Le business des faux diplômes

Les faux diplômes pullulent sur le marché du travail et dans les écoles. En ligne, des réseaux s’organisent pour répondre à la forte demande, en toute impunité.

Par Victoria Beurnez, Léo Juanole et Margaux Saive
Photos Léo Juanole et Margaux Saive

Des entrepôts perdus dans une zone commerciale. Au 8, rue Jacquart, à Vandœuvre-lès-Nancy (Meurthe-et-Moselle), aucune trace de l’École supérieure Robert-de-Sorbon . Et pour cause, les salles de cours n’existent pas. Depuis 2011, l’unique activité de cette école fantôme est de délivrer des validations d’acquis d’expérience (VAE), censées certifier des années d’expériences.

L’établissement se targue de respecter l’article L 613-13 du code de l’éducation, qui traite des VAE. Mais il n’en est rien. La réputation de l’école s’avère uniquement virtuelle. Son prestige a été monté de toutes pièces, à commencer par le nom choisi en allusion à La Sorbonne.

Sur les réseaux sociaux s’étalent les photos de diplômés lors de cérémonies de remises de titres honorifiques. Habillés en toge, le sésame en main, ils sont exhibés comme un faire-valoir de l’institution. Ces costumes, ainsi que d’autres goodies, sont même en vente dans une boutique en ligne insolite.

Une mascarade sans fin

Le site de l’école accumule les fautes dans un franglais maladroit, preuve d’un amateurisme flagrant. Les membres du jury présentent tous des parcours prestigieux. Mais étrangement, certains ne sont même pas au courant que leur nom y est mentionné.

C’est le cas d’André Leblanc, docteur en littérature, qui avoue « [s]’être senti floué et avoir quelques craintes sur le sérieux de l’école ». Il a validé un seul dossier, celui d’un professeur portoricain nommé José R, en 2009. Un rapport de trois pages aura suffi à lui décerner une équivalence de… doctorat en lettres.

Le prix est parmi les plus bas du marché : le candidat n’aura dépensé que 550 euros. André Leblanc, lui, ne verra jamais les 100 euros promis. Le système informatique aurait « mystérieusement explosé ». Pour couronner le tout, le diplôme de José R s’avère bidon. « Inutilisable dans mon lieu de résidence, il ne m’aura servi qu’à témoigner d’une expérience équivalente à celle d’un doctorant », raconte-t-il par mail.

Derrière cette escroquerie se cache un homme aux multiples patronymes.

En 2011, les diplômes délivrés à tire-larigot par l’école attirent l’attention des autorités.

Jean-Noël Prade est alors condamné pour escroquerie à 15 000 euros d’amende. Depuis, l’école délivre bachelors, mastères et PhD exclusivement sous forme de VAE.

Cette certification est l’aboutissement de plusieurs années d’expérience professionnelle. Le parcours pour l’obtenir n’est pas aisé. Constitution d’un dossier complexe où la personne doit démontrer l’équivalence de son expérience avec le diplôme visé, rédaction d’un mémoire, justificatifs nombreux et précis, entretien obligatoire devant un jury…
L’ensemble de la procédure s’étend sur huit à douze mois, selon le site du gouvernement. À Robert de Sorbon, on est plus conciliant.

Moyennant 550 euros, les VAE sont délivrées en soixante jours chrono. Le jury ne rencontre jamais les candidats, bien que cela soit une obligation légale. L’école se défend d’être un « moulin à diplômes », ces établissements qui, aux Etats-Unis, délivrent des diplômes contre de l’argent à des étudiants, pour la plupart, non qualifiés. Cela illustre pourtant bien les agissements de cette école fantôme, dont l’unique activité est de délivrer des VAE sur des critères légers.

Le monnayage de diplômes peut aussi passer par des universités reconnues par l’État. En 2009, un scandale a éclaté à l’université de Toulon. Plus d’une centaine de faux ont été vendus à des étudiants chinois qui ne parlaient pas français. Le directeur leur avait délivré des diplômes pour des sommes pouvant aller jusqu’à 3 000 euros. Il a été condamné en appel à deux ans de prison avec sursis et à 20 000 euros d’amende pour corruption passive, détournement de fonds publics et faux.

Le marché en ligne

Un site de vente de faux diplômes photographie ses productions comme preuve de son sérieux. Capture d’écran

Si ces fausses-vraies universités représentent un recours coûteux pour éviter les concours et les examens, d’autres subterfuges existent. On trouve sur le web de nombreux sites de vente de faux diplômes, semblables à ceux – officiels – délivrés par les établissements supérieurs.

