La remontada des ultras

Ça y est ! la Coupe du monde de football 2018 a commencé et la France vient de gagner son premier match contre l’Australie. Pour le plus grand bonheur des amoureux du ballon rond. L’occasion de revenir sur des histoires autour de ce sport.  Et notamment celle des supporters du PSG. Ils partent à la reconquête de leur territoire : la tribune. Bannis du Parc des Princes pendant six ans, les ultras ont signé leur retour l’année dernière. Mais à la moindre incartade, tout peut s’arrêter.

Par Alice Kachaner (texte et photos)

Mika regarde son téléphone pour connaître le score. Du haut de la tribune du Roazhon Park, à Rennes, où sont réunis les ultras parisiens, drapeaux, écharpes et voiles télescopiques obstruent la vue. Rien que du bleu et du rouge. Le PSG mène 2 buts à 1 face à Rennes.

Mika, la quarantaine, est vice-président du CUP (le Collectif ultra paris), l’association qui rassemble toutes les mouvances de supporters du PSG et qui a été autorisée, il y a tout juste un an, à retrouver ses quartiers au Parc des Princes, virage d’Auteuil. Alors qu’ils n’étaient qu’une centaine l’année dernière, le CUP rassemble aujourd’hui 2 800 membres, tous unis par leur passion pour le club parisien.

Mika a l’habitude d’aller au stade sans voir le match. Il le regardera en replay, plus tard, en rentrant chez lui. Ici, l’objectif, c’est de mettre l’ambiance et de soutenir son équipe, « partout et toujours » précise-t-il. Perchés sur des grillages, les chefs de chœur, qu’on appelle « capos », s’égosillent dans leur mégaphone. Amidou motive ses troupes : « On lâche rien les gars, c’est bien ! ». Ils chanteront sans interruption pendant quatre-vingt-dix minutes, sans compter les arrêts de jeu. « Chanter me donne des frissons, contre le Celtic à Glasgow, j’en avais les larmes aux yeux », se rappelle David, un supporter de longue date. Aujourd’hui, à 40 ans, il aimerait arrêter, prendre sa retraite de supporter, pour profiter davantage de sa famille, mais il n’y parvient pas. « Il dit ça toutes les semaines ! », confirme son fils, un brin ironique.

https://www.canva.com/design/DAC5hXGQ4vI/view
Ils sont nombreux, comme David, à faire des sacrifices pour sentir ce frisson inexplicable qui les prend aux tripes. Être ultra, prend du temps et de l’argent. Entre les matchs à domicile, ceux de l’équipe masculine, ceux de l’équipe féminine, les déplacements en France, à l’étranger et les permanences durant lesquelles on fabrique les banderoles, un supporter ultra dépense en moyenne 400 euros par mois.

«  Pour Paris, je perds la raison »

Dans le car qui mène les supporters à Rennes, Francky et Romain sirotent leur pack de bières en faisant des selfies. Originaires du Cateau-Cambrésis (Hauts-de-France), ils sont partis à 6h45 ce matin et ne seront de retour chez eux que le lendemain, à l’aube. Quelques sièges plus loin, une bande de potes se moque gentiment de Boris. Il a dû négocier avec son épouse pour partir à Madrid, le 14 février dernier. « Je ne peux pas tous les faire, sinon, quand je rentre, je trouve sur la table les papiers du divorce ! » plaisante-t-il, une gourde de whisky-coca à la main. Yannick aussi essaye de trouver un équilibre entre sa passion pour la tribune et sa vie personnelle. Il travaille en salle des marchés et préfère rester discret : « Les collègues ne comprennent pas pourquoi on fait des kilomètres pour chanter comme des débiles. »

Au fond de l’autocar, l’ambiance est moins aux confidences. Au rythme d’un tambour, on révise les classiques du répertoire : «  Pour Paris, je perds la raison », « Les Marseillais, c’est des PD et leurs ultras des enculés ». Ces chants font partie de l’histoire du club et du folklore. L’alcool et les pétards circulent. Un coin chicha a également été improvisé. On entrouvre les issues de secours pour laisser s’échapper les vapeurs de tabac parfumé à la menthe.
Ici, les supporters oublient leur quotidien, leurs problèmes et même les règles principales de sécurité. « Arrêtez de sauter les gars ! » tempête Laurent, chauffeur et co-gérant de la société d’autocars ATEV. Il accompagne les ultras parisiens depuis plus d’un an. Ses avertissements ne suffisent pas à calmer le jeu.

Quelques minutes plus tard, il s’arrêtera sur le bord de la route pour les forcer de s’asseoir. Son associé refuse d’assurer les déplacements de supporters. Laurent, lui, aime le foot. Alors il se montre compréhensif même s’il préférerait que les gars n’enfument pas son véhicule.

