Les dessous de la vente de nudes

Photo : Cassandre Riverain/EPJT

Sur les réseaux sociaux, la vente de photos dénudées s’est largement développée ces derniers mois. Entre vendeuses, arnaqueurs et clients, un véritable écosystème a vu le jour.

Par Fridolin Ngoulou, Alice Porcher, Cassandre Riverain (photos)
BD : Honorine Leclère/Académie Brassart Delcourt

lt je vends des nudes à la demande, DM si intéressé ! #nudes #sendnudes » Une minute après le premier tweet de Léna, notre faux profil de jeune fille de 15 ans, des messages commencent déjà à arriver. « Salut », « Tu peux envoyer une photo, je te paie après », « T’as vraiment 15 ans ? », « Combien les nudes ? »… Les propositions fusent.

Ce phénomène s’est largement développé sur Twitter. De plus en plus de personnes se prennent en photo, nues, pour échanger ou vendre leurs images.

Nous essayons d’en savoir plus : qui sont ces personnes prêtes à acheter des photos d’une adolescente de 15 ans ? Certains ont entre 15 et 20 ans, veulent discuter un peu, mais surtout échanger des photos. Même en précisant que tout est payant, d’autres envoient des photos de leur pénis et demandent un nude en retour.

Entre deux messages de garçons cherchant à s’amuser, l’un attire notre attention. Pascal, 57 ans, demande à Léna si elle « aime bien discuter avec des vieux cochons », comment est-elle habillée dans sa « chambre de petite coquine », puis demande des photos d’elle, habillée, parce que « des nudes à 15 ans, c’est de la pédophilie pour ceux qui t’en achèteront ».

Un autre homme de 30 ans explique : « Je ne suis pas pédophile et je voudrais voir à quoi tu ressembles avant de te prendre des nudes. » Ces hommes, conscients d’être à la limite de l’illégalité, poursuivent quand même la conversation dans l’optique d’acheter ou de recevoir gratuitement des photos de la jeune fille.

Pour prendre des nudes, les vendeuses utilisent le matériel qu’elles ont à disposition, comme leur téléphone portable.

La vogue des nudes ne touche pas que les mineures sur Twitter. Nous avons aussi testé le réseau social avec des profils plus âgés.

Une bouche et un œil en photos de profil, des faux prénoms – Chloé, une jeune femme de 22 ans et Manu, un homme de 24 ans – et nous tweetons tout de suite : « Je recherche des nudes. »

Celle qui rencontre le plus de succès, c’est Chloé. Mais si des hommes lui envoient des photos, ce n’est pas pour les vendre, mais pour en recevoir en échange. « Je considère que c’est de l’amusement », « je ne suis pas là pour faire de l’argent, c’est pour du plaisir et c’est tout », expliquent-ils.

Manu se fait aborder par des vendeuses. Nous essayons de discuter avec elles, pour connaître leur âge, leur ancienneté sur le réseau, combien elles gagnent… Certaines répondent facilement. D’autres ignorent les messages en voyant que Manu traîne pour acheter des photos.

Un business quasi-professionnel

Depuis quelques mois, le nombre de comptes Twitter vendeurs de nudes a explosé. Pour en trouver, pas besoin de chercher bien loin : les vendeuses tweetent avec des hashtags dédiés à la vente de photos et vidéos dénudées. #sellnudes, #paypigs, #moneymiss… Taper ces mots dans la barre de recherche Twitter permet de trouver les tweets des vendeuses.

Une multitude de comptes proposent des services, plus ou moins chers. Les vendeuses postent des photos « avant-goût » pour attirer le client. Des images en sous-vêtements, plus ou moins suggestives. Ensuite, tout se passe par message privé : la vendeuse communique ses prix, le client envoie l’argent, puis reçoit un nude.

Mais parfois, les choses se compliquent. Entre les comptes de véritables vendeuses, se cachent des arnaques. Des personnes créent un faux compte. En photo, des filles qu’ils ne connaissent pas. Et ils se font passer pour elles.

Généralement, ces photos sont trouvées sur Internet. Des forums regroupent des stocks de photos, que ces personnes téléchargent pour créer leurs faux comptes.

Et les arnaqueurs font tout pour appâter le client : offres à prix réduit, messages très crus envoyés directement au client, sans attendre que lui se manifeste… Le client envoie ensuite l’argent, puis l’arnaqueur n’envoie pas de photo. À la place, il bloque le client et passe à la victime suivante.

Cette arnaque facile a créé un engouement pour les faux comptes. Cela porte souvent préjudice aux véritables vendeuses. Elles doivent prouver que leur profil est réel. Gagner la confiance du client est indispensable, puisqu’il devient méfiant.

Des vendeuses ont un système bien rôdé, un business quasi-professionnel. Elles établissent une grille de tarifs, des limites dans ce qu’elles font en vidéos… Parfois, les comptes Twitter ne sont qu’une partie de leurs activités : des escortes proposent leurs services pour « du réel ». Mais certaines vendeuses se considèrent également comme des travailleuses du sexe.

