« Ma famille, c’est ma femme et mon fils »

Lucie à gauche, Caroline à droite et Sohan au centre de leurs attentions

Lucie et Caroline sont en couple depuis une dizaine d’années. Mères de Sohann, 4 ans, elles vivent à Langeais, loin des polémiques.

Par Robin JAFFLIN et Salomé RAOULT (texte et photos)

Un bel après-midi de printemps. Un ciel nuageux qui laisse entrevoir les rayons du soleil. La Loire qui s’étend, majestueuse. Nous sommes à Langeais et c’est ici que vivent Caroline, Lucie et leur fils Sohan. Caroline, 40 ans, cheveux courts et piercing à l’arcade, accueille avec un grand sourire. Dans le salon, trainent des jouets. La grande baie vitrée donne sur le jardin. L’ambiance est chaleureuse.

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De retour de l'école, comme tous les gamins, Sohann se rue sur le goûter. Après l’effort, le réconfort.

Robin Jafflin /EPJT

Caroline et sa femme, Lucie, 37 ans, se sont rencontrées en 2007. Le 1er  janvier 2008, un premier baiser en sortant du travail officialise leur relation. Toutes les deux ont auparavant vécu avec des hommes. Lucie confie avoir eu une révélation en rencontrant Caroline, « J’ai compris tout de suite que je n’aimerai plus un homme. » Pour Caroline c’est différent. Adolescente, déjà, les filles l’attirent. Mais c’est quand elle se marie, avec un homme, qu’elle rencontre une femme et qu’elle comprend, à ce moment précis, qu’elle est homosexuelle.

 

Une vraie vie de famille

Toutes les deux sont auxiliaires de puériculture de nuit aux urgences pédiatriques de Tours. Ce soir-là, c’est Caroline qui travaille. Pour pallier les répercussions que leurs horaires peuvent avoir sur leur vie de famille, les deux femmes alternent une nuit sur deux. L’une et l’autre sont ainsi présentes pour Sohann, leur fils.

Il est 16 h 30, l’heure d’aller le chercher à l’école. Aujourd’hui, puisque Caroline va travailler, c’est Lucie qui s’en occupe. Sohann est en moyenne section de maternelle. Sur le trajet, Lucie confie être « moins sociable » que sa femme, « Quand c’est Caroline qui va chercher notre fils, elle fait la bise, rigole avec tout le monde… Moi ce n’est pas dans mon tempérament », dit-elle en riant. Sohann sort de sa classe et après un câlin à « Mamou », comme il l’appelle, il passe tout le chemin, jusqu’à la voiture, à jouer, à rigoler avec ses camarades.

À la maison, c’est l’heure du goûter. Après quelques gâteaux et un bol de chocolat chaud, l’enfant raconte sa journée. Aujourd’hui, Sohann mangeait à la cantine. « Pas les déjeuners qu’il préfère », glisse Caroline. Puis le garçonnet se précipite dans le jardin pour jouer avec Lali, la petite voisine. « N’oublie pas de bien fermer la porte », lui lance Caroline.

Sur un coin de table, des petits post-it. Comme tous les enfants, Sohann a des expressions étonnantes. Il parle notamment de « lobinome de vacances » ou encore de « trofulseur pour avion ». Et comme toutes les mamans, Caroline et Lucie ont décidé de les noter sur des petits papiers qu’elles gardent précieusement. Elles comptent bien en faire un recueil.

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Les mamans écrivent sur des petits papiers les mots d'enfant de Sohann.

Robin Jafflin /EPJT

 Celle que le petit garçon appelle « Maman », c’est Caroline. Elle l’a porté, pour une raison très simple : « Je suis la plus âgée. Comme nous souhaitions avoir deux enfants, à l’image de la petite famille que l’on voit partout, nous avons décidé que je porterai le premier et Lucie le deuxième. » Mais le couple a changé d’avis, il n’aura qu’un enfant. Lucie est donc surnommée « Mamou ». Mais de l’aveu du couple, « ce ne sont que des mots pour nous discerner, il n’y aucune différence sinon ».

« Nous sommes lesbiennes, pas stériles »

Avoir un enfant était pour elles un rêve, la concrétisation de leur amour. Pour un couple homosexuel, même si c’est plus facile pour un couple lesbien que pour un couple gay, rien n’est simple. Aller en Espagne ? En Belgique ? Demander à un ami ? Les deux femmes ont retenu la troisième solution. Un proche, dont elle n’ont pas souhaité donner le nom, a décidé de leur faire « ce très beau cadeau ».

Autrement dit, cet homme, « sans antécédents de santé » exigeaient-elles, a fait don de son sperme et l’insémination a eu lieu au domicile de Caroline et Lucie. Lui ne se revendique pas comme le père mais comme un simple géniteur. Il n’entretient aucun lien intime avec Sohann mais répondra à ses interrogations s’il en a un jour.

« Quand j’ai présenté Caroline à mes parents, ma mère a tout de suite réagi en me disant que nous n’aurions jamais d’enfant. Nous sommes lesbiennes, pas stériles ! » s’indigne Lucie. L’annonce de la grossesse, en tout cas, a été très bien accueillie par les deux familles.

Le couple s’assume totalement, « Nous ne nous sommes jamais cachées. » Pour elles, une famille type n’existe pas. « Qu’elle soit hétéro ou homo, une famille a toujours des particularités. Le principal, c’est que les deux parents s’aiment, quel que soit leur sexe. » Les possibilités d’élever un enfant sont multiples, il n’y a pas qu’un seul et unique modèle. C’est d’ailleurs sur ce principe que Lucie et Caroline éduquent leur fils. « Ma famille, c’est ma femme et mon fils », ajoute Lucie.

« Nous l’avons fait pour lui, pour le protéger »

Toutefois, être parent quand on est homosexuel peut s’avérer compliqué administrativement. Pacsé en 2009, le couple ne voulait pas spécialement se marier. Mais avec l’arrivée de Sohann en 2014, le couple a décidé de sauter le pas afin qu’il ait officiellement deux parents devant la loi. « Nous l’avons fait pour lui, pour le protéger, on ne sait jamais ce qui peut nous arriver », explique Caroline.

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Sohann, au destin suspendu à une décision de justice.

Robin Jafflin/EPJT

Le 1er avril 2017, elles se sont dit « oui », lors d’une cérémonie familiale, en toute simplicité. Pourtant, sur le livret de famille, le nom de Lucie n’apparaît pas encore. Elle n’a aucun droit sur Sohann, elle n’est pas considérée comme son parent.

Quelques mois après leur mariage, avec l’aide d’un avocat, le couple a entamé les démarches et a constitué un dossier pour prouver que Lucie est  « une bonne mère » afin qu’elle puisse adopter Sohann. Cette procédure est longue. Et les frais d’avocat et de notaire qui peuvent d’ajouter sont coûteux, environ de 1 500 euros. Tant que la réponse n’est pas tombée (encore quelques mois), la famille craint l’accident qui peut faire exploser la famille et remettrait en cause l’avenir de Sohann.

Sohann débarque soudain dans le salon. « Mamou, quand tu seras ma vraie maman, je te ferai un gros câlin. » Lucie le regarde alors dans les yeux : « Tu es déjà mon fils Sohann. » Songeur, l’enfant retourne lentement vers la balançoire.

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