« Siamo tutti antifasciti (nous sommes tous antifascistes)», martèle un groupe de supporters à l’arrière du car. Mika ne manque pas de leur rappeler que le collectif est désormais apolitique. Le CUP prétend tourner la page des affrontements entre les franges radicales d’extrême-gauche et d’extrême-droite qui ont marqué l’histoire des supporters du club.

Mika veut croire que les rivalités entre les tribunes de Boulogne et Auteuil sont dépassées. Les ultras sont désormais tous réunis sous une même bannière, mais il sait à quel point cette union est fragile et qu’au moindre écart de conduite, tout peut s’arrêter. « Les ultras du PSG sont attendus au tournant » regrette-t-il. Comme beaucoup, il n’a pas oublié le plan Leproux. En 2010, suite au décès de Yann Lorence, un membre de la tribune de Boulogne
battu à mort par des membres de la tribune d’Auteuil, les dirigeants du PSG ont mis fin aux regroupements de supporters et rendu obligatoire le placement aléatoire. Les groupes les plus violents ont été dissous et de nombreux individus se sont vus interdits de stade, parfois injustement.

Les nombreux procès gagnés par l’Adajis, l’association qui défend les droits des supporters du PSG, en témoignent. « Après ces mesures, l’ambiance du Parc des Princes est devenue soporifique, mais ces règles étaient nécessaires pour la sécurité de tous, celle du public et des joueurs », se rappelle Denis Troch, ancien entraîneur du PSG. Il faudra attendre octobre 2016 pour que l’enceinte sportive retrouve son panache d’antan, date d’un accord conclu entre le CUP, la préfecture de Paris et Nasser Al-Khelaïfi, le président qatari du club. Depuis, la politique est un sujet tabou chez les ultras. La tribune d’Auteuil accueillerait toutes les sensibilités, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche. Mais on préfère ne pas en parler.

Des déplacements sous surveillance

A l’entrée de Rennes, un convoi de la police nationale vient à la rencontre des cars de supporters. Quatre motards et un fourgon ouvrent la voie aux 300 ultras qui font le déplacement en terres bretonnes. Sous les huées des passagers, le cortège sera escorté jusqu’à l’entrée du Roazhon Park. Cela fait partie des compromis auxquels les supporters ont dû consentir. Warren, un membre du groupe Nautecia, s’agace de ce cérémonial : « Bientôt ils nous mettront des puces derrière l’oreille pour nous surveiller. »

Les ultras regrettent les conditions de déplacement coercitives. Certains, comme Baptiste, parviennent néanmoins à s’en affranchir en partie. Il est venu à Rennes par ses propres moyens, pour profiter de la ville, manger une crêpe et boire des bières entre copains. Les services de sécurité du stade ont manqué ne pas le laisser entrer. Il lui a fallu négocier et montrer patte blanche. La raison ? En tant qu’ultra du PSG, il a signé une charte dans laquelle il s’est engagé à ne pas se rendre en centre-ville lors des déplacements de son équipe. Les mains accrochées au grillage qui le sépare des autres spectateurs, Baptiste s’insurge: « Ils nous traitent comme des animaux. »

https://www.canva.com/design/DAC5hh9Webc/5G1oJVxfcySZ_kMexAS4Jw/view?utm_content=DAC5hh9Webc&utm_campaign=designshare&utm_medium=link&utm_source=sharebutton
Les ultras pâtissent d’une image stéréotypée, souvent assimilée au hooliganisme. « Bien sûr, il y a un aspect bestial, bourrin, mais il faut aller au-delà », admet Yannick, accompagné de ses deux garçons, Thomas, 7 ans, et Romain, 9 ans. Tous deux portent un maillot du PSG qui leur arrive aux pieds. Ensemble, ils vont voir le match Paris-Nantes depuis le virage d’Auteuil. Comme son père l’a fait avant lui, Yannick veut inculquer à ses enfants les valeurs de la tribune : celles de la tolérance, de la solidarité mais aussi un sentiment d’appartenance. « Chez nous, il y a de tout, des mecs qui bossent à l’usine, des cadres, des intérimaires, beaucoup d’imbéciles aussi ! Côtoyer des gens différents est une vraie force », poursuit-il. Pendant la rencontre, il manœuvrera avec fierté la grande voile télescopique aux couleurs de son collectif. Derrière lui, des supporters en furie qu’il aime comparer à une famille. Une famille recomposée, une famille comme les autres, avec ses heures sombres, ses heures de gloire et un avenir à inventer.

Alice Kachaner

@AKachaner
30 ans
Année spéciale à l’EPJT
J’aime la radio, la presse écrite et la photo.
Passée par Radio France, Nice Matin et le service éco du Figaro.
Passion cachée pour les faits divers, le thé vert et la gym suédoise.