Photojournalisme

Pierre Morel, l’engagé

Manifestation altermondialiste contre le G8 en Allemagne (2007). Pierre Morel n’avait que 19 ans quand il a réalisé ce reportage. Photo : Pierre Morel

Pierre Morel est photojournaliste freelance. À 28 ans, il vend ses clichés à de grands titres de presse comme Paris Match ou Libération. Engagé et optimiste, il a publié le 12 avril un article dans lequel il donne sa vision de la profession.

Par Anna Lefour

Je suis une petite souris. Quand je suis en reportage, j’ai l’art de me faire oublier », explique Pierre Morel en souriant. Et de raconter une de ses petites victoires : il a photographié Barack Obama lors de la COP21. Il avait toujours voulu l’avoir dans son viseur. « Je n’étais pas accrédité pour entrer dans l’espace où se trouvait le président des États-Unis. Je me suis dis­crètement mêlé à une délégation mexicaine qui entrait. Les vigiles n’ont pas contrôlé mon badge et, une fois dans la salle, je me suis fait tout petit. »

Pierre Morel dans son bureau du 20e arrondissement de Paris. Il partage les locaux avec un collectif de journalistes freelances, mais pas de photojournalistes. Photo : Anna Lefour/EPJT

Yeux marron, che­veux châtains, de taille moyenne et habillé sans ostentation, Pierre Morel a la physionomie de celui qui ne veut pas se faire remarquer. Un plus lorsqu’on est photographe. Pourtant, quelques recherches sur le photojournalisme actuel et il vous sera impossible de ne pas tomber sur son nom.

Car, malgré son apparente discré­tion, Pierre Morel n’est pas avare de paroles lorsqu’il s’agit de défendre sa profession. Le 12 avril dernier il publiait sur le site Medium un article intitulé « Devenir photojournaliste » et dans lequel il espérait que « les aspirants à cette profession trouve­ront des clés pour devenir photo­journaliste et vivre décemment de ce métier ». Il partageait tous les éléments de la réussite

d’après son expérience. Une initiative qui n’étonne pas son amie Elodie Sueur, également photographe, qu’il a aidée à prépa­rer les concours de l’EMI : « C’est quelqu’un de très ouvert sur les autres, il est beaucoup dans la transmission, décrit-elle. Pour son âge il a une grande conscience de la situation dans le métier et il veut faire bouger les choses. »

Le jeune photographe est freelance depuis 2008. S’il fait de la photo pour des entre­prises, des ONG et parfois pour des particuliers, il est avant tout pho­tojournaliste. On peut notamment voir ses clichés dans Paris Match, La Croix ou encore Grazia. Il vit de sa profession depuis environ quatre ans. Ses revenus varient de 1 500 à 2 500 euros par mois. De quoi tordre le cou aux discours pessimistes sur le photojournalisme actuel, qui ne l’ont cependant pas empêché de se lancer dans ce qu’il appelle un « métier passion ».

En 2012, Pierre Morel est en Serbie. Il immortalise Boris Tadic alors qu’il insère son bulletin dans l’urne dans un bureau de vote du centre-ville de Belgrade. Photo : Pierre Morel

Car la photographie, c’est avant tout sa passion. En 2007, il rate sa pre­mière année de licence de Science de la vie et de la terre à Grenoble parce qu’il passe le plus clair de son temps à photographier. Il décide alors de parti­ciper à la bourse Tremplin Photo. Aujourd’hui disparue, elle permettait au lauréat de suivre la formation de photojournalisme à l’EMI-CFD (Ecole des métiers de l’information), de bénéficier de 15 000 euros de maté­riel photo professionnel et d’exposer à la Maison des photographes, entre autres.

Pierre Morel remporte le prix avec un sujet sur le G8 de 2007 à Rostock : « Grâce à cela, je suis entré dans le milieu par la grande porte », reconnaît-il. A 20 ans seulement, le voilà photographe de presse. Il accepte tout genre de contrats et exerce sans que les revenus ne soient sa priorité. Il y a quatre ans, de retour en France après avoir vécu en Serbie, il fait le tour des rédactions. « Je suis allé voir plein de journaux et j’ai élargi mon cercle de connaissance petit à petit », explique-t-il.

Premier G8 à 15 ans

L’envie de devenir photojourna­liste lui est venue naturellement. Sa mère, Marie Morel, est peintre. Il grandit donc dans un atelier et veut, lui aussi, trouver un moyen de s’exprimer. Son père, Jean-Ma­rie Vaulot, achète régulièrement Le Monde que Pierre adore lire. A seulement 10 ans, il crée lui-même un petit journal qu’il vend aux membres de sa famille et aux habitants de son village. « Il a été engagé politiquement très tôt, se souvient son père. Petit, il faisait partie d’une sorte de syndicat, la Souris Verte. Et en 2003, nous l’avons emmené à son premier G8 à Evian. » Près de quinze ans après, Pierre Morel n’a rien perdu de sa fibre militante. Il l’exprime maintenant à travers la photogra­phie. Il écrit d’ailleurs sur son site internet : « Je considère la photogra­phie comme un moyen d’engage­ment et d’activisme

« Je photographie depuis 2005 ma mère, Marie Morel, artiste peintre. Je photographie épisodiquement, au fil des retrouvailles et des moments partagés. (…) Ce travail personnel est toujours en cours. Il devrait faire l’objet d’un livre. » Photo : Pierre Morel

Tantôt cité dans un article, tantôt auteur, il va contre les discours pes­simistes et les éternels « c’était mieux avant » et autres « la photo de presse est morte ». Pour lui, le photojournalisme n’est pas destiné à disparaître. Le monde évolue, une nouvelle génération arrive et le modèle actuel ne fonc­tionne plus : « On entend toujours plus ceux qui se plaignent que ceux pour qui tout va bien, alors que beaucoup d’entre nous s’en sortent et trouvent des solutions. Eux aussi devraient parler et s’engager plus pour tirer la profession vers le haut, s’agace-t-il avant d’ajouter. Je fais du corporate mais j’ai tout de même ma carte de presse. On peut donc trouver un équilibre. »

Pour lui, il est possible de percer à condition de faire la différence. Il faut savoir trouver des sujets origi­naux, inédits : « Le marché est satu­ré. Quand les rédactions reçoivent toujours les mêmes travaux, sur les migrants par exemple, avec toujours le même angle, c’est normal que ça ne fonctionne pas », déplore-t-il.

« Pour moi, la règle d’or est d’être curieux du monde et avoir de l’intérêt pour les autres »

Il n’aime pas l’image romantique de la profession, souvent source de désillusion pour les plus jeunes. « Un photojournaliste n’est pas un baroudeur sans attaches, avec une barbe de trois jours, qui part pho­tographier le monde avec un sac à dos et un appareil autour du cou. On fait beaucoup de choses plus terre à terre. » Son quotidien à lui est en effet bien loin de cette réputa­tion. Il partage son temps entre son bu­reau du 20e arrondissement de Paris, ses reportages et son domicile. Il s’est formé sur le tas au statut d’indépendant, en lisant des articles et des livres sur le sujet.

A présent, c’est lui qui partage son expérience : « Pour moi, la règle d’or est d’être curieux du monde et avoir de l’intérêt pour les autres. De là vient tout le reste. »

Aujourd’hui, Pierre Morel a d’autres projets, notamment l’écri­ture : « C’est rare de photographier et écrire très bien à la fois, mais c’est une compétence qu’il a tou­jours su manier », rappelle son père. Discrètement mais sûrement, la « petite souris » fait son trou.