La ferme aux œufs colorés

Cela fait un an qu’Alice Challine élève des poules aux œufs de couleurs

En Eure et Loir, Alice Challine est unique. Elle est en effet la seule agricultrice à produire des œufs de couleur. Une spécialité commencée il y a un an et reconnue par les chefs étoilés.

Par Laurène ROCHETEAU (texte et photos)

Une fois le portillon noir et rouillé franchi, c’est par des caquètements qu’Alice Challine est accueillie. Une centaine de poules se précipitent pour apercevoir la jeune agricultrice qui pénètre sur leur territoire. Un sceau d’épluchures à la main, elle est venue nourrir celles qu’elle appelle ses « poules de couleur ».

Et ce n’est pas leur plumage qui leur vaut ce nom, mais bel et bien la couleur de leurs œufs. Bleus, marrons ou encore blancs immaculés, voilà la spécialité des poules d’Alice. Une spécialité qu’elle est la seule agricultrice à produire dans sa ferme de Billancelles, en Eure-et-Loire.

« Celle-ci, c’est une cream legbar,  explique Alice en désignant une grande poule au plumage beige et à la crête flamboyante. Elle est originaire d’Angleterre. C’est elle qui donne des œufs bleus. » Cette couleur singulière est due à une enzyme présente dans sa bile et qu’elle ne parvient pas à évacuer naturellement. Les œufs que nous consommons habituellement doivent eux leur couleur à son élimination dans leur organisme.

La jeune femme envisage déjà d’agrandir cet élevage qu’elle développe depuis un an. Ses poules sont plutôt capricieuses et elles ne pondent pas avec un rythme aussi régulier que celui des 5 000 poules de plein air qu’Alice élève aussi, sur 2 hectares. « Elles peuvent pondre un œuf tous les deux jours, parfois une fois par semaine, alors que les autres pondent tous les jours. Par exemple, ça fait deux semaines que les marans n’ont pas pondu », explique Alice en désignant de grandes poules au plumage brun, presque noir.

Une originalité reconnue par les plus grands

L’agricultrice avicole referme la porte du jardin et entre dans la pièce où elle entrepose ses œufs. Elle en revient quelques minutes plus tard, une boîte de bois à la main, estampillée du logo de son entreprise, Les Ö d’Alice. Elle en soulève fièrement le couvercle pour révéler un assortiment de quatre œufs – bleu, marron, blanc et traditionnel. « C’est l’échantillon que j’offre à mes potentiels clients quand je vais les démarcher », explique-t-elle.

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Alain Ducasse ou Christophe Hay, chefs étoilés, ou des restaurateurs locaux lui passent désormais commande. Un euro l’unité, c’est le prix qu’il faut débourser pour un œuf de couleur, soit trois à quatre fois de plus que les œufs classiques. Elle justifie déjà ce prix en expliquant que les chefs cuisiniers s’en servent comme ornement  : « Beaucoup de chefs avec qui je travaille vident l’œuf mais gardent la coquille pour en faire un élément de décoration dans l’assiette. »

C’est d’ailleurs suite à la demande de ces chefs qu’Alice envisage de passer au bio. Pour le moment, elle élève ses volailles selon le principe de l’agriculture raisonnée, respectueuse de l’environnement et du bien-être de ses poules. Mais elle doit prendre en compte les contraintes économiques. Elle nourrit ses volailles avec le grain produit par son mari, céréalier à Billancelles. Or celui-ci utilise des produits chimiques même si ce n’est que sur une part restreinte de son exploitation, envahies par les mauvaises herbes.

Alice ne traite ses « poules de couleur » qu’avec l’homéopathie. Alors que c’est impossible de le faire pour ses poules plein air. « L’homéopathie demande une adaptation de traitement selon la poule. Elles sont toutes différentes. Il faut également prendre en compte le terrain sur lequel elles vivent, pour qu’on retrouve dans leur traitement le même type de plantes que dans leur environnement. » Un traitement difficile et assez coûteux.

Alice accorde également une grande importance à l’agriculture locale. Elle est membre de Terres d’Eure-et-Loir, une marque créée et déposée par la chambre d’agriculture d’Eure-et-Loir, pour faire connaître au grand public les produits du terroir, comme les œufs d’Alice. Elle appartient également à l’association Le collège culinaire de France, dont le but est de mettre en valeur les pratiques de la culture gastronomique française et les métiers qui en sont issus. L’humoriste américain Bob Hope affirmait : « Si je devais pondre un œuf pour mon pays, je le ferais. » Alice, elle, fait pondre ses poules pour sa région.