Photo : Laure Colmant
Baisse des commandes, effondrement des taux de rémunérations, augmentation de la concurrence…, les photojournalistes sont les premiers touchés par la crise de la presse papier. Nombreux sont ceux qui ne peuvent plus vivre de la presse et qui s’engagent dans la photo dite « corporate » ou commerciale. S’ensuit un casse-tête : celui de leurs statuts.
Par Anna Lefour
Photo : Cécile Mella
Vous étiez intervenant lors de la conférence « Le photojournalisme peut-il se réinventer » aux Assises du journalisme à Tours. Êtes-vous d’accord avec le constat de l’enquête de la Scam, Photojournalisme : profession sacrifiée, discuté ce jour-là ?
Jean-François Leroy. Je le trouve très pessimiste, même s’il a des raisons de l’être car la situation des photojournalistes est difficile. Il y a quand même eu de belles choses cette année sur le plan de la photographie de presse, mais pas de réelles solutions, c’est vrai.
Pour vous, quelles sont les raisons de la baisse du nombre de carte de presse aux photojournalistes ?
J.-F. L. Comme c’est la crise, la photographie est en première ligne pour les réductions de budget dans les médias. Du coup, les photographes de presse font de tout et vendent à droite à gauche, plus seulement à des organismes ayant un numéro de commission paritaire (numéro qui permet aux entreprises de presse et aux agences de bénéficier du régime économique de la presse, NDLR). Or, pour avoir la carte, il faut que plus de 50 % des revenus proviennent de la presse.
Connaissez-vous des photographes de presse qui ont perdu leur carte car ils ne remplissaient pas cette condition ?
J.-F. L. Bien sûr, plein. Il me faudrait quatre heures pour faire la liste complète. Mais prenons un cas au hasard, le mien. J’ai perdu ma carte de presse le jour où j’ai fondé le festival Visa pour l’image (en 1989, NDLR) car cela n’entre pas dans les critères d’attribution même si c’est en relation avec la presse. Et « Le Grand incendie », un superbe reportage du photographe Samuel Bollendorff, n’entre pas dans la catégorie « presse » car c’est un webdocumentaire et qu’il a été financé par le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée, NDLR). C’est n’importe quoi.
« Quand je vois les critères d’attribution de la carte, j’ai envie de dire « Eh oh ! il faut se réveiller »
Les critères d’obtention de la carte de presse seraient donc dépassés, en tout cas pour les photographes de presse ?
J.-F. L. Ils n’ont pas changé depuis cinquante ans. Depuis, il y a eu Internet avec Facebook, les webdocumentaires, Twitter, les blogs et j’en passe. Quand je vois les critères d’attribution j’ai envie de dire « Eh oh ! il faut se réveiller. » Ça fait des années que je me bats pour que que la CCIJP évolue et prenne en compte les évolutions du marché. Un exemple avec le site d’information Médiapart qui se voit réclamer plus de 4 millions d’euros parce qu’il a déclaré être un organisme de presse et qu’il n’est pas considéré comme tel. Je trouve ça scandaleux. Tout le monde se refile la patate chaude. La presse et la photographies relèvent du ministère de la Culture et de la Communication. Vous appelez ce ministère, il vous dira d’appeler celui de l’Intérieur, où on vous dira de contacter les affaires sociales… On n’en finit jamais.
« Des photographes galèrent en terrains dangereux car on ne leur a pas donné leur carte de presse »
Quelles sont les conséquences de la perte de carte de presse pour les photographes ?
J.-F. L. Quand j’étais à la conférence des Assises du journalisme à Tours, on a parlé de la carte et j’ai poussé un coup de gueule. Quelqu’un a dit : « On peut entrer dans les musées grâce à la carte. » Mais on n’en a rien à foutre d’entrer dans les musées. Il y a des photographes qui galèrent en terrain dangereux, qui ne peuvent pas recevoir d’accréditation de la part des ambassades françaises parce qu’on ne leur a pas donné leur carte. Mais ils doivent continuer d’exercer pour vivre et ils sont privés d’un outil précieux pour leur sécurité.
La Commission de la carte affirme que les dossiers des journalistes en territoire de guerre sont traités en urgences.
J.-F. L. Ce sont des conneries. Ils disent ça mais ça n’a dû arriver qu’à de rares occasions. Même si c’était le cas, ce genre de solution c’est de la rustine et ça ne règle en rien le fond du problème. Aujourd’hui, on fait des commissions sur tout et sur rien. Je voudrais que l’Europe, qui s’occupe si bien de mesurer la courbure des bananes et le diamètre des concombres, détermine les conditions d’attribution de la carte de presse à un niveau européen. Il faut vraiment tout réformer.