Certains de ces sites assument totalement leur activité illégale. C’est le cas de Fauxdiplome.org qui expose ses diplômes sur la toile comme dans une vitrine de magasin.

Du baccalauréat au doctorat, il est ainsi possible de s’octroyer toute sorte de titre. Moyennant la somme de 200 euros, le site se targue de livrer le document dans votre boîte aux lettres en quarante-huit heures. Le règlement doit s’effectuer en carte prépayée, à acheter dans un bureau de tabac. Ce moyen de paiement supprime toute possibilité de traçage.

Son concurrent Diplome-service.com, donne le ton sur sa page d’accueil : « Terminé les copies de mauvaise qualité ! »

Contacté, le service n’a pas souhaité donner suite.
En ligne, les internautes s’échangent les bons plans. Sur le forum 18-25 ans de jeuxvideo.com, Kholoto écrit : « Je suis étudiant en pharma et je n’ai pas validé tous les modules de ma 5e année, j’ai besoin d’un doctorat en pharmacie de l’université Paris Sud pour m’inscrire à un MBA. » Des chaînes Youtube, comme celle de roussel.roussel, montrent comment retoucher un diplôme à son nom, à partir d’un document glané en ligne.

Comme sur un marché noir, Laurent Thurod, alias davidkochy, propose ses services sur les forums. Diplôme, passeport ou permis ? Rien n’est irréalisable, affirme-t-il sur WhatsApp. Un contact qu’il assure avoir à l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) serait capable d’inscrire le diplôme dans la base de donnée de l’institut choisi.

En échange, il réclame d’abord 500 euros puis un second versement de 1 000 euros après avoir vérifié l’enregistrement du diplôme en préfecture avec le client.Sa crédibilité s’effrite lorsque, assurant nous téléphoner depuis l’ANTS, on entend Maître Gims en fond musical.

La chasse aux faux

Pour le ministère de l’Enseignement supérieur, le phénomène d’achat de diplômes en ligne s’avère difficile à contenir. « Ces sites prétendent que leur activité est légale mais qu’utiliser ces diplômes ne l’est pas. Ils savent bien que c’est ambigu. Pour 200 euros, la blague est plutôt chère. La fraude est presque évidente », analyse Pascal Gosselin, de la Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESIP).

« Il n’y a pas d’indicateur qui permet de détecter un mensonge à tous les coups, indique Hugues Delmas, docteur en psychologie et directeur du groupe ADN Research. Il est très facile de se faire berner lors d’un entretien d’embauche. On prend pour vrai ce que l’autre nous dit. »

Pour pallier la difficulté de distinguer le vrai du faux, les recruteurs missionnent l’entreprise VerifDiploma. Fondée en 2000, elle authentifie la formation des candidats en contactant les établissements renseignés sur leur CV. « Depuis trois ou quatre ans, on assiste à une recrudescence des diplômes achetés en ligne », analyse Emmanuel Chomarat, son fondateur. Sur 72 000 candidatures vérifiées en 2017, 8 % étaient construites sur un faux diplôme.

« La traque des faux site ne fait pas partie des prérogatives du gouvernement »

Pascal Gosselin

Les sites illégaux sont signalés à la direction des affaires juridiques, puis au procureur de la République, mais il est compliqué de les fermer car ils changent rapidement d’adresse, de nom ou d’hébergement. « Il devient impossible de savoir si c’est un vrai business qui fait vivre à temps plein quelques personnes ou s’il s’agit d’achats ponctuels », ajoute-t-il.

Une plate-forme d’attestation numérique est prévue « pour centraliser les diplômes de chaque étudiant et permettre aux recruteurs de vérifier », expose Pascal Gosselin. Cependant, le « coffre-fort numérique » n’a pas encore vu le jour, bien qu’annoncé pour 2017 par le ministère de l’Enseignement supérieur.

« La mission doit être relancée en 2019. De façon rétroactive, on pourrait démasquer les imposteurs et cela aurait un effet dissuasif. » Pascal Gosselin souhaiterait aller plus loin. « Il nous faudrait une cellule exclusivement dédiée à ce sujet, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. La traque des faux sites ne fait pas partie des prérogatives du ministère. »

Faux diplôme, faux problème pour le gouvernement ?

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Victoria Beurnez

24 ans
@victoriankdb
Étudiante en journalisme a l’EPJT
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Etudiant en journalisme à l’EPJT.
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Margaux Saive

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Etudiante en journalisme à l’EPJT. 
Passée par Le Parisien.
Se destine à la couverture de l’actualité internationale (éducation, condition des femmes, migrations et conflits) en tant que journaliste reporter d’images.