Quand le bio est victime de son succès

Pour Eric Devant, l’élevage biologique, c’est la liberté des animaux et l’amour pour ces derniers

Producteur de viande bovine biologique, Éric Devant a su prendre le tournant du bio et du circuit-court à un moment critique pour les éleveurs. Mais au delà de l’image bucolique de cette production haut de gamme, il confesse les difficultés qu’apporte la démocratisation de la pratique.

Par Dorian LE JEUNE (texte et photos)

Les pieds enfoncés dans de larges bottes, Éric Devant, éleveur de bovins labellisé Bio, arpente  une terre rendue meuble par plusieurs jours de pluie. À peine traverse-t-il le passage canadien que toutes ses génisses limousines l’encerclent.

Isolé dans ses 125 hectares de champs situés au Néman, dans l’Indre-et-Loire, Éric n’entend que ses vaches meugler, accompagnées des froids murmures du vent. Habituellement, elles paissent sur deux archipels que l’éleveur possède : l’une placée sur la Loire, l’autre à la confluence entre cette dernière et l’Indre. Mais le temps plutôt sec des dernières mois a laissé le fleuve à un si bas niveau que ses bêtes pouvaient traverser et fuir vers la route. Alors il les a installées dans ses terres fermées de clôtures barbelées, le temps que la nature pluvieuse fasse à nouveau son œuvre.

Sa vision de l’élevage biologique, c’est la liberté des animaux et l’amour pour ces derniers. Il n’y a qu’à le voir, au milieu de ses bêtes, leur caresser l’échine, leur parler, leur donner des surnoms affectueux.

Renaître après la vache folle

C’est en 1996 qu’il se lance dans le bio, un peu malgré lui. On est alors en pleine crise de la vache folle. Le commerce de la viande bovine s’effondre. Les gros titres apprennent au monde que la maladie, qui a décimé plusieurs dizaines de milliers d’animaux, peut être transmise à l’humain. Face à la paranoïa ainsi déclenchée, Éric Devant comprend qu’il doit trouver une solution. La seule qui lui paraît réalisable est de rétablir la confiance des consommateurs.

Il commence à transformer sa viande sur place, c’est-à-dire à la découper en en suivant les morceaux que l’on connaît : épaule, faux-filet, entrecôte, etc. Puis il fait du porte-à-porte, un chemin de rédemption d’un crime commis par d’autres. Car, lui, il l’assure, n’a jamais utilisé de farine animale, cause de la crise sanitaire. Visiblement, les gens du coin le croient car il s’en sort .

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Mais il aura fallu – pour lui, comme pour beaucoup d’autres – cette terrible crise pour pour saisir l’importance du bio et du circuit-court. Et en saisir l’opportunité. Lentement, mais sûrement, ce modèle s’impose comme la seule alternative crédible et rentable pour ces professionnels de l’alimentation. En 2017, les volumes de viande biologique abattue ont atteint 35 572 tonnes en France, c’est 10 % de plus que l’année précédente.

Victime de son succès

Les nombreuses conversions d’éleveurs conventionnels vers le bio ces dernières années, attirés par des prix plus compétitifs, ont mis de nombreux animaux supplémentaires sur le marché. De 543 éleveurs en 2000, ils sont passés à 3 283 en 2017, rien que pour la viande bovine. Manne ou problème ? Un peu des deux. La demande augmente encore, mais l’offre est elle aussi de plus en plus importante et finit par la surpasser. « Cette année les prix se sont maintenus, affirme Éric, mais comme il y a de plus en plus d’offres, ils risquent de baisser l’année prochaine. »

L’avantage des éleveurs bio comparé aux éleveurs conventionnels se révèle fragile à mesure que leurs produits se démocratisent. Cette alternative à la crise du secteur bovin semble être victime de son succès. D’autant que le gouvernement a fixé l’objectif, en juin dernier, d’atteindre 15 % de surfaces bio en 2022 (tout type de culture et d’élevage confondus), contre environ 6,5 % actuellement.

Face à ces difficultés grandissantes, Éric Devant s’est tourné vers le circuit-court et la production à la commande. « Comme je ne suis pas intensif et que je produis peu de kilos de viande à l’hectare, il fallait que je valorise mieux mes animaux », explique l’éleveur. Pour ce faire, il a choisi de privilégier le contact avec le client grâce à la vente directe, qu’il organise dans sa ferme.

Éric commerce également avec des coopératives bio et des bouchers tourangeaux, avec qui il entretient une relation de confiance : « Je leur fais toujours le même prix. Que la vache soit petite ou grosse, c’est toujours 6 euros le kilo en dû », tandis que les grandes surfaces le lui prennent moitié moins cher. C’est aussi pour cette raison qu’Éric a décidé de se débarraser des intermédiaires : il n’est « pas très copain avec les grandes surfaces ».