« Le seul nerf de la guerre, c’est la formation »

Par Elodie Cerqueira

Photos : Margot Deuley/EPJT – Infographie : Elodie Cerqueira/EPJT

Karen Prévost Sorbe, coordonnatrice académique (Orléans-Tours) du Clémi, œuvre chaque jour pour former le personnel scolaire à l’EMI. Un travail primordial mais si difficile à mettre en place.

Vous êtes coordinatrice depuis 2007. Vous constatez que la demande de formation est accrue. Estimez-vous avoir les moyens financiers et humains suffisants pour effectuer vos missions ?

Karen Prévost Sorbe anime régulièrement des conférences dédiées aux enseignants pour les sensibiliser à l’EMI.

Karen Prévost-Sorbe. Oui complètement. Au sein de mon académie, avoir d’autres coordinateurs n’aurait aucun intérêt. C’est un travail d’équipe, je ne suis pas seule, je m’appuie sur un réseau. Cela représente neuf personnes et c’est suffisant pour développer des actions. Au-delà de l’équipe, il y a des gens qui s’investissent au sein des établissements. En termes de moyens, je n’ai pas à me plaindre. Quand je propose un projet, on me donne les ressources nécessaires pour le réaliser. Je me sens soutenue.

Cette année, nous avons bénéficié de douze modules de formation. Cela représente soixante-douze heures. C’est énorme et ça coûte très cher. Il y a onze ans, quand j’ai débuté, on ne proposait que trois ou quatre modules de formation au niveau académique. L’année dernière, on a fait plus de quatre-vingt-dix actions en éducation aux médias et on a formé plus de deux mille personnes.

Le 8 juillet 2013, le gouvernement a mis en place une loi pour la refondation de l’école afin de réduire les inégalités et favoriser la réussite des élèves. Pour répondre à ces urgences, pensez-vous qu’une autre refonte totale de l’école serait une solution ?

K. P-S. Non, je n’ai pas cette vision et je peux difficilement l’avoir parce que je suis un produit de l’école républicaine. Je suis enseignante de formation. J’ai enseigné treize ans dans une zone d’éducation prioritaire et je continue mon parcours au sein de l’Education nationale avec des missions académiques. Je ne crois pas qu’il faille mettre un grand coup de pied dans le système. Il doit juste progressivement muter, évoluer et s’adapter aux changements et aux enjeux sociétaux.

Par exemple, je souhaiterais que, dans la maquette de formation des nouveaux professeurs, de l’élémentaire au secondaire, il y ait très concrètement des modules d’EMI. Parce que c’est dans la formation initiale des enseignants que réside le problème. Il serait réglé peu à peu dans le temps si c’était véritablement inscrit.

Le Clemi forme environ trois mille enseignants déjà en poste sur plus de 800 000. Ne craignez-vous pas qu’à ce rythme, dans vingt ans, le débat soit toujours le même ?

K. P-S. J’ai envie de voir le verre à moitié plein. J’ai toujours pu mener à bien ce que je voulais. On ne m’a jamais mis de bâtons dans les roues. Les missions s’inscrivent dans un temps long. Les choses continueront après moi et je n’apporte qu’une petite pierre à l’édifice. Je veux espérer que ce soit le cas partout en France.

L’idée est d’installer une dynamique sur l’académie d’Orléans-Tours et de maintenir les moyens car les équipes qui viendront après devront poursuivre. Je crois beaucoup à la pollinisation. Il se fait beaucoup plus de choses qu’on imagine mais comme nous ne disposons d’aucun moyen de les quantifier ou de les recenser, on est dans le flou le plus total.

Pensez-vous que l’EMI, à terme, se déploiera pleinement dans l’enseignement ?

K. P-S. Dans l’académie d’Orléans-Tours, je suis optimiste sur le développement de l’EMI. C’est pourquoi je souhaite former l’ensemble du personnel de l’Education nationale, pas uniquement les enseignants. Il faut pouvoir former des chefs d’établissement, des infirmières scolaires, des assistantes sociales, tous les publics qui interviennent auprès des élèves. En effet, quand ils sont sensibilisés et formés, ils sont en capacité d’afficher une politique sur l’EMI avec des idées et des projets qu’ils arrivent à développer dans le trimestre qui suit la formation.

Le seul nerf de la guerre, c’est la formation. Les actions locales individuelles ou la semaine de la presse et des médias dans l’école sont l’huile qui fait tourner le moteur. Ces actions doivent impérativement perdurer parce qu’elles suscitent des envies, de la curiosité.

Le phénomène des gilets jaunes est symptomatique du manque d’EMI dans notre système éducatif. L’école a-t-elle failli ?
K. P-S. Je crois que le problème de l’école est qu’elle se prend de plein fouet tous les maux de la société et on attend d’elle qu’elle les soigne. On attend beaucoup trop de l’école par rapport à ce qu’il est possible de faire.

Pourquoi ?

K. P-S. Parce que c’est le dernier rempart avant l’ensauvagement. C’est une des dernières institutions qui a des valeurs, des principes et qui essaie de les tenir, qui forme des citoyens. Mais, dans une société, il n’y a pas que l’école. Il y a la société civile et les familles qui ont un rôle à jouer. L’école ne peut pas réparer tous les maux de la société et elle ne doit pas être le seul espace où on fait de l’EMI, elle ne doit pas en être le seul acteur.

Je pense que les journalistes ont leur rôle à jouer de même que les entreprises de presse ou les associations. L’enjeu de l’EMI va au-delà de l’école vers d’autres lieux pour d’autres publics. Je pense également à la cellule familiale, aux parents qui les premiers doivent éduquer à l’information. C’est une éducation qui doit courir tout au long de la vie.