatifs pour qu’il puisse les comprendre. » Un enfant, qui a forcément moins de culture et de connaissance qu’un adulte, a plus de chance de passer à côté d’un jeu de mots ou d’un clin d’œil culturel. et de donner un exemple. « Celui-ci n’aurait jamais dû passer », dit-elle en désignant une page où on peut lire « Plus Led la vie », qui renvoie à la série de France 3.

Si le titre ne parle pas au jeune, il n’a pas de deuxième chance : « Contrairement aux lecteurs de Science & Vie qui sont à la recherche d’informations et qui vont au-delà de la forme, le public de Junior lit un article pour son titre. » Exit les références au cinéma ou à la musique, bannis les calembours intellectuels. Les titres se démarquent par l’emploi pesque abusif de points d’interrogation, d’exclamations ou de suspension.

« Un adulte intéressé par les sciences n’a pas besoin d’une véritable incitation pour ouvrir son mensuel, au contraire des enfants ou des adolescents »

La titraille doit rendre compte de l’angle choisi pour un sujet. Et cet angle est primordial pour attirer le jeune public. « Prenons cette couverture, propose Jérôme Blanchart en s’emparant d’un numéro. Elle est titrée : “Comment devient-on un génie ?” Or, le sujet de base porte sur les cerveaux anormaux que possèdent les autistes et les autres personnes aux capacités cérébrales exceptionnelles. Mais si on écrit “Pourquoi les autistes ont des capacités extraordinaires ?”, c’est pas fun et le gamin ne se sent pas impliqué. »

Si les sujets abordés dans Science & Vie Junior et Science & Vie peuvent être identiques, dans le premier ils seront davantage axés vers le côté spectaculaire ou futuriste. Le second, lui, s’en tiendra au domaine factuel. « Un adulte intéressé par les sciences n’a pas besoin d’une véritable incitation pour ouvrir son mensuel, au contraire des enfants ou des adolescents », estime le rédacteur en chef. En témoigne le nombre d’images sur les couvertures : une seule pour Science & Vie contre quatre pour Junior.

Une différence de mise en page qui est loin d’être anodine. Elle marque une nette frontière entre les deux concepts éditoriaux. Si Science & Vie existe avant tout pour nourrir les appétits scientifiques du grand public, la mission première de Junior est tout autre. « Nous ne réalisons pas le petit frère de Science & Vie, certifie Fabrice Nicot. Nous, notre grand désir, c’est de susciter des vocations scientifiques chez les petits. » D’où la véritable mise en scène visuelle de l’information. Pour instruire les savants de demain par l’image.