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La chercheuse Adina D. Feinstein et son équipe de 22 000 joueurs et 26 chercheurs ont découvert une nouvelle planète. Photo PIA23004_NASA’s Goddard Space Flight Center_Francis Reddy

Les gamers en réseau constituent une force de frappe scientifique incomparable. Leur aisance avec la technologie et leur capacité d’observation sont des compétences précieuses pour la science. un petit jeu pour eux, un grand pas pour l’humanité.

Par Mathilde Bienvenu et Anne-Laure Thadée

Cet article a été publié dans Innova n° 28, Le Jeu dans la peau en juin 2019

L​es internautes ont trouvé une nouvelle planète. ­Encore faudra-t-il y aller. Elle se situe dans la zone habitable autour d’une étoile de la constellation du Taureau, à environ 226 années lumière de la Terre. En février 2019, la chercheuse Adina D. Feinstein annonçait officiellement sa découverte dans la revue académique Astronomical Journal. Son équipe, composée de 26 chercheurs et d’environ 22 000 joueurs, travaillait sur Exoplanet Hunters, une plateforme ­ludique de science participative.

En une semaine, les chasseurs de planètes ont analysé plus d’un million de graphiques. Ils y cherchaient des anomalies dans la luminosité des étoiles, indices du passage d’une planète entre les astres et le télescope. Ce jeu de sciences a déjà permis de détecter plus de 100 exoplanètes. Celles-ci se situent en dehors du système solaire.

Aujourd’hui, la communauté scientifique n’hésite plus à solliciter les joueurs via le crowdsourcing. Ce travail collaboratif fait appel à l’intelligence et aux savoir-faire d’un grand nombre de personnes pour mener à bien des projets de recherche. Astronomie, sciences humaines, littérature, biologie, tous les ­domaines scientifiques se saisissent de ce nouvel outil. Les gamers, sans formation scientifique particulière, apparaissent parfois plus efficaces que les méthodes traditionnelles de traitement des données.

Tout commence en 2005. Une épidémie se déclare dans le jeu de rôle multijoueurs en ligne World of Warcraft (WoW). Ce jeu est à l’époque un phénomène mondial. Environ 5 millions d’utilisateurs y vivent une autre vie parmi les elfes et les morts-­vivants. Dans un donjon, un mal appelé « sang corrompu » entraîne la mort rapide du joueur si ­aucun allié ne vient le soigner.

Le jeu pour observer les épidémies

Cette maladie aurait dû rester dans la zone de combat. Mais suite à un problème technique, Blizzard, l’éditeur de WoW, perd le contrôle de l’épidémie qui se répand partout. Certains joueurs se rendent dans les zones contaminées pour observer ou aider les victimes. D’autres s’amusent à diffuser la maladie dans les grandes villes, ce qui cause la mort de milliers de personnages.

Suite à cet incident, la chercheuse en épidémiologie Nina H. Fefferman publie un article dans la revue Lancet Infectious Disease. Elle démontre pour la première fois l’opportunité que sont les jeux vidéo pour observer les mécanismes épidémiques. En effet, le facteur humain est difficile à prendre en compte dans les simulations mathématiques.

Blizzard n’a cependant pas souhaité collaborer avec la communauté des chercheurs, estimant que ce n’était pas son rôle. Ces derniers ont donc décidé de s’adresser directement aux gamers : ils leur ont demandé de contribuer à la recherche sur des plateformes de traitement ludique des données, en mettant toutes leurs compétences individuelles au service de la science.

Penguin Watch est un jeu de science participatif qui contribue à la préservation des pingouins. Le joueur doit compter les oiseaux pour surveiller l’évolution de l’espèce. Photo EPJT

Les yeux humains sont spécialisés dans la détection des formes et des silhouettes. Une question de survie pour nos ancêtres qui devaient détecter rapidement les prédateurs. Une capacité d’observation, issue de notre évolution, que de nombreux jeux de sciences utilisent.

Après un rapide tutoriel, lors duquel les chercheurs expliquent au joueur le contexte de l’étude, le jeu peut commencer. Penguin Watch, un projet de science participative très populaire, a pour but de suivre l’évolution des populations de pingouins dans un but de préservation de l’espèce. Il est proposé aux joueurs de compter les oiseaux sur la banquise à partir de photographies prises par des ­caméras fixes. Un curseur en forme d’objectif photo permet d’identifier un par un les animaux : les adultes, les poussins et les œufs.

Le traitement d’image n’est pas encore automatisé et les gamers rendent de grands services à la ­recherche. Leurs ­capacités d’observation sont parfois combinées à leurs capacités de déduction.

Dans EyeWire, l’observation flirte avec la résolution de puzzles en 3D. Pour aider les chercheurs à mieux comprendre les interactions entre le cerveau et les yeux, le joueur observe des tissus cellulaires. Il ­déduit où passe le neurone et colorie les cellules associées pour reconstituer sa forme 3D. Les participants sont des habitués, ils peuvent passer des heures à tracer des neurones tout en dialoguant avec les membres de la communauté. SpookyGrowly* est en dernière année de lycée. Il se destine à la biochimie médicale. Cet amateur de jeux vidéo a rejoint la communauté il y a deux ans après avoir vu la conférence TED de la directrice d’Eyewire.

