La réinsertion en sursis
De nombreux détenus travaillent en détention. Leur motivation ? Faire passer le temps, gagner de l’argent pour améliorer leurs conditions de vie, avoir un petit pécule pour la sortie, rembourser les parties civiles et obtenir des remises de peine. Le travail est avant tout un choix. Si cela paraît évident aujourd’hui, cela n’a pas toujours été le cas : jusqu’en 1987, il était obligatoire pour tous les détenus.
Parmi ceux qui travaillent, certains sont embauchés par des entreprises privées, via un système de concessions. Ce fut le cas de Mourad. Payé à la pièce, une pratique pourtant interdite depuis la loi pénitentiaire de 2009, il gagnait un revenu proportionnel à son rythme de production. « Je touchais entre 275 et 300 euros par mois en travaillant de 7 heures du matin à 11 heures. Dans l’atelier, on se disait que c’était de l’exploitation », se souvient-il. Si le salaire en fin de mois était maigre, cette activité lui permettait au moins de s’occuper.
Mais le travail à la pièce incite les détenus à en faire toujours plus. Cadences élevées et temps de repos peu respectés : le système pose question. Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté, s’oppose au paiement à la pièce mais a conscience que cela bénéficie à certains prisonniers : « Ceux-là préfèrent ce type de rémunération car ils toucheraient moins s’ils étaient mensualisés. »
« Mon but, c’était de sortir de ma cellule, de voir du monde, que ça bouge, sinon je serais devenu fou »
Christian
Au début de son incarcération, Christian gagnait environ 600 euros par mois en faisant des petits travaux de manutention. Motivé et productif, il est rapidement monté en grade. Quand il est passé contremaître, il gagnait entre 800 et 850 euros. A la fin de sa peine, il a réussi à devenir cariste. Il s’occupait du chargement des camions. Ce nouveau poste lui a permis de gagner quasiment 1 000 euros par mois. Une activité peu épanouissante mais qui lui a permis de s’occuper. « Mon but, c’était de sortir de ma cellule, de voir du monde, que ça bouge, sinon je serais devenu fou. Je faisais ça surtout pour moi plutôt que pour l’argent. » Malgré les sommes versées aux parties civiles, il a réussi à mettre un peu d’argent de côté, sans oublier de s’octroyer quelques plaisirs en détention. « Je vivais assez bien, je fumais des blondes plutôt que des roulées. » Après sept ans de travail, Christian est sorti de détention avec 4 000 euros d’économies.
Si on en croit un article d’Alternatives Economiques daté de 2010, de grands noms figurent parmi les entreprises qui font travailler des détenus et qui profitent de ce système : Renault, Yves Rocher, L’Oréal, Agnès B ou encore Post It. Elles préfèrent en général rester discrète car la plupart précisent dans leur charte qu’elles n’emploient pas de détenus. C’est qu’elles ont trouvé une astuce comme l’explique Marie Crétenot, juriste à l’Observatoire international des prisons (OIP) : elles font appel à des sous-traitants ou des sociétés écrans qui emploient les détenus. Juridiquement, ce ne sont donc pas elles qui les emploient.
Certains prisonniers travaillent à temps plein. Pour d’autres, l’activité n’est pas régulière. Chaque matin, ils doivent se tenir prêts sans avoir aucune garantie de pouvoir travailler. « Au final, ils ne bossent que quelques heures dans la semaine ou dans le mois et peuvent se retrouver avec un revenu très faible de 50 euros », dénonce Marie Crétenot. Difficile alors de se réinsérer.
Si le système est décrié par les associations, la direction de l’administration pénitentiaire, elle, vante les mérites de ce travail qui offrirait un « gain financier » aux entreprises grâce à « un mode de rémunération basé sur la production réelle et des charges patronales moindres ». « Souplesse et réactivité » de la main d’œuvre sont promises aux entreprises. Et ce n’est pas tout : l’administration pénitentiaire « fournit gratuitement les locaux industriels adaptés à l’activité, assure la surveillance et garantit la sécurité, adapte l’organisation, l’environnement et le temps de travail aux besoins de l’entreprise ». Sous couvert de réinsérer les détenus, l’administration pénitentiaire et les entreprises privées n’hésitent pas à les exploiter.
Mais tous ne travaillent pas pour des entreprises privées. Certains, comme Christian, sont employés directement pour le service général de leur établissement de détention (travaux d’entretien et tâches pour assurer le fonctionnement courant de l’établissement : cuisine, plonge, travaux de peinture, de plomberie…). Autrement dit, ils font tourner l’établissement pénitentiaire. D’autres encore travaillent sous le contrôle direct de l’administration pénitentiaire dans des ateliers gérés par le service de l’emploi pénitentiaire (SEP).
« Ce travail m’a donné une identité, une fonction »
Laurent
En prison, les détenus payés mensuellement peuvent gagner de 20 % à 45 % du Smic horaire brut. Une rémunération que dénonce Adeline Hazan. Si pour elle, aucune entreprise ne veut payer un travailleur à hauteur du salaire minimum, il faudrait toutefois s’en rapprocher. Arrivé en juin 2012 à la maison d’arrêt d’Amiens, Laurent*, a passé quatre ans en prison. En 2013, il a été transféré à la maison d’arrêt de Val-de-Reuil, en Normandie, où il a très vite travaillé en tant qu’auxiliaire bibliothécaire. Un travail peu rémunéré, environ 220 euros par mois, soit 10 euros par jour.
Si ce travail était mal payé, il a tout de même permis à Laurent de reprendre un rythme et d’occuper ses journées. Il lui a surtout donné l’occasion de retrouver l’estime de soi et une utilité au sein de l’établissement. « Ce travail m’a donné une identité, une fonction. C’est hyper important. A chaque fois que j’allais quelque part, même ceux qui ne connaissaient pas mon nom me disaient : “Ah ! le bibliothécaire, il faut que je te vois.” », raconte-t-il. Devenu bien plus qu’un simple auxiliaire bibliothécaire, il rédigeait des courriers professionnels ou personnels pour les autres détenus et en conseillait certains sur le parcours en détention et sur l’après-prison. Occuper le temps, trouver son rôle et sa place dans la prison, des préoccupations quotidiennes pour ne pas sombrer.