Julie considère la vente de nudes comme un travail, elle y consacre certaines de ces journées.

Pour mieux comprendre leurs motivations, nous avons contacté une vendeuse de nudes, Julie*, et deux jeunes hommes, Nicolas* et Simon*, derrière des comptes d’arnaque.

Julie a 21 ans. Pour elle, vendre des nudes sur Twitter, c’est un travail du sexe comme un autre, « même si le procédé n’est pas le même, puisque virtuel, la finalité de ces ventes est sexuelle. »

Elle vend ses photos depuis un an. Julie s’est lancée dans ce commerce alors qu’elle était dans une période difficile de sa vie. En dépression, sans emploi, sans revenu. Mais avec un loyer à payer.

Peu après avoir rouvert son compte Twitter, elle poste des photos d’elle un peu dénudée. Les retours sont « positifs » : beaucoup de retweet, de like. Elle se décide alors à vendre ses photos.

« Je ne fais pas ça pour le plaisir, c’est vraiment comme un travail pour moi »

Julie

Pour garder un réseau actif d’acheteurs, les nudeuses rappellent régulièrement leur activité de vente à leurs abonnés Twitter, leurs followers. Par messages privés avec les clients réguliers, par exemple.

Sinon, elles postent des photos d’elles en lingerie. En légende, un message type : « Je vends toujours mes nudes, DM pour informations et tarifs. » Les montants varient en fonction du contenu de la commande.

Avec Julie, le premier prix est à 20 euros, pour trois photos en lingerie. Le contenu le plus cher s’élève à 275 euros : une vidéo dans laquelle elle se masturbe.

Pendant huit mois, Julie a vendu ses photos à temps plein. Pendant cette période, elle a gagné 11 000 euros nets, ses revenus n’étant pas déclarés.

Les faux profils de vendeuses de nudes ont des caractéristiques communes. Passez la souris sur l’image et cliquez sur les éléments pour avoir plus de détails. Dessin : Anouska Kavanagh

Aujourd’hui, elle a trouvé un emploi de vendeuse. Mais elle continue à vendre ses photos pour arrondir ses fins de mois. Elle peut gagner jusqu’à 3 000 euros en un mois, selon la demande et la régularité de ses ventes. Selon elle, l’aspect pécuniaire du commerce est la principale motivation des vendeuses.

« Je ne fais pas ça pour le plaisir, c’est vraiment comme un travail pour moi », explique Julie. Un travail qui vient avec son lot de contraintes. Le jugement des gens qui l’insultent sur les réseaux sociaux. La nécessité de fidéliser le client. Le risque de voir ses photos « fuiter ».

Julie sait que ce qu’elle fait n’est pas sans danger. Mais elle en assume les conséquences et revendique ses activités. « Mes parents sont au courant, mon copain aussi. Tant que je sais ce que je fais et que je suis prête à assumer en cas de problème, ils me font confiance », explique la jeune femme.

« Au début, je me suis fait arnaquer par des clients. J’envoyais les photos avant de recevoir le virement. » Maintenant, son fonctionnement est rôdé. Julie contrôle son business : grille de tarifs, stock de photos et de vidéos…

Seul problème : les plateformes de virement instantané bloquent parfois ses comptes, lorsqu’elle reçoit une trop grosse somme d’argent.

L’argent est également la motivation principale des arnaqueurs. Nicolas, 17 ans, fait partie d’un réseau d’hommes qui gèrent des faux comptes de vendeuses. Il l’a intégré en octobre 2019 par le biais d’un ami qui lui a expliqué qu’« il avait un bon plan pour gagner de l’argent facilement ».

Après avoir accepté l’offre, Nicolas a suivi une courte formation sur la tenue du compte Twitter et a reçu un pack de photos de jeunes filles à envoyer à ses victimes potentielles.

La formation, proposée par un utilisateur du forum en ligne Lilith.id (désormais fermé), comprend le suivi du compte, l’apport des premiers abonnés, un pack de photos et une solution pour gérer les litiges avec les acheteurs. Tout cela pour le prix de 10 euros. Après sa formation, Nicolas gérait trois faux comptes de vendeuses.

Simon, 16 ans, nous explique qu’avec son faux compte, il parvenait à gagner 700 euros par mois. Il trouvait lui aussi les photos qu’il utilisait pour son faux compte sur le forum Lilith.id.

« 1RT + 1 follow = une surprise en DM »

La méthode des arnaqueurs comme Simon et Nicolas est très simple. Ils commencent par appâter les potentielles victimes en postant plusieurs nudes sur les faux comptes Twitter qu’ils ont créés. Pour donner plus de crédibilité à ces comptes, ils s’abonnent à un grand nombre de personnes, souvent d’autres arnaqueurs qu’ils connaissent.

