Radio Notre Dame, la différence

L’entrée des studios se fait par l’atrium où se déroulent également les réunions du personnel. Photo : Laurence de Terline

La radio parisienne chrétienne dispose d’une notoriété et de moyens supérieurs aux autres. Mais avec l’arrivée du numérique, Radio Notre Dame redoute la concurrence. La direction souhaite donc développer sa marque. Un objectif annoncé par le directeur au cours d’une réunion réunissant bénévoles et salariés.

Par Iris Chartreau

Descendez, il y a de la place en bas  », lance le directeur. Les journalistes arrivent au compte-goutte embouteillant l’escalier qui mène à la salle de réunion. Le calendrier affiche mardi 5 mai 2015, jour d’une réunion exceptionnelle de tout le personnel à Radio Notre Dame. Un atrium d’une vingtaine de mètres carrés accueille une douzaine de chaises. Un luxe pour une radio associative installée dans le 14e arrondissement parisien. Des locaux refaits à neuf en 2012, financés par un appel aux dons qui avait recueilli 220 000 euros.

Les chaises où s’assoient les journalistes ont probablement bénéficié de la bénédiction effectuée par le cardinal André Vingt-Trois à l’ouverture de la radio. Sur un écran s’affiche un power point. Une trentaine de personnes se sont installées face à lui. Mais les 33 salariés de la radio ne sont pas tous là.

Les premières places sont occupées par les bénévoles. Principalement des femmes, septuagénaires au brushing blond ou brun impeccable, collier de perles au cou, bagues en or aux doigts. Une dizaine de journalistes à la tenue passe-partout sont assis derrière ou se tiennent debout sur les passerelles qui surplombent la salle.

Bruno Courtois, directeur de la radio, en impose par sa prestance. Le quinquagénaire aux cheveux poivre et sel incarne à merveille le dandy parisien. Tout y est : la mèche en forme de vague, le teint hâlé, le costume parfaitement taillé, le premier bouton de chemise ouvert pour laisser apparaître une poitrine velue. « La caricature du XVIe arrondissement » résume son rédacteur en chef, Louis Daufresne.

Créer une marque référence

Le directeur commence un exposé qui doit redéfinir les objectifs de la radio pour la prochaine grille de rentrée. Il débute par un constat : la baisse de la pratique religieuse et par l’absence de culture religieuse. Une donnée qui fragilise l’économie de la radio quand on sait que son budget de 3,5 millions d’euros est essentiellement financé par des dons.

Mais plus encore que la déchristianisation, c’est la concurrence des autres radios que redoute le plus la direction. « Aujourd’hui, avec l’arrivée du numérique, la logique de territoire disparaît. La radio va s’étendre.  » Effectivement, 15 % des auditeurs écoutent déjà Radio Notre Dame sur Internet. Le directeur regarde chacune des personnes présentes dans la salle et fait quelques pas. « Cinquante-huit pour cent des Parisiens connaissent Radio Notre Dame. Aucune autre radio chrétienne ne bénéficie de cette renommée. Mais il faut aller encore plus loin. »

Le modèle de Radio Notre Dame, c’est Radio Vatican, qui reçoit ici Benoît XVI alors pape en exercice. Photo News VA

En moyenne, 40 % des Français connaissent une radio chrétienne. L’ancrage parisien de Radio Notre Dame est donc incontestable. Le directeur a capté son territoire qui attend maintenant l’annonce de la nouveauté qui va redéfinir l’orientation de la radio. « L’objectif est de développer une marque synonyme de contenu éditorial comme Radio Vatican  », révèle le directeur.

Après avoir passé en revue les options écartées, il en arrive à celle choisie : créer un label qui produise des programmes prêts à être diffusés. Radio Notre Dame met déjà à disposition ses programmes des autres radios de son réseau, la Communauté francophone de radios chrétiennes (Cofrac). Par exemple Radio Présence, basé à Toulouse, retransmet « Le débat du soir ». Mais les émissions sont encore trop peu réutilisées.

