La mine,

un horizon français

Photo : Dominique Drouet

Face à la domination des plus grands états miniers au monde, la France veut tirer son épingle du jeu. Elle compte donc relancer l’exploitation de métaux sur son territoire, à l’arrêt depuis plus de quinze ans. Avec pour objectif d’accorder une plus grande indépendance stratégique à notre industrie. Interpellé par des militants bretons opposés à la relance de l’activité minière le 15 janvier 2018, Jean-Yves Le Drian, ancien président de la région Bretagne, a refusé de se positionner sur le sujet.

Par Théophile Pedrola, Malvina Raud et Hugo Vallas

L’ordinateur ou le Smartphone qui vous sert à lire cette enquête est fait de composants tout droit sortis du fond d’une mine. Loin des exploitations de charbon d’antan, on extrait à l’autre bout du monde des matériaux que vous utilisez tous les jours. Sur ce marché, la France n’a pas encore creusé son trou. Elle dépend aujourd’hui largement d’une poignée de pays qui concentrent dans leurs sols des quantités phénoménales de ces ressources tant convoitées par les industries de pointe. Cette dépendance est aujourd’hui inacceptable pour la France. Elle cherche donc à diversifier son approvisionnement, de peur d’une pénurie dont les impacts seraient dévastateurs pour son industrie.

Pourtant, des métaux stratégiques, il y en a quelques-uns dans notre sous-sol qui attendent sagement d’être utilisés. Grand consommateur industriel, mais exploiteur nain, l’Hexagone s’est donc mis à leur recherche. Après avoir ciblé le potentiel prometteur de son sous-sol, l’heure est à l’action.

Entourés par les métaux

Photo : Dominique Drouet

Tungstène, antimoine, fluorine, cobalt… Tous ces noms vous sont sûrement parfaitement inconnus. Pourtant ils désignent des métaux rares. Vous ne le savez peut-être pas, mais votre vie est faite de métaux précieux. Dans votre maison, votre voiture ou votre Smartphone, partout ils sont présents pour alimenter et améliorer votre quotidien. Sans eux, rien de ce qui se trouve autour de vous n’existerait.

« Nous sommes entourés de cailloux », explique Nicolas Charles, géologue au Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM), le service géologique français. Comment imaginer se passer de toute la technologie, même la plus banale, dans laquelle nous baignons ? Poussé à l’extrême, ce serait tout une économie qui pourrait s’écrouler sans les métaux : plus d’électricité ni de transports… Sans les métaux, nous reviendrions sûrement « au chemin de terre et à la calèche », ironise le géologue. Mais on ne parle pas ici de n’importe quels métaux.

Moins connus que leurs cousins fer, acier ou plomb, ces « cailloux » s’appellent les métaux stratégiques, aussi dits métaux critiques. On les nomme ainsi en fonction du besoin qu’en a l’industrie de haute technologie et de leur rareté.  Ils sont « indispensables à la politique économique d’un État, à sa défense, à sa politique énergétique », indique Gaétan Lefebvre, économiste des ressources minérales au BRGM. L’uranium est un bon exemple de métal stratégique : il est à l’origine de l’énergie nucléaire, qui représente près de 80 % de la production et de la consommation d’électricité en France. Il est aussi largement utilisé dans l’industrie de l’armement, à l’image des sous-marins nucléaires. Mais les ressources en uranium sont abondantes, il y a donc peu de risques sur son approvisionnement.

Les métaux critiques, eux, peuvent être confrontés à ce genre de menace. « S’il y a des risques sur l’approvisionnement, cela peut avoir d’importants impacts industriels ou économiques. Plus le risque sur l’approvisionnement est élevé, plus le métal est critique », précise Gaétan Lefebvre. Le tungstène, par exemple, a une forte criticité. Ce métal, inconnu du public, a pourtant une importance primordiale : il est utilisé dans différents alliages dans le domaine aéronautique et spatial, par exemple.