Bénévoles en astronomie

Mais les jeux de sciences n’attirent pas que les jeunes. DragonTurtle*, technicien aéronautique à la retraite, et Susy*, ancienne biologiste, participent pour rester connectés avec le milieu de la recherche. « Je veux que les scientifiques de demain soient ­capables d’imprimer des cellules souches », témoigne également l’artiste Faunheart. « Cela permettrait de soigner les aveugles », précise-t-il. Preuve que certains s’approprient tellement le sujet qu’ils envisagent des débouchés au long terme.

Avec Galaxy Zoo 1, ses centaines de milliers de volontaires ont classé selon leur forme, 900 000 galaxies photographiées dans le cadre du sondage céleste Sloan Digital Sky Survey. La version Galaxy Zoo 2 demande aux participants une étude plus détaillée sur un échantillon de 250 000 galaxies photographiées par le télescope spatial Hubble. Photo Galaxy Zoo

Autre atout des joueurs, leur puissance de calcul. Chris Lintott leur en est d’ailleurs ­reconnaissant. En 2007, alors doctorant en astronomie, il doit, pour sa thèse, observer et classer plus d’un million de ­galaxies. Il en fera 5 % avant de demander l’aide de ses amis gamers, puis de la commu­nauté internationale grâce au jeu ­Galaxy Zoo. Il s’agissait d’observer les images des galaxies et d’en déduire leur forme : spirale ou ­ellipse. « Le premier jour, à ma grande surprise, l’ensemble des participants a étudié plus de 70 p000 galaxies par heure. » Les contributions des internautes sont recoupées entre elles et, grâce au grand nombre d’entrées, on peut dégager la réponse la plus probable.

Sur la plateforme Zooniverse, les joueurs peuvent contribuer aux recherches dans différents domaines scientifiques.

En dix ans, près de 2 millions de galaxies ont été observées par plus de 23 000 volontaires. Ce succès lui donnera l’idée de créer une plateforme pour regrouper les jeux de science : Zooniverse. Chaque jour quelque 25 000 « scientifiques citoyens », produisent sur Zooniverse l’équivalent de 625 journées de travail d’un chercheur. Le tout en ne passant que quinze minutes en moyenne par personne sur le site.

Zooniverse permet de mettre en avant gratuitement tout projet de sciences participatives. Après avoir été testés par des bénévoles, les jeux sont soumis à la communauté des ­gamers. La plateforme héberge 89 projets qui couvrent un large champ de recherches.

Les scientifiques font parfois appel directement aux talents des joueurs, comme le dessin. Pour monter le projet The Hieroglyphics Initiative, Ubisoft (créateur de la ­série de jeux Assassin’s Creed) s’est associé au laboratoire de recherche du Google Cloud. L’objectif était de mettre au point un outil de traduction instantanée des caractères égyptiens avec autant de facilité que l’on peut traduire l’anglais ou le français.

Cela aurait permis aux touristes de prendre en photo un texte du temple de Louxor et d’en avoir la traduction instantanée sur leur Smartphone. Mais pour cela, il fallait pouvoir distinguer les caractères les uns des autres. Or ceux-ci sont des dessins d’oiseaux ou d’animaux et les intelligences artificielles peinent à les reconnaître.

D’où la nécessité de nourrir une base de données avec des dessins d’internautes. Les joueurs étaient donc invités à ­venir tracer les contours des hiéroglyphes sur une plateforme ­dédiée. En une soirée, près de 80 000 symboles ont été dessinés. Néanmoins, l’outil de traduction n’est toujours pas disponible aujourd’hui.

Pour le projet The Hieroglyphics Initiative, les gamers ont répertorié et dessiné des hiéroglyphes afin de créer un outil de traduction.

« La science est quelque chose à laquelle tout le monde peut participer », soutient Chris Lintott, docteur en astrophysique et professeur à Oxford. Les chercheurs courent après les gamers pour toutes leurs compétences et aussi pour leur bonne v­olonté.

Ces milliers de personnes, grâce aux sciences participatives ludiques, peuvent donner quotidiennement et gratuitement de leur temps à la recherche et ainsi faire progresser la science. Aujourd’hui, l’exploration de notre monde ne passe plus par la découverte de l’univers, l’exploration c’est repousser les limites du savoir. ◊

(*) Pseudonymes des joueurs.

Mathilde Bienvenue

@matbienvenu
Ancienne étudiante de l’Année spéciale, promo 2018-2019
Pigiste tout terrain : presse magazine, presse quotidienne nationale, agence de presse, presse pro et presse locale.
Sa préférence : la radio qui la passionne et qu’elle a longtemps pratiqué en Australie

Anne-Laure Thadée

Ancienne étudiante de l’Année spéciale, promo 2018-2019
Docteur en sciences exactes et leurs applications (chimie)
Passée par Science et Vie et Le Berry Républicain. Pigiste en quête de sujets scientifiques
Passionnée par l’actu des sciences et les datas.