Continuer d’étudier à tout prix

Le centre éducatif Centrul Unității în Băneasa (CUIB) accueille des enfants d’une vingtaine de familles de réfugiés, comme Sofia et Artem.

L’éducation des enfants réfugiés ukrainiens se décline sous plusieurs formes : des cours en ligne ou en présenciel à l’école roumaine comme auditeur ou élève. Mais si la poursuite de l’apprentissage est pour tous une évidence, la plupart se heurtent à la barrière de la langue.

Par Laura Blairet (reportage sonore) et Mathilde Lafargue (texte et photos)

Sofia et Artem étudient calmement à l’étage du centre éducatif du quartier de Băneasa, à Bucarest. Concentrés, ils suivent leur leçon en ligne. Assis côte à côte au milieu d’autres enfants ukrainiens. Les jumeaux de 7 ans sont partis de Kyiv en février 2022, il y a plus d’un an. Ils ont enfin été rejoints par leur père, Sergueï, depuis seulement deux semaines.

Leur mère n’a pas le temps de les emmener au centre éducatif le matin. Elle travaille de longues heures comme femme de ménage. C’est désormais le père qui prend le relais. Ancien mécanicien, il cherche maintenant un emploi en Roumanie pour s’y installer durablement. Sergueï dit vouloir renouer avec une « vie normale » : « C’est calme ici, je rêve la nuit en dormant et j’ai retrouvé ma famille. » Dans cette quête de semblant de vie normale, l’éducation reste un pilier pour les parents comme pour les enfants.

Une vingtaine de familles laissent leurs enfants chaque jour au centre éducatif de Băneasa. Elles ont eu vent de l’initiative grâce au bouche-à-oreille et à des messages sur Telegram*. Elles viennent d’Odessa, de Kyiv, de Mykolaïv, de Kherson… Lesia Kirvas, ancienne enseignante en école primaire en Ukraine, accueille les enfants dans leur langue maternelle. Elle les retrouve dans cette petite maison aménagée par la fondation Regina Maria qui l’emploie.

Le centre éducatif de Băneasa accueille des enfants ukrainiens quotidiennement. Des éducatrices les encadrent pendant leurs cours en ligne.

Au rez-de-chaussé, les chaussures sont alignées en dessous des porte-manteaux où se succèdent les petites doudounes et parkas. Les enfants montent ensuite l’escalier en haut duquel sont affichées des productions d’art plastique aux couleurs de l’Ukraine, avec des messages de paix. À l’étage, ils sont installés dans des classes différentes, selon leur âge, les cours qu’ils suivent, leur niveau d’autonomie.

Lesia Kirvas a d’abord essayé de poursuivre son travail d’enseignante à distance depuis la Roumanie, pour « garder la connexion ». Aujourd’hui, elle a trouvé une place sur le territoire où elle s’est exilée, en accompagnant les jeunes réfugiés de son pays dans leurs cours en ligne.

Tous les enfants ukrainiens ne suivent pas des cours en ligne en centre éducatif. Ils sont de plus en plus nombreux à aller dans des écoles roumaines. En trois ans, leur taux de scolarisation a explosé, passant de 10 % à la fin de l’année scolaire 2021-2022, à près de 60 % en 2022-2023, puis à plus de 80 % sur l’année 2023-2024 (données de l’Unesco).

La langue, enjeu majeur d’intégration

En août 2022, l’association Save the Children (Salvați Copiii România) publiait un rapport précisant que « 73 % ont poursuivi leurs études à distance, en suivant le programme ukrainien ». Aussi, 7 enfants réfugiés sur 10 ne parlaient pas roumain en arrivant. Et 90 % des mères considéraient la barrière de la langue comme le principal frein à l’intégration de leurs enfants. Cette année-là, 28 % d’entre eux ont commencé à apprendre le roumain, mais leur niveau ne leur permettait pas de poursuivre une éducation dans cette langue. L’obstacle linguistique concernait donc une majorité de jeunes Ukrainiens. La situation a depuis évolué.

Mais si plus de réfugiés ukrainiens se sont inscrits depuis 2022, pour beaucoup, aller à l’école roumaine se résume à assister aux cours en tant qu’auditeurs et non en tant qu’élèves. Les auditeurs peuvent participer aux activités de la classe mais ils ne sont pas notés. Ils ne sont pas non plus éligibles aux bourses. Néanmoins, s’ils suivent des cours de roumain en langue étrangère ou 230 heures de cours en langue roumaine, ils peuvent recevoir un certificat qui leur permettra d’obtenir le statut d’élève.

Mais le roumain en langue étrangère est très peu enseigné dans le pays et encore moins au niveau maternelle ou primaire. Pour devenir élèves, les enfants ukrainiens peuvent, sinon, se lancer dans des procédures d’équivalences du niveau d’études auprès de l’inspection de l’Éducation. Afin de faciliter l’accès à l’école, le ministre de l’Éducation roumain a pris des mesures qui exemptent les élèves ukrainiens de passer l’examen national de fin du collège.

Fille d’un père ukrainien et d’une mère roumaine, Maricica Ciubara a vécu en Moldavie et parle couramment ukrainien, russe et roumain.

Apprendre et maîtriser la langue roumaine fait partie aujourd’hui des enjeux majeurs de l’intégration des réfugiés ukrainiens.

Mais c’est une réelle difficulté : le roumain repose sur l’alphabet latin alors que l’ukrainien s’appuie sur le cyrillique. L’écriture et la prononciation n’ont rien à voir.

Former les professeurs à l’enseignement du roumain en langue étrangère répond à un réel besoin, pointe Maricica Ciubara, conseillère à l’Unicef sur la question de l’accès à l’éducation des réfugiés et inspectrice des écoles à Bucarest.

Pour aider les Ukrainiens à se familiariser avec le roumain, elle a eu l’idée de créer un manuel. En partenariat avec l’association suisse Terre des hommes, elle a travaillé avec des philologues et des linguistes.

Ce manuel sera distribué gratuitement dans les écoles et ONG à partir de fin janvier 2024. Il propose des leçons de diction et de phonétique, des exercices de traduction ou encore de grammaire de base avec des phrases courantes.

À destination des enfants, des adolescents comme des adultes, il est fait pour étudier de manière autonome. Car si la maîtrise de la langue pour l’apprentissage scolaire concerne avant tout les enfants, elle est tout autant cruciale pour l’insertion professionnelle des adultes et leur intégration sociale dans leur pays d’accueil.