La deuxième vie des légumes invendus

Stéphanie Hue en plein étiquetage des soupes artisanales

Un couple de maraîchers a trouvé la solution pour lutter contre le gaspillage : ils transforment leurs légumes invendus en soupe. Leur prochain défi ? Convertir leur exploitation à l’agriculture biologique.

Par Amandine SANCHEZ (texte et photos)

Stéphanie Hue slalome entre les cagettes de choux, de carottes et de cucurbitacées. Elle rejoint à l’étiquetage son employé, Pascal Panier. « Aujourd’hui, c’est le rush, dit-elle en apposant une étiquette sur une des bouteilles de soupe. Hier, nous étions en cuisine. Ce matin, nous avons ramassé les légumes. Demain, Pascal ira au marché. Nous ne nous arrêtons jamais ! »

C’est au milieu de cette agitation que Carine Kermabon débarque dans l’entrepôt. Gérante de Label Echoppe, une épicerie écocitoyenne de Rochecorbon (à 8 kilomètres de Tours), elle met en avant les produits locaux et privilégie le vrac et le zéro emballage. Elle vient donc s’approvisionner en légumes et soupes artisanales à la Maison Picou. La ferme agricole et Label Echoppe collaborent depuis les débuts de l’épicerie. « Cela fera un an en décembre », précise Carine.

La jeune femme pressée transfère les cagettes de l’entrepôt jusqu’au coffre de sa voiture en un temps record. Moins d’un quart d’heure plus tard, elle est repartie. Comme Carine, épiceries fines, charcuteries et magasins de producteurs de Touraine viennent s’approvisionner chez Stéphane Picou et Stéphanie Hue.

Objectif zéro gaspillage

Le couple gère l’exploitation Maison Picou. Cette ferme agricole, implantée sur les bords du Cher, prône le zéro gaspillage. C’est en 2003 qu’ils s’y sont installé. Cette année-là, l’entreprise qui emploie Stéphanie, responsable export, ferme ses portes. La jeune femme décide alors, avec son compagnon, de changer du tout au tout. Et de faire pousser des légumes.

Le premier été, celui de la canicule, il y a eu une surproduction de melons. « Une cliente m’a suggéré de faire des confitures pour éviter les pertes », raconte Stéphanie. Les voilà donc dans les casseroles, les bocaux puis sur les marchés pour vendre leurs produits. Stéphanie ne retourne pas dans l’export et se lance dans une formation pour devenir artisan.

« Environ 15 % des légumes cultivés finissent en soupe »

En 2004, le couple investit dans un laboratoire de transformation au sein de l’exploitation. Cela leur permet d’élargir leur gamme qui propose désormais des soupes, des sauces tomate, du confit d’oignon… Les invendus et la surproduction sont cuisinés. « Hier, nous avons fait de la soupe Moulinet, à base de carottes, de pommes de terre, de poireaux et de céleris. Nous arrivons quasiment à respecter notre engagement du zéro déchet, indique Stéphanie. Nous transformons aussi ce qui n’est pas vendable. Parfois, nous avons des carottes comme ça ! » Elle mime avec ses doigts une carotte toute biscornue.

Trop courts, trop moches ou bourgeonnants, environ 15 % des légumes cultivés finissent en soupe. « Avant, nous avions un mixeur manuel. Nous avons investi pour acheter un gros mixeur, une étiqueteuse et une fardeleuse, qui sert à faire des packs », explique Stéphanie. Désormais, 10 000 litres de soupe sortent du laboratoire chaque année, soit deux fois plus qu’il y a cinq ans.

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Yoana et Valia plantent les pousses de mâche.

Sur toute la surface de l’exploitation, la terre meuble laisse place à une boue peu praticable. Accroupie sous une serre, Yoana et Valia, deux jeunes Bulgares en emploi saisonnier, plantent les pousses de mâche. Des salades qui se retrouveront plus tard sur les marchés tourangeaux. Même les produits fragiles, comme les salades, ne sont pas jetés s’ils ne sont pas vendus. « Ce qu’on ne peut pas transformer part à la banque alimentaire », explique Stéphanie.

Depuis quelques années, la ferme agricole est en conversion vers une agriculture biologique. C’est un processus qui prend du temps : « Le désherbage représente un temps plein à lui tout seul », explique Stéphanie. Elle ajoute qu’un label bio s’accompagnerait d’une hausse des prix. En effet, le coût de production des légumes augmenterait également. Stéphanie explique qu’un plant de patates douces non traité lui coûte 1 euro, contre 50 centimes pour un plant classique.

Elle s’inquiète un peu de la réaction des clients : « Les gens ne comprennent pas pourquoi le bio est plus cher. » Mais elle reste tout de même déterminée à passer au bio. Le label « AB » tant espéré sera apposé sur les produits Maison Picou dès novembre 2019.