« Les métaux ont des propriétés de miniaturisation, de coloration et de polissage »

Nicolas Charles

À ces métaux, il ne faut pas oublier d’ajouter les terres rares. Dix-sept éléments chimiques que l’on trouve dans les sols, à proximité d’autres minerais comme le cuivre ou le zinc. Parmi eux, des minerais aux noms exotiques : erbium, lanthane, néodyme, gadolinium, etc. La France n’en possède pas sur son territoire mais en est très dépendante. Notre industrie en importe énormément pour les besoins de la haute technologie. En revanche, des métaux critiques et stratégiques, il y en a dans le sous-sol français. Et en grande quantité d’après la cartographie des sols réalisée par le BRGM.

« Les métaux, c’est la matière première, l’élément initial qui va servir dans les produits finis », explique Nicolas Charles.  Ils ont des propriétés de miniaturisation pour fabriquer de tout petits composants, comme les aimants dans nos téléphones ; de coloration, pour les tubes lumineux présents dans les écrans ; de polissage, pour que le verre de nos écrans soient bien lisse. Sans oublier leur importance fondamentale dans le domaine médical pour l’utilisation de lasers par exemple, ou dans la défense et le génie civil. »

Dans nos intérieurs, il y a de nombreux métaux rares. Photo : Dominique Drouet

Même les énergies renouvelables ont besoin de métaux pour exister. Nicolas Charles l’affirme : « Une éolienne ou un panneau solaire, ce n’est pas renouvelable. Ce qui l’est c’est l’énergie utilisée. Mais pas ce qui permet de transformer l’énergie. Une éolienne, c’est fait d’acier. Le moteur, c’est une bobine de cuivre avec un énorme aimant, fait avec des terres rares. Il faut les extraire ces éléments. »

Depuis 2013, la France a compris l’intérêt de ces métaux pour son industrie. Cependant, aucune exploitation de ces ressources n’existe aujourd’hui sur son territoire . Elle se tourne donc vers l’étranger pour s’approvisionner.

Une place à trouver

Photo : Dominique Drouet

Cette dépendance s’explique par l’arrêt de l’activité minière française. Depuis le début des années deux mille, la France n’exploite plus de métaux critiques sur le sol métropolitain. Les seuls territoires français impliqués dans cette activité sont la Guyane et la Nouvelle-Calédonie qui exploitent principalement de l’or, du nickel et du diamant.

La France, ainsi que le reste de l’Europe, fait donc pâle figure face à d’autres pays comme la Chine, la République démocratique du Congo, l’Afrique du Sud, le Chili, le Brésil ou l’Australie. « Il faut garder à l’esprit que les ressources géologiques ne sont pas réparties de manière égale dans le monde », explique Nicolas Charles. De fait, même si la France et ses voisins européens disposent d’un potentiel minier en métaux critiques et stratégiques, celui-ci reste bien inférieur à ceux des pays précités.

La Chine, par exemple, est en situation de monopole sur plusieurs de ces ressources stratégiques. L’Empire du milieu représente à lui seul 95 % de la production mondiale de terres rares ainsi que plus de 80 % de la production mondiale d’antimoine, de tungstène, de gallium et de germanium par exemple. « La Chine est le premier pays minier au monde, elle compte sur son sol 140 000 mines officielles » rappelle Nicolas Charles.

En 2017, l’Union européenne a publié une liste de 27 matières premières jugées critiques et dont l’approvisionnement est exposé à un risque de pénurie. « La Chine est le pays le plus influent en ce qui concerne l’approvisionnement mondial de maintes matières premières critiques. Plusieurs autres pays dominent l’approvisionnement en l’une ou l’autre matière première, comme le Brésil, les Etats-Unis, la Russie ou l’Afrique du Sud », peut on lire dans le document.

