« Les radios chrétiennes sont plus culturelles que véritablement religieuses »

Photo Laurence de Terline

Etienne Damome est maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Bordeaux-Montaigne. Membre du Groupe de recherches et d’études sur la radio (Grer), il est l’auteur de Radios et religions en Afrique subsaharienne. Catholique d’origine africaine, il analyse le positionnement des radios chrétiennes françaises.

Recueilli par Iris Chartreau

La Fédération française des radios chrétiennes compte 82 radios membres. Celles-ci sont amenées à être concurrentes. Qu’est-ce qui les différencient ?
Elles sont organisées en réseaux. Le réseau Cofrac et celui de RCF. Le premier s’articule surtout autour de Radio Notre Dame. Mais il s’élargit à des radios étrangères, vers ce que j’appelle la communauté monde. Au nom d’un partage de la même philosophie, il forme un réseau d’échange de programme et d’expertise. Sur 82 radios membres de cette communauté, on en trouve une dizaine en Afrique et au Liban. RCF veut davantage rester un réseau local qui s’implique au niveau de la proximité, avec des décrochages de l’antenne nationale. Ce n’est pas la même stratégie. De ce fait, ces deux réseaux sont plus partenaires que concurrentes.

Quelle différence faites-vous entre RCF et Radio Notre Dame ?

Je n’en fais pas. RCF, pour moi, est une radio pastorale. Elle n’a pas pour objectif d’évangéliser, c’est-à-dire d’aider au recrutement des fidèles. Il n’y a pas dans ces programmes de prêches destinés à des personnes qui ne sont pas chrétiennes. Elle a pour mission de gérer la communauté, d’entretenir la foi, de la faire vivre. Le réseau Cofrac c’est à peu près la même chose. La dimension internationale n’en fait pas une radio évangéliste. Ce sont souvent des radios à cheval entre un certain amateurisme et une volonté de professionnalisation.

Est-ce que c’est une caractéristique qui provient uniquement de leur modèle économique associatif ou est-ce aussi une conséquence de leur identité chrétienne ?

Les radios chrétiennes partagent les mêmes caractéristiques. Ce sont partout des radios associatives même si elles sont promues par des institutions ecclésiales. C’est pour cette raison qu’elles font appel au bénévolat de laïques mais également au sein du clergé. C’est au nom de ce bénévolat que s’est développé l’amateurisme. Selon les cas, le nombre de journalistes est limité à une ou deux personnes à qui l’on confie la tâche d’exercer des fonctions spécifiquement journalistiques. Notamment lorsque ces radios ambitionnent de proposer un journal d’actualités. Malgré tout, les dizaines de bénévoles qui interviennent ne sont pas assez formés parce qu’on exploitera chez eux d’autres qualités que celles du journaliste professionnel. En même temps, s’il n’y avait pas toute cette masse de travail bénévole, ces stations cesseraient de fonctionner.

« En Afrique, les radios font le tour du diocèse et font cotiser les chrétiens. Donc tout le monde sait que la radio de l’église existe. On n’hésite pas à passer faire un coucou ou à donner un peu de son temps pour l’entretien des bâtiments »

Comment expliquer que 31 % des catholiques, ceux qui pratiquent au moins une fois par mois, ne connaissent pas l’existence des radios chrétiennes ?

Cela s’explique par le fait que les radios chrétiennes sont plus culturelles que véritablement religieuses. Les auditeurs ne perçoivent pas une vraie différence en passant d’une
radio à une autre. Elles sont imprégnées par la laïcité française et diluent leur message. Les chrétiens ne pensent pas spontanément qu’il puisse exister un média catholique pouvant les informer. Et puis, les radios religieuses n’ont pas beaucoup de liens avec les paroisses, avec la communauté religieuse en tant que telle. On entend peu parler de RCF Bordeaux dans les paroisses bordelaises. Et pourtant, ces radios ont une fonction essentielle d’approfondissement de la foi. Le problème c’est qu’elles se préoccupent plus de leur audience que de leur auditoire. C’est-à-dire du nombre de personnes qui les écoutent plutôt que du public désigné.
Si ceux qui sont censés les écouter ne sont même pas au courant de leur existence, comment se justifient-elles ? En Afrique, les radios font le tour du diocèse lors des célébrations dominicales et font cotiser les chrétiens pour les soutenir. Donc tout le monde sait que la radio de l’église existe. On n’hésite pas à passer faire un coucou à la maison de la radio ou à donner un peu de son temps pour l’entretien des bâtiments. En France, elles sont trop coupées de leur cœur de cible.

« La cohérence suppose que le journaliste d’un média chrétien partage au minimum les valeurs de l’institution pour laquelle il travaille »

Faut-il être catholique pour travailler dans une radio chrétienne ?

Comme ce sont des médias comme les autres, on pourrait s’attendre à ce que les journalistes puissent y travailler comme ailleurs. Mais la logique de la communication religieuse veut qu’il faille être chrétien au minimum, sinon être schizophrène. Je vous donne un exemple. Lors de la campagne pour le référendum de la nouvelle constitution de 2010, au Kenya, l’église catholique était contre cette nouvelle constitution et les journalistes pour. A l’antenne, ils relayaient l’appel des évêques à voter contre, alors même qu’ils défendaient le contraire en privé. Cet exemple n’est pas d’ordre spirituel, mais il montre combien le journaliste d’un média religieux est un canal. L’émetteur est ailleurs, c’est Dieu ou l’institution qui dirige le média au sein duquel il exerce. Il doit donc être fidèle au message reçu. Pour être authentique, et le journaliste se doit de l’être, je pense qu’il faut être cohérent et cette cohérence suppose que le journaliste d’un média chrétien partage au minimum les valeurs de l’institution pour laquelle il travaille. Cette exigence est normale dans les radios pastorales censées accompagner les fidèles dans leur foi et leur pratique. Et plus encore dans les radios missionnaires qui affichent la volonté de recruter de nouveaux fidèles.