En terre ultra
La saison de foot vient de recommencer pour le plus grand bonheur des ultras. Ces supporters d’un genre particulier ne vivent que pour une chose : leur club. Plongée dans un mode de vie peu connu et pourtant souvent mal jugé.
Le PSG est mené 2-1 sur sa pelouse, mais le virage Auteuil n’abdique pas. Il gronde avec encore plus de ferveur. Mika a le sourire. « Là, le kiff, c’est de pousser l’équipe au maximum pour revenir au score », lâche-t-il en gardant un œil sur la tribune. Écouteur dans l’oreille droite depuis l’avant-match, bonnet vissé sur la tête, le vice-président du Collectif Ultras Paris (CUP), qui regroupe la plupart des ultras parisiens, est au four et au moulin. Debout sur les sièges, il n’hésite pas à couper le capo – celui qui dicte l’ambiance de la tribune – dans ses instructions. « Allez les bras, les bras ! » crie-t-il pour la énième fois afin de motiver ses troupes. C’est la phrase qui revient le plus. Elle exhorte tout le virage à entamer un nouveau chant, mains en l’air.
Dimanche 11 décembre 2016, c’est un grand soir au Parc des Princes. Le Paris Saint-Germain, troisième de Ligue 1, accueille l’OGC Nice, leader. Pour ce match à enjeu, le CUP s’est affairé toute la semaine, jusqu’aux dernières heures. Pour être à la hauteur. A l’entrée des joueurs sur le terrain, toute la tribune est concentrée pour déployer son tifo. « Ceux qui ont du rouge sur leur feuille, vous montrez le rouge. Les autres, vous montrez le côté argenté », ordonne le capo à plusieurs reprises. Le résultat n’est pas parfait. Mais la tribune se rattrapera sur les chants.
A la trente-et-unième minute, Wylan Cyprien ouvre le score pour Nice. La tribune ne réagit pas et poursuit ses chants. Elle en fera autant lors du deuxième but niçois puis pendant la mi-temps. « On s’en bat les couilles du match, on continue de chanter ! » s’écrie le capo, frustré. A croire que, pour les ultras, la rencontre est secondaire. « Le match n’est pas anecdotique, corrigera Romain Mabille, le président du CUP. Je ne le vois pas du tout comme ça. Simplement, on a un travail à faire, un devoir. Si on veut que l’équipe soit investie sur le terrain, on doit l’être de notre côté. Alors on est concentrés sur le rôle qu’on doit tenir. » À la pause, on parle enfin un peu de ce qui se passe sur le terrain. « Il joue Balotelli ? », demande quelqu’un au premier rang. L’attaquant italien, star de l’OGC Nice, est bien présent ce soir-là. Mais sur le banc.
Au retour des vestiaires, Edinson Cavani redonne de l’espoir à Paris en réduisant l’écart. Puis l’Uruguayen égalise à l’heure de jeu. Un scénario qui promet une dernière demi-heure de folie. Plus la fin du match approche, plus la tribune s’égosille. « Allez les gars ! Il ne reste plus beaucoup de temps, on va pousser l’équipe. C’est à nous de jouer ! Allez les bras ! Les bras ! » hurle le capo à dix minutes du terme. Les quelque deux cents ultras de la tribune, bien organisés, embarquent avec eux tout le virage. Malheureusement pour les supporters parisiens, ce soir-là, cela ne suffira pas pour que les joueurs marquent le troisième but synonyme de succès.
Mais être revenu de 0-2 à 2-2 est déjà une petite victoire. « Clairement, je pense que l’équipe n’aurait pas réussi ça s’il n’y avait pas eu les ultras », se félicite Romain Mabille au pied du stade. La préfecture l’empêche d’assister aux rencontres du PSG, mais il a rejoint le groupe après le coup de sifflet final. Mika acquiesce. Au moment de ranger tifos, drapeaux et tambours, un peu d’amertume se lit sur les visages. Nice reste en tête du championnat. Mais la joie d’investir à nouveau le Parc des Princes finit par prendre le dessus. Cela fait un peu plus de deux mois que les ultras parisiens ont le droit de revenir au stade. « On savoure, vraiment, confie Florian. Notre plaisir, c’est d’être là alors qu’on nous avait dit “Vous ne reviendrez jamais”. » Et avec eux, c’est l’âme du Parc qui revient petit à petit.
Dans le paysage du foot français, les ultras sont à part. Ils sont quelques milliers à travers l’Hexagone, que beaucoup regardent de loin, sans vraiment les comprendre. « Il y a plusieurs manières d’être supporter, détaille le sociologue Nicolas Hourcade, spécialiste du « supportérisme ». Un ultra, c’est quelqu’un qui veut être un ultra, qui veut s’engager dans ce style de supportérisme particulier. » Pour la définition, difficile d’aller au delà de cette tautologie. Ceux qui se considèrent comme tels se reconnaissent dans certaines valeurs. Et leur investissement pour leur club est sans faille. Hugues, membre des Ultramarines de Bordeaux, tente de résumer la chose : « On est davantage passionnés que les autres supporters. On a envie de l’extérioriser davantage, de le montrer plus fort. » Les résultats passent au second plan. « Le plus important pour moi, c’est la manière dont se comporte le groupe en tribune », ajoute-t-il.
Être ultra, c’est donc se sentir investi d’une mission : faire partie intégrante du club et avoir un impact sur le résultat de chaque match. « Il y a la personne qui vient juste voir la rencontre et il y a le supporter actif qui vient pour chanter et encourager son équipe, complète Romain, un autre Bordelais. On est ultra parce qu’on décide de jouer ce rôle de douzième homme à fond. L’ultra, c’est celui qui va mettre l’ambiance, faire pression sur l’adversaire. »
Une vocation qui, souvent, se dessine dès les premières visites au stade. « Gamins, on a tous eu envie de participer, se rappelle Romain. D’être dans le cœur, dans le poumon du stade. » Comprenez avec les ultras. Aucun n’imagine vivre un match autrement que debout, à chanter pendant quatre-vingt-dix minutes. Une manière d’être que certains reconnaissent volontiers excessive par moments, mais indispensable. Et qui s’acquiert au fil des années.
« Je me suis abonné à Auteuil à 16 ans, raconte Romain Mabille. Mais je ne me suis considéré ultra que plus tard, quand j’ai acquis les codes, la mentalité. Pour moi, on ne devient ultra qu’au bout d’un certain nombre d’années, pas du jour au lendemain. » Le critère principal ? L’implication : partager les valeurs de respect, de solidarité ; faire les déplacements ; s’impliquer dans les tifos, la gestion du matériel.
A Paris, beaucoup sont passés, tous ne sont pas restés. « Pas mal de mecs sont vachement impliqués pendant un ou deux ans puis lâchent complètement après, regrette Romain. Pour moi, ça, ce n’est pas être ultra. Pour ces gars-là, je pense que le stade est un phénomène de mode. Ça bouge, ça chante, c’est sympa. Mais ils n’ont pas la mentalité pour continuer. » Avec le temps, les ultras savent repérer, parmi les nouveaux arrivants, ceux qui tiendront la distance. Ceux-là intègrent alors une sorte de famille où chacun peut compter sur l’autre. Mais ils ne sont pas nombreux. On ne devient pas ultra par hasard.
Bonjour,
Vraiment un bel article.
Âgé de 40 ans aujourd’hui, parti vivre à Rennes, mais ancien membre des Boulogne Boys ça m’a rappellé des souvenirs de jeunesse.
Merci