Cette prédominance chinoise sur le marché mondial inquiète donc de plus en plus la France et les autres pays européens. Diversifier les sources d’approvisionnement paraît donc être un enjeu vital. Il est important de ne pas dépendre d’une poignée de pays avec lesquels les relations diplomatiques peuvent changer subitement. L’Europe se souvient qu’un différend territorial entre la Chine et le Japon en 2010 avait entraîné la rupture de l’approvisionnement en ressources stratégiques de l’archipel. Même si les relations sino-japonaises sont traditionnellement tendues, il s’agit d’un bon exemple de la capacité chinoise à imposer des sanctions commerciales efficaces et brutales. On peut ainsi aisément imaginer un scénario opposant les européens à la Chine qui verrait cette dernière stopper du jour au lendemain l’approvisionnement en métaux critiques et stratégiques.

Pour diversifier les sources d’approvisionnement, il est primordial de tisser des liens avec un maximum de pays producteurs des ressources visées. Mais la France a un autre atout dans sa manche. Le potentiel avéré des sous-sols français encourage le pays à relancer son activité minière. Toutefois, l’exploitation de ressources critiques et stratégiques sur le territoire national ne garantira pas l’autosuffisance. Il s’agit néanmoins d’un moyen de réduire la dépendance de notre industrie vis-à-vis d’acteurs étrangers.

Relancer la machine

Photo : Dominique Drouet

Relancer l’extraction de métaux tient donc d’une volonté politique, impulsée par une véritable stratégie. En France, l’intérêt de l’Etat serait donc de faciliter la vie des entreprises minières. Dans les faits, tout n’est pas si simple. Une société doit d’abord sonder le terrain, afin d’être sûre que ce dernier est propice à la recherche minière. En clair, qu’il contient des métaux en quantité suffisante pour justifier l’investissement réalisé.

Pour cibler un terrain précis, l’entreprise s’appuie entre autres sur les recherches du BRGM. Afin de pouvoir réaliser des prélèvements sur le terrain, elle doit disposer d’un permis exclusif de recherche de mines (PERM). Ce permis est octroyé par l’Etat via la direction régionale de l’environnement (Dreal), qui consultent également le BRGM. Il concerne une parcelle de terrain précise, généralement assez large, sur laquelle l’entreprise peut réaliser des carottes de terre de manière ponctuelle. Sur ce terrain, des opérations de prospection géophysique aérienne sont également réalisées, à l’aide d’hélicoptères à basse altitude, d’investigations au sol, ainsi que des tranchées d’exploration.

Les dates indiquées sur cette Timeline ne sont qu’indicatives et ne sont pas représentatives d’une réelle situation.

Si les analyses se révèlent intéressantes, on peut envisager passer de cette phase d’exploration à une phase d’exploitation, ce qui nécessitera l’obtention d’une nouvelle autorisation. On dit qu’il s’écoule une décennie entre le début de la phase d’exploration et l’ouverture d’une mine. Par ailleurs, on estime en France que seulement un permis d’exploration sur dix se transformera en exploitation plus tard, la moyenne mondiale étant de un sur cent.

Pour l’heure, en France, il n’y a encore aucune exploitation de métaux. La très grande majorité des explorations est détenue par une jeune entreprise : Variscan Mines. Située à Orléans, cette société a été fondée en 2010 par deux anciens géologues du BRGM, dont un en est toujours le président : Jack Testard.

Jack Testard, président de Variscan. Photo : EPJT

Variscan, considérée en France comme un précurseur, détient sept PERM, dont six situés dans la zone dite de la « Bretagne élargie », qui s’étend jusqu’au Mans et au sud de Nantes. Tous font entre 40 et 410 kilomètres carrés. Variscan est ce que l’on appelle une « junior d’exploration », c’est-à-dire qu’elle ne participe qu’à la phase d’exploration, sans avoir les moyens de créer véritablement une mine. Alors, quand elle découvrira une gisement exploitable, « nous négocierons avec une major, explique Jack Testard. Notre avantage est de rester dans l’affaire. Soit je revends, soit je garde un pourcentage sur l’exploitation. Dans le monde, beaucoup de sociétés juniors revendent le potentiel minier découvert à une junior plus grosse. Tout ça de façon à pouvoir réinvestir ailleurs et à recommencer le cycle.»