Après avoir posté quelques photos, les arnaqueurs essaient d’attirer leurs abonnés. Ils leur font miroiter une récompense pour leur fidélité et tweetent des messages tels que  « 1RT + 1 follow = une surprise en DM ». Une fois que les clients viennent réclamer leur surprise, c’est-à-dire un nude, les arnaqueurs leur transmettent une cagnotte Paypal, avant de disparaître une fois le virement reçu.

Simon nous a expliqué les similitudes entre tous ces faux profils de vendeuses. Ils utilisent toujours les mêmes biographies, parlent crûment aux hommes qui veulent leur acheter des photos et proposent des prix défiant toute concurrence. Les photos se vendent de 2 à 5 euros, quand les vidéos sont proposées à 10 euros.

Les comptes d’arnaqueurs sont également repérables grâce à leur peu d’ancienneté : un profil qui dit vendre des nudes et qui a été créé le mois même est souvent synonyme de fraude.

Pour récupérer des nudes, les arnaqueurs vont sur des forums qui en mettent à disposition. Après s’être inscrits et avoir répondu au post qui les intéresse, ils peuvent télécharger les photos via un lien.

Même si le forum Lilith.id est désormais fermé, de nombreuses photos sont accessibles sur Internet, rien qu’en tapant « nudes » dans la barre de recherche. Plusieurs sites proposent des packs de photos et de vidéos à caractère pornographique à télécharger contre une inscription. Les arnaqueurs se font ensuite passer pour une jeune femme qui vendraient ces images d’elle-même. Ils appellent cette escroquerie le e-whoring.

Les utilisateurs de ces forums partagent gratuitement des dossiers entiers de contenus volés. Les légendes des packs assimilent le contenu à des annonces commerciales avec des termes tels que « blondie girl », « best brunette pack », « sexy teens » ou encore « nudes asian girl ». Les arnaqueurs n’ont plus qu’à choisir le pack qui les intéresse, comme s’ils faisaient du shopping.

S’ils sont inscrits sur le forum, ils sont redirigés vers un site de téléchargement et n’ont qu’à cliquer sur le lien pour avoir accès aux contenus.

Ces dossiers peuvent peser jusqu’à des dizaines de giga-octets de photos ou de vidéos. Bien évidemment, aucune des jeunes femmes présentes sur ces vidéos n’a donné son accord pour que son image soit diffusée de la sorte.

Légalement parlant, il s’agit d’une atteinte à la vie privée d’autrui, avec circonstance aggravante comme le précise l’article 226-2-1 du Code pénal : « Lorsque les délits prévus aux articles 226-0 et 226-2 portent sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel prises dans un lieu public ou privé, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 euros d’amende. »

Sur le faux profil de la mineure de 15 ans, nous avons reçu beaucoup de messages suggestifs d’hommes.

L’un des mots-clés des arnaqueurs sur les forums est le terme teens, qui signifie adolescente, en anglais. De nombreux dossiers de photos sont étiquetés ainsi et beaucoup de faux profils de vendeuses sont ceux de jeunes filles mineures.

Parmi les comptes Twitter que nous avons repérés, certains partagent des photos de jeunes filles qui sont loin de paraître majeures, ce qui constitue un délit de pédopornographie. L’article 227-23 du Code pénal dispose ainsi : « Le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d’enregistrer ou de transmettre l’image ou la représentation d’un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Lorsque l’image ou la représentation concerne un mineur de 15 ans, ces faits sont punis même s’ils n’ont pas été commis en vue de la diffusion de cette image ou représentation. »

Bien souvent, parmi les arnaqueurs, les mineurs qui partagent ces photos sont loin de se douter du caractère pédopornographique du contenu. Et les adultes tentent de minimiser les faits en niant le caractère pédophile de leur requête.

Sur les réseaux sociaux, le business des nudes continue de prospérer. De nombreux faux profils voient constamment le jour, encore en mai 2020. Julie, de son côté, prévoit de monter son auto-entreprise. En déclarant ses activités de « photographe », elle pourra toucher les bénéfices de son travail, sans crainte.

(*) Les prénoms ont été modifiés.

La bande dessinée a été réalisée dans le cadre d’un partenariat entre l’École publique de journalisme de Tours et l’Académie Brassart Delcourt.

Fridolin Ngoulou

@fridolinngoulou

35 ans.
Étudiant en journalisme à l’EPJT.
Passionné par la presse écrite et le web, aime les reportages sur l’environnement, le tourisme, l’économie et les faits sociaux.
Journaliste auparavant à l’Agence centrafrique presse et le Réseau des journalistes pour les droits de l’homme en République centrafricaine (RCA).

Alice Porcher

@porcheralice

22 ans.
Étudiante en journalisme à l’EPJT.
Passée par le Bonhomme Picard et le Courrier Picard.
S’intéresse aux questions de société et à la culture.
Se destine à la presse écrite généraliste.

Cassandre Riverain

@CassandreRvr

23 ans.
Étudiante en journalisme à l’EPJT.
Passée par la Nouvelle République et Ouest France.
S’intéresse aux questions de société, notamment aux questions de genre et au féminisme.
Se destine à l’investigation en presse écrite.