Promis ! demain, j’m’y mets
En matière d’éducation aux médias, les pouvoirs publics, conscients de l’urgence, ne semblent pas prêts à déployer les moyens humains et budgétaires nécessaires. Si les initiatives se multiplient, elles ne suffisent pas à répondre à la demande mais permettent à l’État de se défausser.
L’EMI ça me fait peur. C’est un gros monstre. J’aurais besoin d’un vrai référentiel. Mais c’est flou, on ne sait pas par quel bout l’approcher. Alors, à deux, dans un lycée de 1 200 élèves, on fait comment ? » Patricia Deysse, professeure documentaliste au lycée Rabelais de Chinon (Indre-et-Loire) ne cache pas son désarroi.
Ce dernier, lors de son discours aux Assises du journalisme de Tours, en mars 2019, déclare que sa « troisième priorité est de développer l’éducation aux médias et à l’information (…) et de donner au citoyen les moyens de se réapproprier l’information, la liberté de se forger sa propre opinion ». Il défend la place des médias dans la société menacés dans un contexte de défiance sans précédent et se prononce régulièrement sur l’urgence de l’EMI au sein de l’école.
Pourtant, le gouvernement ne statue toujours pas sur l’EMI. On ne sait pas si c’est une discipline à part entière ou une discipline transversale. De fait, rien n’est véritablement défini permettant ainsi au problème et ses solutions de se dissoudre. Divina Frau-Meigs, professeure à l’université de Sorbonne Nouvelle, sociologue des médias, connaît bien la problématique puisqu’elle a été directrice du Clemi de mars 2014 à novembre 2015. « J’en ai pris la direction pour le faire monter au numérique en prenant en compte la data. On ne m’a pas donné le budget pour le faire. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai démissioné », regrette-t-telle. Surtout, elle s’insurge contre les politiques à qui elle reproche le manque de courage.
D’évidence, malgré les nombreuses actions mises en place par cet opérateur, les moyens déployés ne sont pas suffisants. L’EMI peine à trouver sa juste place. L’éducation aux médias repose aujourd’hui essentiellement sur des projets bénévoles et individuels. Rose-Marie Farinella est la figure de proue de ce mouvement volontaire de professionnels et de pédagogues. Enseignante à Taninges (Haute-Savoie), elle a été plusieurs fois primée (5 prix nationaux, européens et internationaux) pour des réalisations en EMI qu’elle a menées de 2014 à 2018, au sein de son école élémentaire, à sa seule initiative.
Cette ancienne journaliste s’est reconvertie, il y a près de vingt-cinq ans. Elle regrette « qu’on n’ait pas donné suffisamment d’importance à l’EMI. On pourrait faire un effort beaucoup plus important. Cela devrait être inscrit dans le référentiel des instituts de formations des maîtres depuis longtemps ». Un fossé s’est creusé entre les enseignants sensibles à la question de l’éducation aux médias et ceux qui ne comprennent pas son importance.
Rattraper des décennies d’errance sur le sujet semble un défi bien difficile à surmonter. La réforme du lycée prévoit l’enseignement obligatoire des sciences numériques et de la technologie (SNT) qui permet d’aborder l’EMI. Mais les enseignants ne sont pas prêts à sa mise en place.
Giovanni Siarras, élu au conseil académique de vie lycéenne dans son établissement Charles-Péguy à Orléans (Loiret), déplore de n’avoir pas reçu d’éducation aux médias : « Les initiatives ne font pas tout. Il faut aussi qu’à l’échelle nationale on nous donne des moyens, des directives. » Cet élève de terminale milite pour pouvoir se rendre dans les lycées et les collèges de son académie et sensibiliser ses camarades à l’engagement. Fort de son expérience, il fait partie de l’association Avenir lycéen, créée à la suite du mouvement des étudiants de décembre 2018.
Ces jeunes ont conscience également de l’importance d’acquérir un esprit critique au sein de leur scolarité pour devenir des citoyens responsables. Alexia Desdevises, lycéenne en première à Bordeaux, constate quotidiennement les disparités entre les établissements et les enseignants eux-mêmes. Au collège, elle a eu la chance d’être initiée à l’éducation aux médias, en quatrième, notamment grâce à sa professeure de français. Ce fut le moteur de son engagement.
Elle fait partie du bureau de l’association et dédie ses actions à l’EMI car elle constate « le manque de cette éducation dans toutes les disciplines » et souhaite que l’EMI soit définitivement ancrée dans l’école, dès l’élémentaire. Selon les résultats de l’enquête réalisée en 2018 par le Conseil national d’évaluation du système scolaire (CNESCO), « seuls 52 % des élèves de troisième déclarent que le sujet des médias a été abordé en cours d’enseignement moral et civique (EMC) durant leurs années collèges ». Par ailleurs, cette enquête fait aussi mention des inégalités sociales, puisque la défiance à l’égard des médias augmente dans les milieux défavorisés.
Pourtant l’urgence est là. Les attentats de 2015 et la déferlante de fake news sur les réseaux sociaux qui a suivi sont symptomatiques d’une société fragilisée et d’un équilibre démocratique menacé. Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche lors de ces événements, avait annoncé que le ministère renforcerait les moyens pour qu’en 2015 chaque collège et chaque lycée crée son propre média (journal, radio, plateforme collaborative).
L’objectif n’est pas atteint et les moyens toujours insuffisants. D’un gouvernement à l’autre, les discours ne changent pas. Donner une priorité à l’EMI est indiscutable. Sauf que le débat est toujours de l’identifier, de la qualifier. Les pédagogues et les professionnels de l’éducation s’accordent à dire qu’il ne faut pas en faire une discipline à part entière au risque de voir de nouveaux clivages émerger. Mieux vaut plutôt garder sa dimension transdisciplinaire. De fait, les besoins sont d’autant plus difficiles à quantifier.
Cela ne se fera pas sans l’EMI. Les mesures annoncées par le gouvernement doivent être concrètement appliquées. L’enjeu est d’autant plus important dans un contexte électoral. La loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information, votée le 28 décembre 2018, devrait protéger les Français des dérives. Même si les fact-checkeurs, professionnels de la vérification de l’information, veillent au grain.