Mais tout le monde ne voit pas le développement des ces explorations avec les yeux de Chimène. Bien au contraire. Pour eux, elle ne peut qu’être une nouvelle source de pollution. L’opposition à la mine s’est particulièrement développée en Bretagne, notamment avec l’association Vigil’Oust. Lucie Guillo, une des militantes, présente leurs actions : « Nous nous sommes constitués en 2015, à Merléac (Côtes-d’Armor NDLR). On s’est posé des questions quand on a vu un hélicoptère survoler l’actuel site d’exploration avec une sonde. Face au manque d’information, nous nous sommes mobilisés. »

Pour les opposants, rouvrir une mine aujourd’hui est une hérésie : « Est-ce qu’on a besoin de continuer à extraire comme des malades même si c’est propre comme ils le disent ? Nous avons besoin de métaux, je suis d’accord, mais dans trente ans, il n’y aura plus rien à exploiter dans ces mines. Alors il faudra bien trouver des solutions alternatives. »

Ces militants ont trouvé un certain soutien dans un rapport de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), datant de décembre 2015. Celui-ci stipule que les phases d’exploration causent entre autres « des défrichements des plateformes de sondage, l’aménagement de voies d’accès pour des véhicules lourds, la production de centaines de mètres cubes de déchets miniers. » Ce rapport ciblait déjà le problème de « l’acceptabilité sociétale » de l’industrie minière. Un rapport qui a fait grincer des dents Jack Testard : « C’est essentiellement basé sur une analyse de risques. On sent que ces gens ne sont jamais allés au fond d’une mine. En matière d’environnement, des règles existent et nous les respectons. »

« Il faut bien prendre conscience qu’aujourd’hui la mine, ce n’est plus Germinal »

Nicolas Charles

Ce problème d’acceptabilité sociétale est la pierre d’achoppement du renouveau de l’industrie minière en France, qui n’en est qu’à ses balbutiements. Pour y répondre, le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) a pensé en 2013 au credo « éviter, réduire, compenser ». En résumé : « Réduire au maximum les impacts et en dernier lieu, si besoin, compenser les impacts résiduels après évitement et réduction. » Néanmoins, pour l’opposition écologique, l’intérêt de l’industrie minière reste très flou. Beaucoup s’accordent pour considérer la mine comme un haut-lieu de saleté et de pollution. Pourtant, comme l’explique Nicolas Charles : « Il faut bien prendre conscience qu’aujourd’hui la mine, ce n’est plus Germinal. »

De son côté, le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, a déclaré le 26 septembre devant l’Assemblée nationale : « Je ne pense pas que toute recherche minière est à proscrire sur notre territoire. Elle doit pouvoir se faire de façon raisonnée et raisonnable. » Des propos qui interviennent au lendemain de la publication du rapport annuel de Variscan dans lequel son P-DG, Patrick Elliott, déclare : « Notre capacité à capitaliser sur le potentiel minier français et à créer de la valeur pour nos actionnaires et l’économie française est gênée par la lenteur de l’obtention des autorisations. »

Toutefois, dans le même document, l’entreprise australienne se félicite de son statut de précurseur : « Depuis que Variscan est arrivé en France, le pays a vu des sociétés étrangères et nationales intensifier l’activité d’exploration minière. Ceci est cohérent avec l’augmentation des activités minières en Europe. » Par ailleurs , la société considère que la France est dotée d’une « géologie favorable », « d’excellentes infrastructures » et d’une « juridiction à faibles risques ». Autant d’éléments qui, en plus d’une réforme du Code minier prévue pour 2018, devraient faciliter la relance de l’activité minière en France.