L’enjeu est donc de produire des programmes compatibles avec ceux des autres radios chrétiennes. « Il est impératif de sentir qu’il y a une culture de groupe, ecclésiale et chrétienne », poursuit le directeur qui suit des yeux les flèches dessinées sur le power point. « Il nous faut être une marque porteuse de sens donc plus ambitieuse, plus accessible, plus identitaire et plus identifiable. »

Un jeune homme d’une trentaine d’année à la barbe épaisse, assis sur les marches de l’escalier, interroge le directeur : « Comment être à la fois plus identitaire et plus compréhensible ? Cela me paraît contradictoire. » Chuchotements dans la salle. Bruno Courtois reprend la parole : « Ce n’est pas plus identitaire, c’est avoir une tonalité plus identifiable en fait. L’auditeur qui écoute la matinale de Louis Daufresne doit savoir qu’il est sur Radio Notre Dame, peu importe où il se trouve.  » Il se lance alors dans de longues explications pour préciser cet objectif.

En bref, Radio Notre Dame ne cherche pas à séduire les personnes qui ne sont pas croyantes mais celles qui sont à la recherche d’un contenu différent de ce qui se fait ailleurs. Quelqu’un intervient du haut de la passerelle. Cheveux dégarnis, lunettes et foulard autour du cou, il s’agit de Christophe Mory, animateur d’une émission sur l’actualité théâtrale. « Je pense que ce que Bruno a voulu dire c’est d’aller davantage vers l’autre en étant accueillant et forcément agréable, chaleureux et souriant. » Le directeur sourit et remercie le journaliste.

Une autre voix s’élève du fond de la salle. Philippe Delaroche, visage rond et cheveux mi-courts, tient une émission littéraire deux fois par semaine. « Des amis non-croyants m’ont parlé de la radio en me disant avoir été surpris par le ton. Pourquoi ? Parce qu’ils s’attendaient à entendre des gens acariâtres, tristes, moroses », raconte t-il. Les bénévoles et les journalistes ont conscience de véhiculer une image ennuyeuse. Mais, pour le directeur, ce n’est pas qu’un cliché. « Dès la rentrée il y aura des formations pour travailler les voix, pour être encore plus chaleureux. Nous devons fuir l’entre-soi. » D’après ses derniers sondages, la radio a déjà réussi le pari de rajeunir son public. Mais encore 33 % des auditeurs ont plus de 65 ans. Audience en miroir des bénévoles qui se lèvent péniblement de leur chaise pour aller saluer le directeur.

Le coup de com’ de La manif pour tous

Nous avons été très engagés sur la loi Taubira. Nous avons prêté notre antenne aux manifestants. La radio était pleine tous les matins », explique le rédacteur en chef de Radio Notre Dame, Louis Daufresne, qui se

vante d’avoir lancé médiatiquement Frigide Barjot. Comme au cours de cette émission du 6 janvier 2013, disponible sur internet et dédiée à la manifestation de la semaine suivante contre le projet de loi légalisant l’adoption et le mariage homosexuel.

Le journaliste Alexandre Meyer commence son émission en annonçant les trois lieux de rendez-vous pour les manifestants. « Combien seront-ils, pourquoi et comment les rejoindre ? La réponse dans La voix est libre. » Libre peut-être, orientée sûrement. Le premier invité est Lionel Lumbroso « juif, athée, de gauche », tel que s’empresse de le présenter le journaliste, porte parole du collectif de la manif pour tous. Le deuxième invité n’est pas, comme on aurait pu s’y attendre, un contre-manifestant favorable à la loi, mais Aldéric Dumont, membre de ce même collectif, chargé de la logistique.

Pendant cinquante minutes, les invités, aidés par Alexandre Meyer et les appels d’auditeurs, passent en revue les initiatives du collectif et les arguments contre la loi. Louis Daufresne justifie ce choix éditorial : « Quand se présente ce genre d’événement c’est très bon pour nous. On doit démontrer notre utilité auprès des donateurs. Ils n’auraient pas compris qu’on ne prenne pas position. » Le rédacteur en chef qui revendique par ailleurs « une capacité d’indépendance », qui affirme ne pas hésiter à critiquer son propre camp ou qu’il « appartient à une éthique du questionnement » oublie vite ses considérations déontologiques.